La Métropole Européenne de Lille (MEL) vient d’être retenue comme Capitale mondiale du design (World Design Capital) en 2020. C’est une excellente nouvelle et un défi extraordinaire pour les acteurs du territoire lillois et au-delà, dans toute leur diversité ! Quand la MEL nous a contacté en juillet dernier pour rencontrer le jury du WDC en visite à Lille, nous ne manquions pas d’arguments pour témoigner du dynamisme local. En effet, quand nous avons débuté nos expériences en 2008, il n’y avait guère que les élus et agents de deux territoires pour oser essuyer les plâtres avec nous : ceux de l’ex-Région Champagne-Ardenne (aujourd’hui Grand Est), et ceux de l’ex-Région Nord-Pas de Calais, Lille et d’autres acteurs locaux. L’occasion de faire une petite retrospective de nos aventures lilloises et de saluer tous les précurseurs qui ont mouillé la chemise avec nous !
Janvier 2009 : « Ma vie de ch’ti en 2040« . Il s’agit d’une expérience de design fiction réalisée avec la direction prospective de la Région Nord-Pas de Calais début 2009 dirigée par Pierre-Jean Lorens avec ses équipes. A l’époque, la Région faisait travailler 6 groupes d’experts sur des scénarios pour l’avenir de la région à 20-30 ans, notamment en matière de migrations climatiques, de futur de l’éducation ou de transformations technologiques. Mais il manquait une place pour les citoyens dans cette démarche experte. C’est pourquoi nous avons proposé de transformer les enseignements des rapports en une série de portraits fictifs d’habitants relatant leur vie quotidienne à Tourcoing, Arras ou Boulogne-sur-Mer en 2040. Le designer Félix Compère en a fait de courts photomontages animés de 5 à 6 minutes, sur le mode « bricolé » et tournés avec des figurants bénévoles. Il a ainsi donné vie à 6 personnages, dont Oskar, alguiculteur sur la Côte d’Opale ou Léa, mamie lilloise qui doit partager son logement avec une famille d’origine chinoise. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les médias locaux sont tombés sur les vidéos postées sur les réseaux sociaux, et pour la première fois, Jean-François Caron, alors vice-président en charge de la prospective, était invité à parler de cette démarche en direct sur France 3 Lille, tandis que les habitants pouvaient lire dans 20 Minutes et la presse locale des explications sur la démarche. Pour la première fois le débat sortait de l’hémicycle régional et trouvait une audience plus large dans la population.
Octobre 2009 : « L’environnement de travail des élus ». Cette première tentative a donné envie à nos interlocuteurs d’aller plus loin. A l’approche des élections régionales, la Région s’interrogeait sur l’accueil des futurs élus : comment rendre rapidement opérationnels les élus d’une nouvelle mandature, quand ceux-ci vont être renouvelé à plus des deux tiers ? C’est ainsi que nous avons mené l’un des premiers cycles de notre programme Territoires en Résidences sur le thème de « l’environnement de travail des élus ». L’occasion inespérée de mener un travail d’observation et d’analyse des pratiques de travail de trois élus qui avaient accepté de se prêter à l’expérience : Jean-François Caron, vice-président au développement durable et membre d’EELV, familier du système politique, René Vandierendonck, vétéran en politique et alors conseiller régional devenu ensuite Sénateur, et Brigitte Parat élue inscrite au Parti socialiste qui attaquait alors son premier mandat. L’équipe de résidents comprenait les designers Adèle Seyrig, Yoan Ollivier et Grégoire Alix-Tabeling (aujourd’hui Vraiment Vraiment), Sitraka Rakotoniaina, designer d’interaction, avec des interventions ponctuelles de Lucie Bargel, chercheuse en sciences politiques et Hélène Veiga Gomès, anthropologue. La résidence avait notamment accouché d’un nouveau format de réunion avec les collaborateurs d’élu, un « kit » du mandat régional accompagnant le nouvel élu dans sa prise de fonction, la « suite projet » permettant un meilleur échange sur les projets entre élus et collaborateurs, et la « Transfo », cellule d’innovation à l’intérieur-même de la Région. Toutes ces productions se sont endormies avec les élections régionales qui ont immédiatement suivi, mais depuis nous nous sommes inspirés du test autour de la Transfo pour en faire à partir de 2011 un nouveau programme mené dans 4 autres Régions (Champagne-Ardenne, Pays de la Loire, Paca et Bourgogne). Le programme La Transfo a reçu deux récompenses en 2014 (Design Management Award Europe à l’international et les Victoires des Acteurs Publics en France), puis a fait l’objet d’une nouvelle édition en 2016, que nous menons actuellement avec un budget de 2,6M€ dans 10 Métropoles et collectivités en partenariat avec Bloomberg Philanthropies et en réseau avec 25 métropoles du monde entier. Le programme mobilise des dizaines d’intervenants designers et sociologues et plusieurs centaines d’agents publics et d’élus, et inspire aujourd’hui des équipes municipales et gouvernementales partout dans le monde. Pas mal pour ce qui n’était en 2009 qu’un scénario né lors d’un échange pendant la résidence mené à la Région Nord-Pas de Calais !
Mars 2010 : « Innovation sociale et territoriale au Grand Douaisis ». Dans le cadre d’un workshop avec des étudiants de l’ENSCI-Les Ateliers, Strategic Design Scénario (Bruxelles) et la 27e Région en appui réalisent un travail avec le Syndicat mixte du Scot du Grand Douaisis. A l’époque, les médias commencent à titrer sur les entrées de villes, le malaise du péri-urbain, et même « la France moche » pour caractériser les échangeurs, les lotissements, les zones commerciales et autres alignements de ronds-points. Nous décidons de réaliser un travail exploratoire avec le syndicat mixte pour mener une petite enquête de terrain et imaginer des scénarios alternatifs, à base d’innovation sociale et d’approches alternatives. On peut retrouver quelques traces de ce travail ici.
Octobre 2010, « L’Echantillonneur de lycées ». Fin 2010, la Région Nord-Pas de Calais réfléchit à un nouveau référentiel pour la programmation de ses lycées à l’échéance 2030. Mais comment sortir des visions en silos, additionnant les visions réglementaires, fonctionnelles, architecturales, pédagogiques, économiques, culturelles et sociales sans jamais réussir à les articuler entre elles ? Comment penser les lycées en se mettant dans les peau des usagers du futur, lycéens, enseignants, parents, équipes administratives ? Quels lycées voulons-nous pour demain ? A partir de plusieurs résidences déjà réalisées dans des lycées, la Région Nord-Pas de Calais et Champagne-Ardenne se sont associées à la 27e Région et aux élèves de l’ENSCI pour concevoir ensemble un nuancier de propositions, détaillées en images, scénarios et projections, et pouvant prendre la forme d’un livret, d’une présentation powerpoint, ou d’une exposition. Il comprend des pistes prospectives mais aussi des études de cas de projets ou de programmes innovants menés en Europe. L’échantillonneur vise autant à donner un référentiel d’idées innovantes aux acteurs qui inventent le lycée aujourd’hui, qu’à outiller la décision politique. Il vise également à remettre l’usager (étudiant, enseignant, parent ou intervenant) au coeur des politiques éducatives. Une petite vidéo permet de comprendre son fonctionnement. Sylvain Petit, directeur adjoint aux formations initiales encore en poste aujourd’hui, s’est servi de l’Echantillonneur pour co-produire avec agents et élus la programmation qui concerne les 257 lycées alors existant sur le territoire du Nord-Pas de Calais.
Janvier 2011 : « Habiter Wazemmes ». Fin 2010, la Ville de Lille entend parler de Territoires en Résidences, et sous l’impulsion du tissu associatif (le Méso Asso Métro et l’association ArtZémois, et l’opération Les fenêtres qui parlent), nous décidons de travailler sur les phénomènes de gentrification dans le quartier de Wazemmes et sur la participation des habitants. L’équipe de résidents est composée des designers Julien Defait (qui rejoindra ensuite la 27e Région), Marie Coirie (actuellement co-fondatrice du labo d’innovation du Groupement territorial hospitalier Paris – Psychiatrie et neurosciences) et Perrine Boissier, de la sociologue Pauline Scherer (qui coordonnera plus tard avec nous l’ouvrage Chantiers ouverts au public) avec en renfort François Jegou, fondateur de Strategic Design Scenario, et Marion Barreau, médiatrice culturelle. Au terme de la résidence, trois pistes de projets ont pu être testées : « espaces publics à partager », ou comment permettre aux habitants de Wazemmes de disposer temporairement d’un « morceau » d’espace public pour mener une action collective de leur choix ; « un média de rue », ou comment faire parler le quartier au quartier ; « les balades de Wazemmes », ou comment inventer de nouvelles manières de découvrir le quartier et ses habitants. La résidence est à l’origine du développement de la Veilleuse, un réseau d’entraide de quartier.
Septembre 2012, « Local Public Design ». La 27e Région choisit Tourcoing pour organiser un grand séminaire créatif international sur le design appliqué aux politiques publiques locales. Outre les français, les participants viennent également du Royaume-Uni (SILK, Nesta), du Danemark (MindLab), de Finlande, de Tunisie (Université de la Manouba), d’Australie (Think Place) et de Belgique (Strategic Design Scenarios). Le compte-rendu illustré tiré de l’événement comprend une liste de cas et des retours d’expérience qui en font un matériau encore utile aujourd’hui.
Janvier 2016, « Cours d’innovation et design des politiques publiques à Sciences Po Lille ». Pour la première fois, des élèves de Sciences Po vont pouvoir se familiariser avec le design. Strategic Design Scenarios conçoit un cours destiné aux élèves de Master dans lequel ils vont faire l’apprentissage des concepts et méthodes du design, tester eux-mêmes des outils, et toucher du doigt les modalités pratiques d’application sur le terrain à travers une série de cas d’études à différents niveaux de gouvernance locale, nationale et internationale, dont ceux menés avec la 27e Région, ou dans le cadre du réseau d’écoles de design DESIS, ou d’expériences menées dans des administrations et des organisations étrangères.
Et maintenant ?
Toutes ces réalisations, ces événements et ces formations ont été l’occasion pour des dizaines, voire des centaines de jeunes (et moins jeunes !) professionnels, agents et élus de découvrir les collectivités de l’intérieur, de se professionnaliser et de faire émerger l’activité du design appliqué aux politiques publiques. Les liens entre les acteurs lillois et la 27e Région ont ensuite continué à se développer : le groupe POP, référence sur les questions d’innovation sociale et numérique dans les Hauts-de-France, fait partie depuis 2015 du conseil d’administration de la 27e Région ; la 27e Région est intervenue début 2017 à l’ISEN Yncréa, école d’ingénieur au sein du réseau de l’Université Catholique de Lille, aux côtés d’Olivier Irrmann. Et en Janvier 2017, la MEL a adhéré à la 27e Région en vue de s’engager dans la Transfo, rejoignant ainsi un réseau de collectivités déjà engagées, dont la Communauté urbaine de Dunkerque, Paris et Mulhouse. Une aventure commune débutée il y a presque 10 ans, et qui pour notre plus grand plaisir devrait normalement se poursuivre encore longtemps !
Petit ajout du 13 mars. Last but not least, on nous signale dans l’oreillette une autre collaboration lilloise : La Ville de Lille est partenaire d’un travail de prospective que nous venons de conduire dans le cadre du programme Les Eclaireurs, consacré cette fois aux « solutions numériques frugaux » !