
Cet article reprend, avec son accord, l’analyse publiée sur Linkedin par Aissia Kerkoub, directrice générale adjointe de la Ville de Lyon et membre de notre Conseil d’administration, suite à son intervention, aux côtés d’Akim Oural et d’Alexandre Jost, dans une table ronde animée par Hugues Perinel lors du dernier Congrès du SNDGCT Syndicat Professionnel à Tours. Un point de vue pertinent et étayé que l’on partage, et qui vient utilement prolonger notre précédent article Que peut vraiment l’IA pour l’action publique ?
Intelligence Artificielle et collectivités : d’abord un projet de transformation
L’intégration de l’IA dans nos collectivités locales est une démarche complexe qui requiert un cadre de valeurs aligné sur des engagements éthique, écologique et de qualité de vie au travail. La technologie est un outil, mais c’est avant tout une transformation humaine qui doit être pilotée avec une vision stratégique.
- Aborder l’IA comme un projet de transformation stratégique
Comme tout projet de transformation, intégrer l’IA dans une administration nécessite de repartir du « pourquoi ». Pourquoi recourir à l’IA, quels seront nos cas d’usage prioritaires et quels seront les usages dont on se passera en conscience ? - Le défi éthique : une approche responsable de l’IA
Pourquoi et comment utiliser l’IA ? Où ne pas l’utiliser ? Par exemple, dans le recrutement, certaines applications d’IA promettent de trier des CV de manière plus rapide. Mais comment s’assurer que ces outils ne reproduisent pas les biais humains ? En omettant des profils atypiques, l’IA pourrait involontairement exclure des talents capables de transformer nos administrations. - L’impact écologique de l’IA, une dimension souvent négligée
La puissance de calcul et le stockage massif des données nécessaires aux technologies IA impliquent une consommation énergétique significative. Pourtant, l’empreinte écologique est un facteur qui reste peu abordé. Pour une collectivité locale, intégrer l’IA en tenant compte de l’empreinte carbone peut signifier prioriser les usages de l’IA ayant un impact positif sur les objectifs de transition écologique. Cette dimension devient d’autant plus importante avec l’augmentation continue des besoins énergétiques des géants de la tech, qui envisagent même de rouvrir des centrales nucléaires pour répondre à ces exigences. - Vers une prospective des métiers dans la fonction publique territoriale
L’introduction de l’IA va redéfinir des métiers, non seulement en automatisant certaines tâches mais aussi en créant de nouveaux besoins. Quel impact sur les métiers de demain ?
L’Intelligence Artificielle et le risque de “fainéantise organisationnelle” dans les collectivités
L’IA promet de réduire considérablement le temps nécessaire à de nombreuses tâches administratives, mais cette facilité peut aussi nous conduire à négliger une question essentielle : avons-nous encore besoin de réaliser cette tâche ? Produit-elle de la valeur pour l’usager ou pour nos agents ?
Ce que j’appelle le « risque de fainéantise organisationnelle », c’est la tentation de s’engouffrer dans l’utilisation de l’IA pour exécuter des processus plus rapidement, sans nous poser les bonnes questions sur leur pertinence.
Trop souvent déjà, digitaliser un processus signifie simplement le reproduire tel quel dans un nouvel outil, sans en interroger le bien-fondé ni le simplifier au préalable. Un exemple : avant de déployer un nouveau logiciel de gestion des délibérations, nous avons pris le temps de repenser le processus. Pourquoi ? D’abord parce que le plan de mandat lyonnais portant une ambition forte en matière de sobriété numérique, notre élu nous a poussé à simplifier avant de digitaliser en ayant en tête de limiter l’empreinte écologique de l’outil en le réduisant aux besoins essentiels.
L’IA doit être un levier de transformation, pas un moyen d’éviter de repenser notre organisation. Avant tout projet IA, posons-nous ces questions : Cette procédure est-elle encore pertinente ? Peut-elle être simplifiée ? Est-ce que cette tâche produit vraiment de la valeur ajoutée pour nos usagers ou pour nos agents ?
L’IA peut nous offrir des gains de temps considérables, mais elle doit d’abord être l’occasion de réinterroger nos façons de travailler. Ainsi, chaque initiative IA devient une opportunité pour améliorer notre efficacité et notre impact.
IA dans les collectivités : un projet éthique et social
L’intelligence artificielle (IA) est souvent perçue comme une technologie prometteuse pour optimiser les services, tant pour les agents que pour les usagers. Mais au-delà des gains d’efficacité, quels impacts l’IA pourrait-elle avoir sur les métiers et sur le lien social que nos collectivités s’efforcent de préserver ?
IA et métiers dans les Collectivités : plus de tâches, mais aussi plus de pressions ?
Dans les scénarios les plus optimistes, l’IA remplacerait des tâches, non des emplois. Dans un cas comme dans l’autre, deux points méritent une attention particulière :
- Le transfert des tâches répétitives pourrait paradoxalement intensifier la charge de travail en supprimant des moments de décompression essentiels, ce qui pourrait aggraver la surcharge cognitive des agents, en particulier pour les cadres.
- Les métiers liés à des parcours de reclassement ou d’insertion sociale ne risquent-ils pas de disparaître si l’IA prend le relais ? Autant de postes qui jouent un rôle social essentiel, voire agissent, d’un point de vue économique, comme un amortisseur pour l’emploi local.
IA et lien social : pour un service public inclusif et humain
Nous l’avons vu avec la dématérialisation des services : l’exclusion numérique est une réalité, et cela pose la question de la part d’humanité que nous voulons préserver dans nos services publics. Si nous n’y prenons pas garde, l’humain dans nos services publics va devenir un vrai luxe que seules les collectivités les mieux dotées pourront se payer.
L’importance d’une gouvernance éthique et responsable de l’IA
La mise en œuvre de l’IA ne peut pas être simplement un choix technologique, mais doit s’intégrer dans un cadre de gouvernance tenant compte des valeurs portées par chaque exécutif et idéalement, des attentes des habitants. Cette gouvernance doit concilier les gains de productivité avec des enjeux éthiques, sociaux et écologiques. Un cadre de débat citoyen pourrait être une voie pour ajuster les choix en fonction des valeurs de la collectivité.