CityLab à Mexico, entre deux mondes…

Posted on 21 novembre 2024 par Sylvine Bois-Choussy

En octobre dernier, on s’envolait pour CityLab, la rencontre annuelle organisée par Bloomberg Philanthropies qui se déroulait cette année à Mexico. Il y a un petit air d’un autre monde à raconter aujourd’hui cette immersion avec nos collègues américains, alors que les résultats des élections présidentielles n’étaient encore qu’en point d’interrogation, tandis que le Mexique venait d’élire coup sur coup une nouvelle présidente, et une nouvelle maire pour sa capitale, l’une et l’autre revendiquant un agenda progressiste et féministe…  Transformation sociale et urbaine à Mexico, justice climatique dans les villes américaines, usage de l’IA au service des projets d’innovation… : voici un florilège de pépites qui résonnent chacune différemment avec nos préoccupations du moment.

 

De la performance et du féminisme en politique…

En juin dernier, Claudia Sheinbaum, scientifique ex-membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies, proche de l’ancien président Andrés Manuel López Obrador, portée notamment par ses actions en faveur du droit des femmes dans un pays où le nombre de féminicides bat des records, était élue présidente. Parmi les faits d’armes de celle qui a passé la moitié de sa vie à travailler comme chercheuse et l’autre à des responsabilités politiques de premier plan, sa participation à l’emblématique « gouvernement légitime », un shadow cabinet crée par le candidat López Obrador lors des élections présidentielles de 2006. A l’issue d’un scrutin extrêmement serré, sur lequel planent des suspicions de fraude électorale, López Obrador ne reconnaît pas la victoire du candidat de droite, Felipe Calderón. Dans l’attente du verdict du tribunal électoral, il organise un immense campement devant le palais présidentiel ; celui-ci rassemble, en pleines vacances scolaires, les sympathisant.e.s indigné.e.s de tout le pays : on y débat, on y danse, on y joue, on y mange. Lorsque le tribunal tranche finalement en faveur du candidat de droite, López Obrador crée un « gouvernent légitime » composé de 8 ministres, 4 hommes et 4 femmes, dans lequel Claudia Sheinbaum hérite du portefeuille de la « défense du patrimoine national ». Elle initie alors dans tout le pays, notamment dans les régions oubliées par le gouvernement central, des mobilisations qui poseront les bases territoriales du parti du Mouvement de régénération nationale – Morena (par ex. la brigade des Adelitas, un mouvement de femmes en opposition à la privatisation de la compagnie nationale pétrolière).

Ancienne maire de la capitale, elle y a développé les structures d’aide aux femmes (garderies, cantines, laveries…), amélioré le salaire et la formation des policiers et policières pour faire baisser la criminalité, créé des parquets spécialisés dans les féminicides et monté tout un réseau d’avocates spécialisées, porté une attention particulière aux violences sexistes et sexuelles au sein de la police. A l’agenda de la présidence : la mobilité urbaine, la lutte contre la gentrification, la rénovation des écoles publiques, le système de soin ou encore l’accès à l’eau, mais aussi la lutte contre les cartels de la drogue et l’insécurité, dans un pays où une trentaine de candidats au Congrès et aux élections municipales ont été assassinés pendant la campagne.

Des UTOPIAS pour forger la résilience des quartiers

Parmi les projets emblématiques de Clara Brugada, la nouvelle édile de la 6e ville la plus peuplée du monde, celle-ci compte bien étendre à l’ensemble de la capitale le programme des 16 Utopias qui ont fait le succès de son mandat (2018-2023) en tant que maire  d’Iztapalapa, banlieue autrefois connue pour son taux élevé de criminalité et sa densité…  Les UTOPIAS y sont des espaces communautaires offrant des services et équipements gratuits et ouverts à tou.te.s, animés pour certains avec les habitant.e.s : cours de musique, laveries automatiques, centres de traitement de la toxicomanie,  fermes à papillons… Quelques-uns sont plus spécifiquement dédiés à certaines populations, aux femmes par exemple. Ils reposent sur le pari que le renforcement des liens de proximité, de la santé mentale, du rôle des femmes, sont des facteurs de résilience. « Lorsqu’une communauté est bien organisée et qu’elle dispose d’espaces publics où les gens peuvent interagir, ces derniers sont mieux organisés pour faire face à des problèmes tels que les urgences sanitaires. Ces espaces de dialogue renforcent les gens et améliorent leur santé mentale. »

 

Quelle transition juste dans les villes américaines ?

La Fondation Bloomberg lance une nouvelle cohorte de 25 villes américaines travaillant sur le sujet de l’atténuation du changement climatique avec une attention particulière à la place des populations discriminées dans ces politiques. Chaque ville recevra un appui stratégique et technique, notamment pour mobiliser des fonds fédéraux, et pourra constituer une équipe d’innovation avec des compétences d’analyse de données, de design, d’approche systémique, de gestion de projets.

Parmi les thématiques au travail :  le développement de logements abordables (Savannah), la rénovation énergétique (Atlanta), la production alimentaire locale (Atlanta), l’amélioration de l’accès à l’énergie propre (Nashville), le soutien à l’entreprenariat des populations discriminées dans les secteurs de la transition (Nashville, Oakland), les initiatives de verdissement au bénéfice des populations discriminées (Oakland), la lutte contre les innondations, notamment dans les quartiers les plus pauvres (Savannah), l’investissement dans les véhicules électriques et les infrastructures, …

Cela fait évidement écho à nos échanges récents sur des sujets proches ; le programme et les villes en sont tout juste à leur démarrage, mais nous organiserons de nouvelles conversations. En attendant, quelques ressources pour en savoir un peu plus sur le mouvement américain pour la justice climatique et ses enjeux actuels.

 

Que peut l’intelligence artificielle générative pour les équipes d’innovation ?

Utilisation de capteurs pour surveiller les niveaux de remplissage des poubelles et optimiser les itinéraires et les horaires de collecte de déchets (Barcelone, Espagne)  ; Anticipation des besoins de maintenance de la voirie (San Diego, USA)  ; Plateforme en ligne pour collecter et analyser les propositions des habitants face aux défis urbains (Reykjavik, Islande) ; Traduction multilingue en direct des échanges lors de réunions publiques (San Jose, Gilroy, North Las Vegas – USA)… On voit émerger aujourd’hui dans les villes des usages variés de l’IA ; s’il faut se garder de regarder les problèmes urbains sous le seul angle technique (comme le soulignait Aissia Kerkoub, DGA de la Ville de Lyon dans un récent article), développer une culture réflexive de l’IA passe aussi par la pratique, pour en tester le potentiel comme les limites..

Dans ce sens, l’Innovation studio, qui rassemblait les 120 responsables de l’innovation de 90 villes soutenues par la Fondation, était consacré à l’expérimentation de l’IA générative dans la conduite de projets d’innovation. Le défi : prototyper des solutions de réduction des îlots de chaleur urbain pour la ville fictive de Sunville. NB pour les plus techno-béotiens : l’IA générative, c’est la catégorie d’IA qui se concentre sur la création de données, de contenu ou de choses artistiques, de façon indépendante ; elle diffère de l’IA classique, qui se concentre sur des tâches spécifiques telles que la classification, la prédiction ou la résolution de problèmes. Nous avons donc suivi un script (à retrouver ici si vous avez envie de faire l’expérience) qui nous a permis de tester et comparer différentes IA pour travailler à la définition des problèmes, à l’idéation et au prototypage. L’exercice a permis de glaner des conseils pour  tirer le meilleur parti de la recherche :

  • être le plus précis possible sur la tache attendue (un résumé en 10 points, une liste de 15 meilleures pratiques, un haiku…)
  • Spécifier le contexte de la demande, les informations dont on dispose déjà, des exemples (quel est le but final, quelles sont les idées existantes, …?)
  • Mentionner à qui doit s’adresser la production (aux habitant.e.s de tel quartier, à une élue, à un réseau militant, …)
  • Ne pas hésiter, après une première réponse, à préciser une attente supplémentaire pour aller plus loin.

Le fait de dédier du temps, de manière collective, à l’exercice, permet de réaliser à quel point les niveaux de culture et d’usage de l’IA générative au sein des administrations sont variés et reposent souvent plus sur une pratique individuelle que sur une démarche collective. A titre personnel, si l’usage m’a semblé assez bluffant pour la phase de qualification d’un problème (produire une liste qualifiée des personnes potentiellement concernées par une situation par exemple), la génération d’idées nouvelles semble plus limitée (nous sommes resté.e.s dans le scope des bonnes pratiques existantes, avec un biais un peu techno-solutionniste…).

L’expérience, qui a aussi permis de souligner rapidement plusieurs biais (pourquoi tout le monde est-il blanc sur l’image ?), les failles (comment vérifier les données pour éviter les hallucinations ?), … donne envie de poursuivre la conversation : comment porter une culture de l’IA mieux distribuée au sein des administrations, au-delà des équipes d’innovation (mais aussi en termes de genre, d’âge, de niveau de responsabilité, etc.) ? De quelle manière adresser son impact sur les métiers (disparition de certaines taches, création de nouveaux besoins, … ) ?  Quels usages prioriser en tenant compte de l’empreinte carbone (énorme) de cette technologie ? Comment construire ou adapter l’IA aux spécificités de l’action publique ? Pour répondre à certaines de ces questions, la ville de San José a initié en 2023 une coalition de villes pour une usage responsable de l’IA, notamment pour partager des chartes internes, des guides de marchés publics relatifs à l’IA, des cas d’usages, etc.