Action publique en commun : élaborer de nouvelles alliances entre administration et citoyens ?

Posted on 6 février 2020 par Nadège Guiraud

Le 27 novembre dernier, dans le cadre de la Semaine de l’innovation publique et à l’occasion de la parution d’un numéro spécial d’Horizons publics sur « les communs, une piste pour transformer l’action publique ? », nous organisions un événement au nouveau grand et beau lieu interministériel de la Transformation publique à Paris.

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Groupes de citoyens qui s’impliquent dans la gestion de biens et services d’intérêt collectif (gestion partagée des espaces vacants, coopératives de logements, préservation d’espaces naturels, etc.), municipalités qui testent des leviers juridiques, techniques, organisationnels pour construire de nouvelles alliances avec les habitants (règlements d’administration partagée, etc. )…, dans un monde en pleine transformation et face à l’urgence des transitions, les initiatives pour inventer d’autres modes de co-création de la ville et des territoires se multiplient. Alors qu’il y a une dizaine d’années, quand Elinor Ostrom mène son travail d’exploration des expérience de gestion de propriété commune, les personnes qu’elle observe ne se réfèrent pas directement aux communs, aujourd’hui ceux-ci font l’objet de nombreuses réappropriations citoyennes, sont revendiqués et facteurs de mobilisation pour des mouvements sociaux dans de nombreux pays, ou encore sont identifiés comme une catégorie juridique en tant que telle, en Italie par exemple.

Pour explorer les promesses portées par les communs et le rôle de l’acteur public (le sujet même de l’exploration Enacting the Commons que nous menons depuis près de deux ans à travers l’Europe), nous avons invités Julien Lecaille de la Fabrique des mobilités, Lionel Maurel, juriste et directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences humaines et sociales, Julian Perdrigeat, directeur de cabinet du maire de Loos-en-Gohelle, Emmanuel Dupont du CGET, et Alessandra Quarta, juriste et coordinatrice du projet Generative European Living Lab-gE.CO

Les communs, un changement de paradigme ?

Dans une ville comme Loos-en-Gohelle, où le récit ces 40 dernières années s’est construit sur les questions de transition post-minière, plutôt que d’employer le terme de communs « on a préféré parler de décloisonnement, de transversalité, de valeur que l’on crée – pas forcément monétaire ». Avec les 50/50 (cousins français des pactes italiens), par exemple, les habitants sont invités à agir pour la transformation de leur territoire, soutenus par la collectivité. Les citoyens sortent ainsi de leur posture de « consommateurs de services publics » pour devenir des contributeurs actifs. La Fabrique des mobilités invente de son côté des alternatives aux appels à projets, les appels à communs, où l’acteur public se positionne en soutien de groupement d’acteurs, qui inscrivent dans leur projet des logiques de respect des objectifs généraux en matière de politique publique ET de commun (documentation, etc.). 

La pratique des communs remet ainsi en jeu les catégories classiques public / privé, producteurs / bénéficiaires, commercial / non lucratif … et interroge nos outils, nos cadres juridiques et administratifs.Loos-en-Gohelle s’est ainsi confronté à des difficultés juridiques et assurantielles, les compagnies d’assurance exigeant des collectifs d’habitants qu’ils se constituent en associations pour être couverts, là où en Italie les assurances générales des municipalités peuvent aussi couvrir les citoyens, des compagnies ayant créé un contrat spécifique pour l’expérimentation des communs.

Le mode d’exercice du pouvoir par les élus est également questionné. La définition de l’intérêt général se fait au fil de l’eau et non pas en amont, il s’agit moins de démontrer qu’on a atteint des objectifs préalablement définis que d’être capable d’ajuster sa trajectoire et de reconnaître les initiatives sur son territoire, en misant sur la confiance, la transparence (avec l’absolue nécessité du retour sur expérience) et le temps nécessaire pour enclencher une dynamique de territoire et la mettre en récit. 

Si le terme est très présent dans la campagne électorale actuelle, il n’est pas sûr aujourd’hui que les candidats aient une volonté réelle de mettre en place des communs pendant leur mandat …

 

Les enjeux à venir ?  

Les communs appellent aujourd’hui une réflexion sur les nouveaux modèles économiques, avec l’enjeu de sortir du cadre des marchés publics. Comment coopérer sans risquer d’être victime d’une prédation des ressources par d’autres ? Pour Julien Lacaille, il est nécessaire de pousser les logiques de réciprocité et de licence, à travers un effort de design de la gouvernance. 

La formation est également un enjeu de taille. La démarche de Ville pairs soutenue par le CGET et l’ADEME permet d’imaginer quelles pourraient être les formes de mutualisation d’ingénierie entre pairs, de structuration des démarches de communautés apprenantes.  

Emmanuel Dupont, du CGET, introduit également la question du changement d’échelle : comment dépasser l’échelon local et inventer de nouvelles coopérations et mutualisations interterritoriales par les communs ? 

Enfin, se pose aujourd’hui la question du récit (audible !) sur ce qui apparaît aujourd’hui souvent comme une notion abstraite, voire un voile pour masquer un désengagement de l’acteur public …

 

Stretching de projets : comment aller plus loin dans une approche en commun ?

Pour clôturer cette rencontre, nous avions proposé à huit porteurs de projets de « soumettre » leur cas à une séance de stretching collective visant à identifier comment les communs pouvaient les aider à aller un cran plus loin à différents niveaux : inclusion des bénéficiaires, modèles économique ouverts ou collaboratifs, partage des décisions, coopération continue, lâcher prise administratif, approche open source …

Se sont prêtés au jeu la Ville de Bagneux (budget participatif, projet Agocité), la Ville d’Allfortville (projet de rénovation de l’école Montaigne), la Ville de Paris (mission résilience), la Ville de Saint-Denis (projet de la Maison Jaune), le CGET (démarche Agir par les communs), le département de Seine-Saint-Denis (projet de la fabrique des jeux) et la métropole européenne de Lille. 

L’exercice a permis de soulever de nombreuses questions (et parfois d’y apporter des débuts de réponses) aux différentes tables : comment protéger les dynamiques habitantes des formes trop institutionnelles qui pourraient les tuer dans l’oeuf ? Comment favoriser une mixité d’activités et donc d’utilisateurs ? Comment prendre en compte les logiques d’acteurs (par exemple au sein d’une école), avec leurs rôles respectifs et leurs rapports différents à l’institution ? Comment évaluer les effets de ces actions, notamment en terme de pouvoir d’agir ? Comment documenter une expérience de commun sans la réduire à un dispositif bien ficelé ?

En guise de conclusion forcément non conclusive, les mots de Christine Bellavoine, sociologue et responsable du secteur des études locales de la Ville de Saint-Denis, qui apportent un éclairage très concret sur le sujet :  « les communs c’est surtout un regard porté sur les choses. Le premier pas du projet de la Maison Jaune, c’était de reconnaître que le local « maison jaune » était un commun, que les enfants qui jouaient sur la dalle, les jeunes qui dealaient, les habitants vivaient ici devaient y être associés plus étroitement. Ensuite, les communs c’est une praxis, c’est à dire une pratique qui transforme. Par exemple, les jeunes qui s’impliquent dans le lieu montent en compétence : en argumentant pour tel ou tel usages et en se responsabilisant sur la gestion du lieu ».