Peut-on (re)penser les politiques européennes en (re)partant de leurs usages ?

Posted on 27 octobre 2016 par Stéphane Vincent

La 27e Région participait à Lab Connections, un événement organisé par le EU Policy Lab (1) au siège de la Commission européenne à Bruxelles les 17 et 18 octobre derniers. Environ 200 participants s’y sont retrouvés, dont des animateurs de laboratoires d’innovation publique en provenance de 14 Etats membres, ainsi que des équipes innovations issues d’administrations nationales et de fonctionnaires européens (2).

Une volonté politique du Parlement européen

Cet événement fait partie d’un projet pilote initié par le Parlement européen, et visant à promouvoir les approches participatives dans l’élaboration des politiques publiques européennes. Siegfried Mursean, député européen roumain, est l’un des initiateurs de l’idée. C’est le Policy Lab EU, épaulé par la 27e Région, le SGMAP (FR), la Waag Society (HOL), le UK Policy Lab (UK) qui coordonne l’opération.

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L’hypothèse est la suivante : puisque toute l’Europe voit fleurir des laboratoires d’innovation publique et sociale qui ré-interrogent les politiques locales et nationales à partir de leurs usages, pourquoi ne pas utiliser cette connaissance pour ré-interroger les politiques menées par la Commission européenne ? Le Parlement souhaite également promouvoir des collaborations entre laboratoires d’innovation des différents États membres.

Lab Connections visait donc à faire un premier test sur deux jours. Après plusieurs plénières consacrées au mouvement des labs, nous sommes passés à la pratique. L’objectif était de sensibiliser les fonctionnaires de la Commission européenne aux méthodes de « co-conception orientée usager ». Concrètement, des groupes ont été constitués autour de politiques communautaires spécifiques (par exemple la politique d’accueil des migrants, l’intégration des Roms dans le système éducatif, ou encore la politique de soutien aux start-ups…). Chaque groupe était composé de représentants de laboratoires d’innovation, d’acteurs publics nationaux et locaux, et d’un fonctionnaire européen porteur du thème. En aucune manière l’objectif n’était de proposer des solutions, mais plutôt d’interroger collectivement l’architecture du problème.

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Comment ré-interroger les politiques communautaires d’intégration des Roms dans le système éducatif ?

Dans le cas de l’intégration des Roms par exemple, nous avons commencé par produire une carte sociale des acteurs, à analyser leurs interactions avec la responsable du programme Roms à la DG Justice : par exemple, comment se fait-il que, sur plusieurs dizaines de milliards d’Euros mobilisés par la Commission européenne, très peu soient réellement utilisés sur le terrain par les ONG ou les collectivités ? Pourquoi beaucoup de maires hésitent-ils à accueillir des Roms dans leurs écoles ?

Le groupe choisissait ensuite un thème sur lequel il souhaitait focaliser sa réflexion, puis imaginait une série d’actions concrètes à mener plus tard pour le ré-interroger. Dans le cas de l’intégration des Roms, le groupe a choisi de se focaliser sur les écoles, et a proposé 3 étapes : 1°) Cartographier les parties prenantes et les pratiques les plus inspirantes déjà existantes à l’échelle locale, en s’appuyant sur le réseau des labs et des acteurs locaux, les critères de succès déjà identifiés et la documentation existante, 2°) Préparer un petit nombre d’expérimentation-usagers locales avec les parties concernées, enseignants, directeurs, enfants, parents, collectivités locales, experts, dans les pays les plus touchés par la ségrégation scolaire, 3°) Inventer des formes de dissémination alternatives aux appels à projets, et faisant l’hypothèse d’étendre la question à toutes les minorités, pas seulement à celles des Roms.

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Quels résultats, et quelles sont les suites ?

On le voit, l’exercice pouvait paraitre périlleux, avec le risque habituel des murs de post-its, du hackathon inutile et sans la moindre suite – rappelons qu’hormis la personne de la DG Justice, personne autour de la table n’avait la moindre expertise sur la question des Roms ! Il pouvait également paraitre risqué de poursuivre tous ces objectifs à la fois : sensibiliser des hauts fonctionnaires européens à la co-conception, provoquer une première rencontre entre des labos de toute l’Europe, le tout en respectant les contraintes habituelles du protocole et les discours officiels. La voie était donc très étroite. Mais finalement le résultat est relativement honorable pour ce que nous avons pu en voir… Plusieurs observations semblent en attester :

– Dans plusieurs groupes, il a moins été question des thèmes que du processus de fabrication des politiques européennes. Dans la question des Roms par exemple, ce sont notamment les modes d’appels à projets, les mécanismes de sélection, les modalités des partenariats et d’obtention et d’accès aux crédits, les représentations des différents acteurs qui ont été interrogés.

– L’événement s’est laissé « hacker » : constatant que rien n’avait été prévu sur les politiques de santé, la Fabrique de l’Hospitalité (France) et l’Experio Lab (Suède) ont inventé un nouveau groupe et y ont associé à la dernière minute un fonctionnaire européen intéressé…

– Les fonctionnaires européens semblaient pour la plupart très volontaires et motivés pour aller plus loin et inventer des façons de « repartir du terrain », quitte à revenir sur les dispositifs dont ils ont la charge : c’était une belle preuve de confiance et d’ouverture.

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Le EU Policy Lab travaille maintenant sur les suites de l’opération. Les groupes et thèmes qui paraitront les plus pertinents vont donner lieu à une feuille de route. Personne ne peut vraiment dire ce qui va vraiment aboutir à ce stade, mais le cadre est posé et l’expérience va se poursuivre. Une autre étape commence, où l’on va pouvoir vérifier le niveau de mobilisation de la Commission européenne et sa capacité à mouiller la chemise, à mobiliser des ressources et des moyens pour éviter l’effet d’annonce et amorcer une vraie transformation…

Les plus pessimistes (ou les plus cyniques) verront peut-être dans cette démarche une tentative bien dérisoire, dans une Union européenne en mauvais état. D’un autre côté, il ne faut pas tout mélanger, et il serait dommage de ne pas s’intéresser à tout ce qui pourrait permettre de « debugger » même un peu la fabrique des politiques européennes et d’éviter les plus grosses erreurs de mise en œuvre. Le jeu en vaut quand même la chandelle…!

(1) Le EU Policy Lab est le laboratoire d’innovation du Joint Research Center, ou Centre de Recherche Commun, organe de recherche et de prospective rattaché à la Commission européenne.

(2) Une cinquantaine de laboratoires d’innovation publiques venus de toute l’Europe tels le UK Policy Lab (UK) ou la Fabrique de l’Hospitalité (FR), des équipes innovation tels que celles du Département de Loire-Atlantique ou du Val d’Oise pour la France.

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