La gare TER de demain, une nouvelle résidence de La 27e Région.

Posted on 31 août 2016 par Laura Pandelle

Quel avenir pour les petites gares ? Nous avions déjà abordé le sujet en 2010 avec une résidence à Corbigny, en Bourgogne : un territoire rural où la gare quasiment désaffectée devait connaître une reconversion, pour rester un espace au service de la population locale. Courant 2016, cette thématique nous revient avec une sollicitation de la Région Bretagne. Cette fois-ci, ce ne sont plus seulement les gares rurales qui sont concernées mais l’ensemble du réseau TER breton. Le tissu ferroviaire breton compte pas moins de 160 points d’arrêt, comprenant à la fois des des grands pôles urbains, des gares de centres-bourgs et des haltes (gares sans guichets) en zones péri-urbaines et rurales.

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Ce réseau dense, construit en étoile autour des métropoles bretonnes, est un atout majeur pour l’accessibilité de la région péninsulaire. Cependant, le transport en train peine aujourd’hui à rester compétitif, la fréquentation des gares baisse et les guichets ferment petit à petit pour cause de restrictions budgétaires… Autant de signes d’une dépersonnalisation progressive du service ferroviaire, souvent associé par les populations locales à un recul du service public.

Pour autant, les gares bretonnes connaissent actuellement une vague de modernisation. Il s’agit avant tout de rénover le cadre bâti souvent vieillissant, et de mettre aux normes les abords des gares. Nouveaux parkings, passerelles ou souterrains, accès en voies cyclables… ces aménagements coûteux sont coordonnés par la Région, et souvent co-financés avec les collectivités locales. Ce partage des tâches questionne directement les usages présents et à venir de chaque gare. En effet, pas question de se lancer dans un chantier démesuré si la gare n’a qu’une faible fréquentation… mais d’un autre côté limiter la gare à une rénovation partielle et/ou fermer une partie du bâtiment n’est pas valorisant pour le territoire.

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Prévisites en amont de la résidence
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Portraits des gares TER bretonnes

 

Pour faciliter les arbitrages, la Région s’appuie sur un référentiel d’équipements conçu en 2005, qui décline plusieurs modèles de gares TER, du point d’arrêt minimal à la gare multi-services, mais s’attache finalement peu aux questions d’usage et de perception de la vie de la gare. Or la polémique ne se cristallise aujourd’hui pas tant sur la qualité du bâti que sur le maintien ou la fermeture du guichet, véritable symbole de l’activité de la gare.

Alors, que faire quand la fermeture du guichet est inévitable ? Comment permettre à d’autres acteurs d’occuper la gare ? Comment maintenir une dimension humaine dans le service TER ? Comment mieux accompagner les nouveaux services numériques de la SNCF ? C’est avec toutes ces questions en tête que La 27e Région monte avec la Région Bretagne et Gares & Connexions une résidence sur « la gare TER de demain ». Pendant 3 fois une semaine, une équipe composée de Damien Roffat (designer au sein du collectif DTA), Lisa Rambeau (architecte, membre du collectif nantais FIL), Gwendal Briand (fondateur de l’association Collporterre), Burçu Ozdirlik (chercheuse en urbanisme à l’école des Mines, et membre du projet de recherche FIP) et Laura Pandelle (La 27e Région) part en immersion sur les gares de l’axe TER Rennes-Lamballe, et plus particulièrement à Montfort-sur-Meu, petite bourgade en périphérie rennaise. Cet article vise à tirer les grands enseignements de cette expérience.

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Première semaine d’immersion en gare de Montfort sur Meu

La gare, au carrefour de destins divergents

Les premières observations tirées de la résidence nous permettent de voir que des avenirs contrastés se dessinent pour les gares bretonnes. D’un côté les contraintes budgétaires ne permettent pas de maintenir des agents SNCF en poste dans tous les points d’arrêt. La tendance est donc à délivrer les services via des bornes numériques et à encourager les abonnements. D’un autre côté, la gare comme lieu de vie sociale reste chère aux pouvoirs publics locaux. On rêve souvent d’y installer un espace de coworking, une épicerie de proximité, une conciergerie, une crèche… mais rares sont les gares qui réussissent cette transformation. Sur le terrain, les acteurs de la société civile et de l’entrepreneuriat social sont prêts à se mobiliser pour investir les gares, mais ils sont freinés par la complexité juridique liée à l’occupation du foncier SNCF. « Occuper un espace en gare ne peut pas être une opération à perte, nous dit Caroline Corlay, directrice de Gares & Connexions Bretagne. C’est pourquoi il est difficile d’envisager de louer ces espaces pour des activités locales, dont le modèle économique n’est pas adapté à cette activité… ». Alors, n’y a-t-il aucune alternative au Casino-market pour redonner vie aux petites gares ?

Pendant la résidence, nous organisons une visite commentée de la gare de Montfort-sur-Meu (lien blog), qui comporte un bâtiment de 100m2 aujourd’hui désaffecté. Sont présents des commerçants locaux, des associations, des porteurs de projets, des agents de la médiathèque, des élus locaux. Les idées fusent. Se dessine un scénario de rénovation partielle de la gare, afin de permettre à divers acteurs locaux, soutenus par la collectivité, de tester pendant quelques mois une présence en gare. Pour cela, la SNCF doit accepter d’assouplir ses conditions, afin de permettre une réoccupation progressive de la gare. Dans un deuxième temps, si l’activité a du succès, des travaux de plus grande ampleur pourront être envisagés.

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Visite commentée de la gare de Montfort
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Différentes opportunités d’action en gare pour les acteurs locaux

D’autre part, le projet de gare est le fruit d’une concertation délicate entre différentes institutions publiques. Ville, Communauté de communes, Département, et Région ont leur mot à dire, face aux différentes branches de la SNCF (SNCF Réseau pour le ferroviaire, Gares & Connexions pour les bâtiments, TER Bretagne pour les services en gare …). Quand ce mécano coince, les travaux de rénovation ralentissent, manquent de coordination, voire aboutissent à des résultats catastrophiques (parking neuf en face d’un bâtiment voyageurs quasiment en ruine). Il nous semble donc important de travailler sur une nouvelle approche pour éviter le clivage trop fréquent entre collectivités locales et acteurs du transport.

Pour ce faire, nous testons sur la résidence un atelier pour mettre autour de la table, très en amont de la réflexion, tous les acteurs du projet de rénovation de la gare. Sous la forme d’un jeu, les parties prenantes élaborent un diagnostic partagé de la gare, puis esquissent des visions d’avenir. Comment souhaite-t-on qualifier la gare demain ? Quelle sera sa place dans le développement local ? Il s’agit avant tout de sortir de la classification binaire utilisée actuellement, opposant « gare » et « halte ». Nous testons cet atelier à Montfort, puis à Messac, où la collectivité souhaite s’investir plus en avant dans le projet de nouvelle gare.

Atelier « modéliser la gare à Montfort », semaine 1
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A Montfort, Région, TER et Gares & Connexions échangent sur le projet de gare
Atelier "modéliser la gare" à Messac, semaine 3
Atelier « modéliser la gare » à Messac, semaine 3

 

Transformer les gares : entre une approche sérielle et une approche sur-mesure.

Travailler la coopération entre acteurs publics et transporteurs permet de définir une vision sur mesure pour chaque gare. Ainsi la gare n’est plus un équipement standard mais un lieu emblématique de la vie locale, dont l’activité est co-portée par des acteurs à petite et grande échelle. Cependant, enclencher une démarche de ce type pour toutes les gares du réseau TER Bretagne, n’est-ce pas complètement utopique ?

Pour répondre à cet enjeu, il nous a semblé important d’amener pendant la résidence une dimension expérimentale : c’est-à-dire tester de nouveaux services et de nouvelles fonctionnalités en gare, et évaluer leur pertinence auprès des usagers avant de passer à une vision pérenne.

En deuxième semaine de résidence, nous invitons 20 étudiants en design du DSAA de Rennes (Laab) à investir 4 gares de l’axe Rennes-Lamballe pour tester de nouveaux services aux usagers. Au préalable, les étudiants ont réalisé une journée d’immersion sur le terrain, pour comprendre sous forme de photos, de croquis, et d’entretiens, la problématique de chaque gare. Puis, place à la formalisation : les étudiants produisent une série de prototypes pour tangibiliser leurs propositions, avant de les mettre en situation sur le terrain. Un premier groupe s’est concentré sur les services de commodité en gare, à travers une distribution de petits déjeuners. Croissants, café et journal du jour sont fournis par les commerçants du coin. Il s’agit bien de favoriser les connexions entre les usagers de la gare et les ressources locales plutôt que d’imaginer l’implantation d’une nouvelle enseigne type Relais H. Un autre groupe a testé des dispositifs de convivialité pour les usagers du matin : des jeux dans les abris voyageurs et une « pochothèque », alimentée par la médiathèque de Montfort. La distribution d’ouvrages courts est l’occasion de valoriser un équipement culturel du territoire, et engage des conversations entre les passagers.

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Un troisième groupe a exploré la question épineuse des parkings. En effet, les zones de stationnement occupent une large place aux abords de gare, et contribuent souvent à séparer la gare du centre-bourg. Des parkings alternatifs sont proposés, mais « si les gens pouvaient sauter directement de leur voiture au train, ils le feraient ! » commente un agent de guichet. Les étudiants ont donc travaillé sur les modes doux (trottinettes et vélos électriques) pour relier la gare aux différentes zones de parking des environs et désengorger les abords de gare. Un dernier groupe s’est concentré sur le co-voiturage domicile-gare. De nombreuses expérimentations ont été réalisées pour encourager cette pratique (dont Ma Place En Gare et ComCov) mais sans grand succès. Les étudiants ont donc réalisé une enquête afin de comprendre les freins au co-voiturage, et les leviers pour encourager, de manière générale, les pratiques communautaires entre usagers d’une même gare TER.

Ces différentes actions visent à la fois à inventer de nouveaux services en gare, en s’appuyant sur les ressources et la configuration propres à chaque site, mais surtout à enclencher une démarche d’expérimentation, là où l’approche actuelle pousse à une standardisation maximale des gares, et à des solutions d’aménagement figées, maîtrisées… mais peu appropriables par les populations locales. En revanche, une approche expérimentale permet de tester des services sous forme de briques fonctionnelles, avant d’engager une transformation en profondeur de la gare. Cette logique est déjà présente chez TER Bretagne, qui teste régulièrement de nouvelles idées pour promouvoir le transport en train (location de vélos pliants pour les usagers, circulation d’un TER-truck dans les quartiers, création de nouvelles applications mobiles …). Mais ces expérimentations sont rarement évaluées, et restent souvent à l’état de test. L’équipe de résidents propose donc un déroulé alternatif de rénovation d’une gare, permettant de passer de l’expérimentation au projet durable.

D’un référentiel des équipements à un référentiel des usages, les enseignements clés de la résidence.

En parallèle de cette approche méthodologique, la résidence a permis de tirer quelques enseignements clés sur l’avenir des gares TER.

  • Avant de rénover l’infrastructure, renforcer la fiabilité du transport en train.

Si les nouveaux aménagements des gares sont très appréciés par les usagers, c’est toujours la qualité du service TER qui est pointée du doigt : « Depuis qu’il n’y a plus d’agent en gare, il n’y a rien pour nous avertir quand il y a du retard ». TER Bretagne a mis en place des relais pour maintenir le lien avec les usagers en l’absence de guichet : envoi de SMS, information en ligne en temps réel… Mais de nombreux usagers se perdent dans la diversité des supports en ligne, d’autres refusent le numérique en bloc et recherchent le contact humain. Si maintenir tous les guichets en fonctionnement semble impossible, des pistes existent néanmoins pour transmettre une information sur mesure et dynamique : contact en visio entre une halte et une gare voisine (expérimentation Visio TER en semaine 3), communication plus claire sur les services en ligne (les affiches tutorielles en semaine 3), passage d’un agent médiateur TER aux heures de pointe … Nous observons par ailleurs que les usagers fréquentent volontiers plusieurs gares, en fonction de leurs besoins : planifier un voyage, recharger un abonnement … Il s’agit donc de transmettre un information claire sur les services présents dans chaque gare du secteur, dans une logique de relais (cf article « Ma gare ou mes gares ? »).

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Test d’un guichet numérique low-cost en gare de Breteil
  • Réinventer les métiers d’accueil, pour maintenir les guichets dans des cas spécifiques.

A l’heure actuelle, de nombreux agents SNCF sont affectés sur plusieurs postes au sein d’une même journée – agent d’aiguillage sur une gare, puis agent commercial sur une autre – dans un souci d’économies. Ce qui crée des situations rocambolesques : « Dans ma gare, nous dit une utilisatrice, le guichet est ouvert de 10h30 à 14h… c’est à dire au moment où il n’y a personne ! ». Il paraît donc absurde de maintenir ces guichets à moitié ouverts. Une solution pourrait être de recentrer la présence d’un agent sur une gare stratégique, mais en ouvrant son poste à des fonctions d’animation locale, que son statut d’agent SNCF ne permet pas aujourd’hui. Pendant la résidence, nous échangeons longuement avec Delphine, guichetière de la gare de Montfort. « Il m’arrive souvent de renseigner un usager sur les horaires de bus… de l’aider pour appeler un taxi, ou même l’office du tourisme ! Je fais ça de façon informelle, mais c’est pour ça que les gens apprécient de venir à la gare de Montfort ». A l’issue de la résidence, l’équipe pousse donc la vision d’une gare « plateforme de services », où le guichet assure une médiation sur les services TER autant que sur les autres modes de transport et sur la vie locale.

  • Créer plus de porosité avec la société civile.

Cette vision de la gare « plateforme » va de pair avec une ouverture progressive des espaces en gare à des acteurs locaux, comme mentionné précédemment. Les modes d’appropriation des gares par les acteurs de la société civile sont encore à inventer : l’appel à projets « Open Gare » de Gares & Connexion en Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente va dans ce sens. En fin de résidence, l’équipe pousse l’hypothèse d’une mise en réseau des initiatives innovantes sur le réseau TER breton, afin que chaque site puisse s’inspirer de ce qui a été fait ailleurs.

Le blog de la résidence est accessible ici : http://garebzh.la27eregion.fr/
Les livrables de la résidence sont consultables sur slideshare.