Citylab à Amsterdam : les villes face à la crise permanente

Posted on 9 novembre 2022 par Stéphane Vincent

Citylab, l’événement international organisé par la fondation Bloomberg Philanthropies, faisait son retour après deux années d’interruption en raison du Covid. Après Washington DC en 2019 (voir notre compte-rendu), c’était donc au tour de la Ville d’Amsterdam d’accueillir du 9 au 11 novembre cet événement un peu hors-norme, entre show télévisé ultra cadencé et conférence à la gloire de la capacité d’innovation des maires du monde entier. 

Comme pour chaque édition, nous n’étions que quelques participants français – La 27e Région, l’Eurométropole de Strasbourg, la Métropole de Nantes et la Région Occitanie-, conviés dans le cadre de notre partenariat avec Bloomberg Philanthropies autour de notre programme La Transfo, terminé en 2020.

Sans surprise, la guerre en Ukraine était omniprésente dans le programme. Plusieurs échanges ont pu se tenir avec des maires ukrainiens -le plus souvent à distance, même si certains avaient pu faire un rapide aller-retour. Une grande partie du programme pouvait se lire comme un vaste inventaire des défis auxquels les villes doivent aujourd’hui faire face (dans le désordre : explosion des inégalités, accueil des migrants, accessibilité, mouvements sociaux, dépénalisation des drogues, souveraineté numérique, montée des eaux, réchauffement climatique, etc), au risque de marginaliser un peu la portée toute particulière des enjeux climatiques, démocratiques et géopolitiques actuels. Mais c’est aussi ce côté fourre-tout qui fait l’intérêt de Citylab, comme en témoignent les quelques pépites que nous en avons rapporté, en commençant par les nombreux projets portés par la Ville d’Amsterdam.

Un compte-rendu co-réalisé par Sylvine Bois-Choussy et Stéphane Vincent (La 27e Région), Magali Marlin (Métropole de Nantes), Laurène Streiff (Région Occitanie), Joana Levy (Eurométropole de Strasbourg).

 

Amsterdam, à la pointe de l’alternative aux GAFAM. Femke Halsema, la maire d’Amsterdam, a ouvert CityLab en invitant les 40 maires et les 500 participants venus du monde entier, à forger avec elle une alliance des villes, des citoyens et des entreprises des civic tech, pour créer une  « république digitale», espace public numérique démocratique, souverain et inclusif, à même de recréer les conditions de la confiance dans la société. Face à l’essor des GAFAM, il s’agit de reprendre collectivement la main sur les plateformes et les données essentielles à la vie publique, d’assurer la protection des données des habitants, le partage équitable de la valeur, et de réguler l’espace numérique de manière plus démocratique. Depuis le début de la mandature en 2018, l’élue en charge de ces sujets, Touria Meliani porte haut ce projet politique: OpenCity, une équipe d’innovation interne, développe des outils numériques open source pour impliquer les habitants dans la décision publique ou la co-création de l’espace public par exemple, qui sont maintenant utilisés dans d’autres villes néerlandaises ; le manifeste « Tada, transparence sur les données » – créé avec des entreprises locales, des universités et des résidents- met en évidence de manière collective des sujets tels que l’inclusion, la transparence et l’utilisation éthique des données ; la ville a aussi porté des propositions réglementaires sur la minimisation de la collecte de données personnelles, l’ouverture par défaut des données publiques, l’interdiction du suivi Wi-Fi, etc. ; Amsterdam a également porté, avec Barcelone, le projet Decode, qui cherche à démontrer la valeur sociale d’une ré-appropriation citoyenne des données personnelles. Localement, l’engagement de la ville vient surtout accompagner l’écosystème des acteurs mobilisés sur ces sujets larges et divers, avec, parmi les chefs de file, nos amis de la Waag society (cf plus bas), qui portent notamment le projet de Future internet lab. Bref, cette invitation ne représente pas forcément un tournant dans l’engagement de la ville, mais elle incarne bien sa dynamique municipaliste, cherchant à impulser une coalition globale de pouvoirs locaux pour reprendre la main sur les ressources clés et dessiner des alternatives démocratiques, sociales et économique. Alors que certains, à l’occasion notamment des questions soulevées par le récent rachat de Twitter par Elon Musk, se demandent s’il n’est pas temps de nationaliser les grands réseaux sociaux, cette volonté locale – si elle parvient à se structurer — pourrait venir conforter la vision soutenue par Bloomberg des villes comme des alternatives crédibles à la relative perte de pouvoir des États Nations. Amsterdam a également été sélectionnée par la fondation Bloomberg pour faire partie des dernières cohortes du programme Innovation Teams pour la soutenir dans sa stratégie digitale.

 

Vision nocturne : les politiques de la nuit à Amsterdam. Et si l’on appréhendant la nuit autrement que sous le seul angle de la sécurité et de la lutte contre les nuisances ? En 2012, Amsterdam a été l’une des premières villes à nommer un Maire de la nuit (à l’époque, Mirik Milan). Une tâche délicate : il s’agit de cultiver la vie nocturne comme facteur clé de l’attractivité et de l’économie de la ville (le poids des clubs à Amsterdam représente €600m et 13,000 emplois), tout en en préservant l’habitabilité pour ses résidents. Nous sommes allés à la rencontre de la nouvelle équipe en charge de la nuit à une quinzaine de kilomètres du centre, à HetHem, une ancienne usine de munitions reconvertie en centre d’art pluridisciplinaire. La rencontre permet d’enrichir la focale et de partager les questions qui se posent pour Amsterdam : comment nourrir une culture de la nuit créative et diverse, en soutenant notamment une multiplicité des lieux, y compris les plus alternatifs et indépendants, dans un contexte de forte pression sur le foncier et l’immobilier ? Comment faire de la nuit un espace dans lequel les jeunes puissent expérimenter, en termes d’identités, de sexualités, par exemple, de manière protégée, en travaillant par exemple sur l’offre de mobilité ou la sécurisation ? Des questions qui seraient intéressantes à croiser avec celles d’autres villes et métropoles françaises et européennes qui ont elles aussi développé une approche spécifique de la vie nocturne, sous différents angles : engager le débat sur les contours, le partage, les modalités d’un espace public nocturne (le conseil de la nuit à Nantes par exemple), élargir l’amplitude d’accès aux services, transports et équipements publics (à Helsinki, les crèches sont ouvertes la nuit), s’attacher à la protection de la biodiversité nocturne (à Chambéry, Nevers, ou Saint Nazaire), inventer de nouvelles approches de médiation pour résoudre les conflits d’usage, gérer les tensions naissantes entre la lutte contre la pollution lumineuse (le « droit à la nuit » pour le vivant ?) et les besoins de sécuriser l’espace public, etc.

 

Au banc d’essai : la politique de la ville d’Amsterdam en faveur du vélo. Nous sommes mardi, il est 7h15, c’est parti pour une promenade en vélo commentée par Meredith Glaser du Urban Cycling Institut (UCI), centre de recherche qui cherche à développer une approche multidisciplinaire pour comprendre, analyser, développer et diffuser les politiques cyclables urbaines. Pour l’UCI, le vélo est un moyen simple qui permet d’aborder un large éventail de problèmes et de défis urbains complexes des villes contemporaines. Il est intimement lié à de nombreux aspects de la vie urbaine dans toute sa richesse et sa complexité. Après l’énoncé de quelques caractéristiques de la politique cyclable, le groupe se met en selle. Plusieurs types d’infrastructures sont mises en avant : les rues cyclables (voies entièrement réservées aux vélos), pistes cyclables (espace dédié sur la route) et bande cyclable (sur les voies de voitures). Le choix entre ces trois types d’infrastructures se fait au meilleur ratio intensité du trafic, type de déplacement, analyse des flux (transit et destination), etc. D’abord, direction le quartier ouest de la ville, principalement résidentiel. Un premier arrêt dans le quartier de Beukenplein permet de voir comment une opération de rénovation urbaine dans un quartier populaire a permis d’implanter des services de première nécessité dans une logique de ville du 1/4 d’heure, où comment un ancien parking a été remplacé par des aménagements urbains qui permette aux terrasses de s’étendre. Ensuite, second stop dans une gare qui dispose de 30 000 arceaux à vélos et qui propose des vélos en libre-service aux détenteurs de billets de transport ferroviaire et permettre ainsi de « désencombrer » les trains de vélos tout en permettant aux usagers de pouvoir assurer leurs déplacements en mobilité douce. Enfin direction Quellijinstraat, une rue dans quartier à forte densité et ses aménagements expérimentaux participatifs pour plus de convivialité et moins de voitures : les places de stationnements ont laissé la place à des bacs végétaux et des stationnements vélo qui visent une meilleure appropriation de l’espace public par les habitants. Rappelons qu’à Amsterdam, la mutation en faveur du vélo s’est faite dans les années 50-60, et qu’à ce jour 60% des habitants de 12-65 ans utilisent le vélo quotidiennement…

 

La Waag, l’un des plus anciens think et do-tank en Europe. Vieille connaissance de la 27e Région, certains d’entre nous ont eu l’occasion de rencontrer les équipes de la Waag (en néerlandais « oser », autrefois appelée Waag Society), consacrée depuis sa création en 1994 aux transformations technologiques et sociales. L’équipe est installée dans le seul monument non religieux encore debout depuis le 15e siècle, devenu lieu de recherche, de design, de développement d’une société durable. La vocation de la Waag est de renforcer la réflexion critique sur la technologie, de développer les compétences en matière de conception technologique et sociale et d’encourager l’innovation sociale, grâce à la recherche publique et à l’innovation ouverte. Le lieu est conçu comme un espace transdisciplinaire entre chercheurs, designers, artistes, artisans, scientifiques, hackers. L’activité de la Waag est organisée autour de douze laboratoires qui mènent des recherches sur divers thèmes liés à la technologie et à la société, sur un mode participatif, et en mobilisant trois types de recherche : la recherche académique classique (= l’importance des faits), ce que l’équipe nomme la recherche publique, au sens de recherche participative et collective (= l’importance que tous les publics se sentent concernés) et la recherche industrielle. La Waag héberge un « smart citizens lab », sorte de laboratoire-observatoire de mesure en temps réel sur le bruit, la qualité de l’air et l’eau, et dont l’objectif est de sensibiliser les citoyens en les associant directement à l’effort de recherche -une initiative qui pourrait intéresser Ivry-sur-Seine qui monte un projet équivalent avec la Ville de Paris…

 

Pics de chaleur : comment font les grandes villes ? Pour Los Angeles ou Athènes, les vagues de chaleurs extrêmes font partie des conséquences les plus insidieuses de la crise écologique ; elles se traduisent de manière tangible par des morts précoces en nombre, une perte de biodiversité importante, une pression accrue sur les services de santé, et plus largement le constat d’inadaptation des villes, transformées en « death traps ». La chaleur peut y être particulièrement mortelle : les toits sombres et secs absorbent la chaleur et réchauffent les bâtiments qu’ils recouvrent, le bitume emmagasine la chaleur et affecte le cycle de l’eau, le verre des fenêtres des immeubles de bureaux reflète la lumière du soleil sur les rues en contrebas, les routes étroites et les grands immeubles bloquent les vents rafraîchissants… Eleni Myrivili, pour Athènes et Marta Segura, pour Los Angeles, sont parmi les 7 premières Chief Heat Officer mondiales désignées et financées par le Centre pour la Résilience de la fondation Arsht-Rockefeller (Arsht-Rock) pour adresser de manière systémique ce défi, sur le plan des infrastructures urbaines, autant que sociales et citoyennes. Pour contrer ce qu’elles ont nommé comme un « silent but number one killer », les réponses passent par la création de points d’eau accessibles, la végétalisation de l’espace urbain, la création de zones d’abris et d’ombrage artificielles (« face à l’urgence nous n’avons pas forcément le temps d’attendre que les arbres poussent », ont-elles souligné), la réduction de la place de la voiture – qu’elles identifient comme le défi le plus conséquent auquel les maires doivent aujourd’hui faire face, mais aussi la mobilisation des habitants, l’identification des populations les plus vulnérables, la création d’outils d’analyse et de mobilisation adaptés, et une capacité à aborder chaque crise de manière systémique. Parce que le risque climatique vient souvent démultiplier les inégalités sociales, Los Angeles a par exemple forgé le concept de « shade equity », que l’on pourrait traduire par l’idée d’accès équitable à l’ombre, et produit une grille d’analyse des quartiers et population les plus à risques face aux vagues de chaleurs, combinant données urbaines (présence ou non de verdure, exposition, etc.) et sociales (nombre de personnes âgées vivant seules, de populations précaires, etc.). A Athènes, un travail fondé sur les données a été mené pour comprendre et caractériser les vagues de chaleur. La municipalité mobilise trois leviers : la sensibilisation (par exemple en donnant des noms aux pics de chaleur comme on le fait avec les cyclones), en ciblant les populations les plus à risque, et à plus long-terme en agissant sur l’urbanisme. Une approche qui peut faire écho aux plans canicule qui deviennent maintenant récurrents dans de nombreuses villes françaises. Ainsi la ville et la métropole de Nantes ont par exemple multiplié les fontaines et autres points d’eau accessibles à travers la ville, mise en place une carte répertoriant les îlots de fraîcheurs (parcs, jardins, pataugeoires…) disponibles, mais aussi développé un registre canicule qui permet auxpersonnes fragiles et isolées d’être régulièrement contactées par les services de la ville en cas d’alerte canicule, pour s’assurer de leur état de santé et leur apporter une aide adaptée si besoin.

 

Après le déluge. Depuis 30 ans, le photo-reporter néerlandais Kadir Van Lohuizen parcourt le monde à la rencontre des habitants qui subissent les effets de l’élévation du niveau des mers. « Je voulais être optimiste, mais ce que je vois ne le permet pas », dit-il. Kadir est un grand gaillard fin aux membres interminables, yeux clairs, cheveux bouclés en bataille, tenue décontractée, mais visage préoccupé, marqué, comme érodé d’avoir connu tant de soleils, de vents, d’embruns et d’avenirs incertains. Kadir van Lohuizen a été sensibilisé dès ses premiers photo-reportages aux conséquences humaines de la montée des eaux. Sur la scène de CityLab, il s’adresse aux responsables des villes du monde, d’un ton humble, sans colère, mais de manière engagée, car il faut continuer d’éveiller les consciences et susciter l’action des autorités. La conférence est intitulée After us the deluge, titre de son dernier ouvrage, travail photographique et cartographique d’ampleur, très documenté, réalisé sur les 11 dernières années. Alors nous plongeons successivement dans les eaux de différentes régions du monde. Au Groenland : les glaciers fondent. Aux Etats-Unis, côté est : l’élévation du niveau de la mer est trois fois plus élevée que la moyenne mondiale. Miami beach devra être évacuée en 2060, les populations semblent néanmoins assez insouciantes. Un technicien tente de déboucher une canalisation d’évacuation, mais il comprend finalement qu’il s’agit d’eau de mer qui reflue. Au Panama, des familles ont dû quitter leur île de l’archipel de Guna Yala, menacé par les tsunamis et les inondations, évacué sur ordre du gouvernement. Au plein cœur de l’océan Pacifique, tous les habitants de la république des Kiribati devront déménager d’ici une ou deux décennies, en dépit des efforts qu’ils font déjà pour consolider leurs plages en empilant des sacs de sable.  Le Bangladesh est l’un des pays les plus menacés par le déluge annoncé. Plus de 50 millions de déplacés sont à prévoir d’ici 2050. Des femmes et des hommes, peuple de pêcheurs pour qui l’eau est à la fois moyen de subsistance et pire ennemie. Des habitants qui n’auront nulle part où aller si rien n’est anticipé. Aussi les Pays-Bas, plat pays qui bataille depuis 40 ans déjà avec la montée des eaux. Son réseau de digues le plus développé au monde suffira-t-il ? Une élévation de 2 ou 3 mètres du niveau de l’eau nécessitera de déplacer les habitants de Rotterdam et d’Amsterdam. C’est pour demain, et cela semble inéluctable. A travers ses photos de paysages, de grandes étendues et de portraits, Kadir van Lohuizen montre certes les conséquences géographiques de la montée du niveau de la mer mais, avant tout, alerte sur la réalité humaine de cette menace imminente.

Pour aller plus loin : After Us The Deluge, The Human Consequences of Rising Sea Levels, Kadir van Lohuizen, 2021, Lannoo Publishers. A signaler également le replay de conférence HIPA, diffusé en direct le 2 février 2022.

 

Pichenette. Au détour d’une phrase, Kadir a envoyé une petite pique au programme de reconstruction « Rebuild by design », lancé après les inondations provoquées par l’ouragan Sandi qui avait ravagé la côte new-yorkaise et le New Jersey en 2012. D’après Kadir, aucun des chantiers de reconstruction n’a été lancé dix ans après, et le danger demeure inchangé pour les résidents. Pour mémoire, ce programme audacieux de reconstruction s’était fondé sur le design social et une participation intensive des habitants, plutôt que sur une reconstruction immédiate et techno-centrée. Il était orchestré par le designer néerlandais Henk Ovink (lui-même présent à Citylab, aujourd’hui envoyé spécial auprès des Nations Unies), sous égide du gouvernement des Etats-Unis. Plus de 70 $Mds avaient été réunis pour mettre en œuvre ce plan. Mais la revue Citylimits rapporte qu’en 2019, la NYCEDC (New York City Economic Development Corporation, l’agence économique de la ville) aurait jugé que le plan issu de Rebuild by Design était finalement trop coûteux. Au lieu d’ériger une digue et de réaménager le rivage pour limiter les inondations selon les propositions issues de Rebuild by design, l’agence aurait choisi de retenir trois propositions plus modestes : l’une destinée à transformer deux écoles en centres d’évacuation à énergie solaire, la seconde de créer un micro-réseau de « trigénération » alimenté au gaz naturel pour alimenter les marchés des produits et de la viande, et la troisième d’installer des générateurs de secours mobiles. Aucune de ces propositions n’a encore été complètement achevée : le projet avec les écoles devrait démarrer en 2023 ; l’agence a annulé le plan de micro-réseau parce que le projet aurait brûlé des combustibles fossiles en violation des règles environnementales -un projet révisé est prévu pour 2025. Seuls les générateurs de secours sont opérationnels, au grand soulagement des commerçants. Des réponses à court terme, bien loin de répondre aux ambitions initiales du programme…

 

Traumatismes post-covid. Avec le covid, les symptômes liés aux troubles de l’anxiété et au stress post-traumatiques ont explosé -sans compter les conséquences de l’éco-anxiété ou même de la flambée des prix et de la guerre en Ukraine. Ces phénomènes post-traumatiques semblent inquiéter les élus locaux, qui les placent tout en haut des conséquences de la pandémie les plus inquiétantes, d’après une enquête réalisée dans les grandes villes américaines. Que peuvent faire les villes dans ce domaine ? D’abord, mieux comprendre le phénomène dans toutes ses dimensions. En équipant une centaine de personnes d’une application de collecte de données sur smartphone, un programme de recherche initié par le professeur Andrea Mechelli (King’s College de Londres) a permis de montrer toute la richesse des interactions entre l’espace public (en particulier la nature en ville), et son effet à long-terme sur les habitants les plus susceptibles de développer des traumatismes. Beaucoup d’adolescents souffrent tout particulièrement de stress et d’anxiété, et se posent de nombreuses questions sur leur avenir. Christian Bason, directeur du Centre Danois de Design (ex-MindLab) a présenté un projet dans lequel des jeunes sont formés à enquêter eux-mêmes sur les traumatismes qu’ils vivent actuellement, et à en tirer des scénarios-fictions sous formes de vidéos pouvant nourrir de nouvelles politiques publiques.

 

Une déambulation artistique pour sensibiliser aux migrations forcées. Tel le conte des frères Grimm « Hans le joueur de flûte », tous les participants de Citylab ont suivi dans les rues d’Amsterdam une marionnette de presque 4 mètres représentant Amal, une fillette réfugiée de 10 ans. Un comédien permet à Amal d’afficher des expressions et de bouger, tandis que deux autres comédiens la font danser. La Petite Amal est un projet artistique et militant né en 2015 durant les représentations données par la compagnie Good Chance, qui avait installé son dôme-théâtre au cœur de la jungle de Calais. Plus d’information ici.

 

Une journée en mode master class. C’est maintenant un rituel durant Citylab : pendant une journée, Bloomberg Philanthropies réunit une soixantaine d’innovateurs publics venus de municipalités du monde entier -avec tout de même plus de deux tiers de villes américaines- pour une journée complète de formations assurées par des VIP de la recherche ou du conseil, le « Chief Innovation Studio ». La journée se déroulait sous l’égide du nouveau Centre pour l’innovation publique créé un an plus tôt au sein de l’Université Johns Hopkins (Baltimore, Mariland USA) en partenariat avec la fondation Bloomberg Philanthropies. Le centre est dirigé par Amanda Daflos, qui dirigeait précédemment le laboratoire d’innovation de la Ville de Los Angeles que nous avions visité en 2018, et comptera bientôt une quarantaine de permanents, experts et chercheurs en innovation publique, participation citoyenne, open data, etc. Après une impressionnante intervention sur l’accessibilité dans les villes faite le chercheur et urbaniste Victor Pineda et son ONG World Enabled, l’essentiel de la journée portait sur l’apprentissage d’une nouvelle méthode de team building, le « Business Chemistry », une trouvaille de l’agence Deloitte. On n’apprendra pas grand-chose sur la façon dont elle a été conçue, mais on sent l’influence des sciences comportementales appliquées aux entreprises multinationales. La méthode consiste à expliciter et identifier les différents « styles de travail » présents au sein d’une équipe, afin d’améliorer la coopération, construire les meilleures combinaisons possibles au sein de l’équipe, recruter des profils complémentaires, ou encore résoudre les situations conflictuelles. Deloitte a identifié 4 styles de collaborateurs : les « pionniers », les « pilotes », les « gardiens », et les « intégrateurs ». Pour Deloitte, chaque style a ses bons et ses mauvais côtés, l’enjeu est de les considérer comment complémentaires dans la réussite d’un projet. On peut se moquer du côté réducteur de la méthode et de sa part d’opacité, mais on peut aussi aimer l’idée qu’elle invite à être à la fois plus conscient de ses propres obsessions dans le travail, et plus attentif à respecter celles des autres ! Au terme de la journée, chaque participant était invité à arborer un pin’s présentant le style qui lui correspondait le plus – une pratique encouragée dans une collectivité de Californie pour faciliter l’accueil des nouveaux arrivants, d’après une de nos voisines de tables. Sans surprise, dans cette journée pour innovateurs publics, on voyait surtout des pins « pionniers » et « pilotes » ! Nous avons librement traduit une partie de la méthode dans le tableau suivant. Et vous, quel est votre « working style » ?