Immersion in public design : Penser la nouvelle fabrique des politiques publiques

Posted on 1 juillet 2015 par lucilleguitton

La 27e Région et le MindLab danois co-organisaient les 18 et 19 juin derniers « Immersion in Public Design », un workshop international qui réunissait à Paris une quarantaine de pionniers de l’innovation publique (1) venus des USA, du Canada, du Mexique, du Chili, du Danemark, de Grande-Bretagne, de Belgique et bien sûr de France. Le workshop, qui se déroulait dans le cadre du programme Design for Europe, visait à imaginer des façons d’innover de façon plus systémique dans nos organisations publiques, et repartait de cas réels fournis par les participants. La première journée se déroulait en plein air, dans les jardins du Ministère de la décentralisation et de la fonction publique, à partir d’une installation spécialement conçue, et la seconde à Superpublic, coworking spécialisé dans l’innovation publique dans le 11e arrondissement de Paris. Le vendredi après-midi, une autre session a également réuni les mêmes participants à l’invitation de l’OCDE, pour poser les bases d’un futur programme international d’échange et de partage entre laboratoires d’innovation publique du monde entier.

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Que peut-on retenir de ces deux intenses journées ? Si le succès des workshops s’apprécie en fonction des grandes transformations qu’ils parviennent à mettre en lumière, « Immersion in Public Design » était l’un de ceux-là. Aux nombreux échanges se sont ajoutés quelques interventions marquantes : celles de Sarah Schulman (InWithForward), de Charles Leadbetter, de François Jegou (Strategic Design Scenarios), ou encore de Giulio Quaggiotto (Nesta) pour ne citer qu’eux. Plus que des enseignements génériques ou définitifs, voici quelques tendances entendues ça et là.

Parier sur la diversité des contextes.

Comme en attestait la participation au workshop, les initiatives viennent de toute la planète et sont d’une très grande diversité : les échelles sont diamétralement opposées (Ville de Mexico, Région de Pays de la Loire, Ministère américain, service de la Commission européenne), les finalités et les angles d’attaque varient (de l’innovation sociale « low tech » au numérique et à l’open data), les niveaux d’expériences fluctuent (de quelques mois d’expériences à presque 15 ans d’ancienneté comme le MindLab danois), et surtout les cultures politiques, économiques, sociales et culturelles sont très différentes, voire difficilement comparables. Comment comparer deux pays, quand le nombre d’habitants de l’un équivaut à celui d’une métropole de l’autre ? Peut-on comparer les besoins de transformation d’une petite administration locale avec une administration nationale ? Certainement pas. Pourtant, il était frappant de voir toutes ces initiatives parier sur la même tendance en faveur de l’innovation par les usages et la co-conception croissante des politiques publiques.

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Re-penser les objectifs politiques des réformes

Personne ne semble se satisfaire de l’adage simpliste « faire mieux avec moins » pour caractériser toute nouvelle réforme. D’abord, quel mieux ? et quel moins ? Dans un monde devenu complexe, la formule la plus simpliste est souvent la plus mauvaise. Qu’est-ce qui nous empêche véritablement de travailler sur la base d’une équation moins manichéenne et plus équilibrée, qui comporte non seulement des critères de performance budgétaire, mais aussi d’autres critères producteurs de sens, comme l’amélioration de l’expérience pour les utilisateurs, la plus value démocratique, la transparence, l’autonomie des personnes, ou encore le gain sur le plan écologique ou social ?

Penser une nouvelle fabrique des politiques publiques

Des débats existent encore sur le potentiel et les limites du design ou de l’ethnologie dans ces démarches. Mais il faut maintenant aller au delà. Chacun s’accorde pour dire qu’il ne faut ni sacraliser ces méthodes (Charles Leadbeater), ni à l’inverse y voir de simples outils supplémentaires dans la panoplie des méthodes d’innovation (François Jegou). L’enjeu est davantage de s’inspirer de ces pratiques pour réaliser des changements plus structurelles au coeur-même de la « fabrique des politiques publiques ». Par exemple, en quittant la culture de l’excellence pour cultiver, avec les agents et les élus, celle de l’ingéniosité ; en introduisant des zones d’essai-erreur, de « crash-test » comme en Pays de la Loire, et de réflexivité sur tout le parcours d’une politique publique ; en faisant évoluer les logiques de performance vers des logiques de coopération et de production de sens ; en repartant des populations les plus éloignées pour ré-interroger l’efficacité du système (Sarah Schulman) ; en faisant radicalement évoluer les routines politiques et administratives, de la mise à l’agenda à l’évaluation des politiques publiques ; en pensant la mise à l’échelle et la généralisation comme un processus viral, en réseau, voire un processus d’évolution (François Jegou, Giulio Quagiotto) ; en considérant ces formes d’innovation comme de nouvelles pratiques professionnelles, à revaloriser par rapport aux compétences juridiques et gestionnaires plus classiques (Jesper Christiansen). 

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Professionnaliser l’innovation publique

Dans ce contexte, les « labs », ces nouvelles équipes pluridisciplinaires installées au coeur des institutions publiques apparaissent comme des zones où ces pratiques sont protégées et encouragées. Ils font partie de ces nouveaux dispositifs un peu étranges destinés à penser les nouvelles normalités (Charles Leadbeater) et à préparer le secteur public à un contexte durable de résilience (Thomas Prehn). Les questions portent moins sur leur principe que sur les conditions de leur mise en place et de leur développement : comment créer une gouvernance et un modèle de financement qui leur donne à la fois suffisamment de légitimité institutionnelle pour jouer un rôle actif, mais aussi suffisamment d’autonomie pour avoir les mains libres ? Bref, comment institutionnaliser sans perdre le côté pirate ? Comment créer des alliances en interne et des partenariats en externe pour ne pas se retrouver isolé dans l’institution ? Où commence le travail du lab, et où s’arrête t-il ? Comment faire mieux converger les différents champs de l’innovation au sein des labs ? (digital, innovation sociale, participation citoyenne, etc). Des retours d’expérience existent, et la plupart prônent par exemple une montée en puissance progressive, étape par étape, en faisant la preuve du concept. Mais la communauté exprime le besoin de mieux partager les pratiques de chacun, de s’échanger des stratégies, mais aussi des tactiques et des « trucs » pour y parvenir.

Prochaine étape :

LabWorks, à l’initiatives du Nesta, rassemblera à Londres les 9 et 10 juillet prochains près 40 des 100 laboratoires d’innovation publiques actuellement comptabilisés dans le monde. Nous y serons ! 

Stéphane Vincent, Délégué Général de La 27e Région

(1) Parmi les participants : OPM Lab (USA), Central Innovation Hub (CAN), LabGob (Chili), Nesta (GB), Laboratorio Para La Ciutad (Mexico), MindLab, ministère de l’économie, ministère du travail, ministère de l’éducation, ville d’Odense (DK), OCDE (FR), Région Pays de la Loire, Région Paca, Ville de Paris, Ville de Nantes, SGMAP, La 27e Région, la Fabrique de l’Hospitalité, Plausible Possible, Care & Co (FR), Joint Research Center, Strategic Design Scenarios (BEL), etc.

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La Fabrique de l’Hospitalité

La Fabrique de l’hospitalité est un service de la direction générale des Hôpitaux universitaires de Strasbourg qui a pour objet de favoriser la co-création des agents hospitaliers et des usagers afin d’améliorer la prise en soin des patients et de leurs proches avec des outils issus des sciences humaines, de la création en général et du design en particulier.

Nous échangeons depuis de longues années avec l’équipe de la 27ème Région sur nos réflexions et nos pratiques et la participation à ce type de rencontres est toujours riche d’enseignements. Nous y apprécions tout particulièrement de pouvoir décadrer notre pensée en la frottant à d’autres cultures sociales et politiques grâce à la dimension internationale de la rencontre mais aussi à des thématiques et à des échelles différentes. L’apport peut aussi être très technique, lorsque au détour d’une pause-café, nous échangeons sur la question de l’innovation dans les marchés publics et prévoyons de revoir certains participants afin de creuser la question ensemble. La richesse de ces rencontres, c’est aussi ce format mixte qui allie ateliers et restitutions ainsi que l’apport d’ « experts » sous forme de mini-conférences que nous avons trouvé particulièrement inspirantes (Sarah Schulman, Charles Leadbeater)

C’est pour nous une bonne façon de trouver un ancrage et de se situer dans ce qui est en ce moment à l’oeuvre en terme de transformation des politiques publiques. Notre conclusion à l’issu d’un dernier échange avec Brenton Cafin du Nesta, s’avère être que l’élaboration de ces politiques avec les usagers nécessite un apprentissage de la collaboration de la part des citoyens mais aussi un changement profond du rapport au pouvoir de nos élus et dirigeants qui est encore quasiment inexistant dans les formations actuelles, de la maternelle à l’enseignement supérieur…

 Barbara Bay

Plus d’infos sur cet événement ? Découvrez les vidéos et les présentations des intervenants sur le site de RE•ACTEUR PUBLIC.