« Le théâtre des négociations » où comment ré(ver)inventer la COP 21 (2/5)

Posted on 25 novembre 2015 par Margaux Brinet

A l’approche de la fameuse COP – Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques – à la 27e Région nous nous sommes demandés comment nous pouvions nous emparer du sujet ?

Nous avons donc choisi de regarder la Cop 21 comme un formidable laboratoire de nouvelles formes d’engagement et de mobilisation. Nous nous sommes intéressé à cinq projets ayant en commun l’ambition de produire de nouveaux récits collectifs, d’articuler réflexion et action, de remettre en capacité les citoyens.


 

Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas, faire bouger les règles de la communication pour tenter de trouver de nouvelles réponses. « Le théâtre des négociations » s’est tenu du 29 au 31 mai 2015 au théâtre des Amandiers, réunissant plus de 200 étudiants, chacun prêt à se glisser dans la peau d’un délégué à la 21ème Conference Of the Parties (COP). L’objectif n’était pas de trouver une solution miracle au réchauffement climatique… mais d’interroger les modes de représentation. Nous avons rencontré Jean-Michel Frodon, membre du comité pédagogique de SPEAP, programme d’expérimentation en arts et politique, à l’origine du projet.

 théâtre des négo

 

Partis du traité de Lima (réduit à une soixantaine de pages), les délégations ont été amenées à discuter et reformuler de nouvelles solutions.

Pour ce faire, des étudiants des quatre coins du monde ont été invités à participer. Durant 6 jours, il s’est agi de scénariser les discussions entre les 200 négociateurs, ainsi qu’avec les journalistes, les représentants des ONG etc… Il a fallu préparer les étudiants à leurs rôles de futurs délégués. Des comédiens les ont initiés au jeu d’acteur. Des danseurs ont partagé leurs maîtrise du langage corporel pour leur transmettre « des façons de se tenir, des postures, essentielles pour faire entendre son message et ses idées ».

40 délégations de 5 délégués. Un chiffre qui indique un parti pris : « les délégations ne représentaient pas uniquement des pays, mais également des entités non-nationales ainsi que des entités non-humaines ». On retrouvait par exemple : les forêts, les peuples indigènes, l’Arctique/Antarctique, les océans, Internet, la jeunesse, les ONG, les espèces en danger, les ressources carbonifères non extraites, les Villes, … Faire entendre d’autres voix, c’était l’idée même de ce pre-enactement joué par des étudiants. Des étudiants. La jeunesse. Celle qui devra habiter le monde que les dirigeants d’aujourd’hui dessinent. « Ces nouvelles délégations avaient autant de poids que celles des pays. On a aussi donné la parole aux industries. Celles qui, nous le savons, savent se faire entendre lors de ces grandes décisions, mais qu’on ne voit jamais. »

theatre21

Pour rendre possible ces échanges, il fallait scénographier et créer un nouvel espace de travail et d’échanges, qui réponde à cette volonté de changer le cadre des négociations. Par exemple, les chaises ont disparu autour des tables de négociations, pour éviter de s’y endormir. « Les tables pouvaient se transformer en support graphique ou bien devenir des pancartes pour manifester ». C’est le collectif d’architectes RAUMLABOR qui a conçu le mobilier qui allait accompagner l’expérimentation et devenir un véritable outil. « Pour faciliter les échanges, des systèmes de radio locale ainsi que des écrans diffusant en direct le travail des groupes qui le souhaitaient dans certaines salles ont été installés. L’information devait circuler entre les plénières ».

 

 

Pourquoi le théâtre ?

« Les simulations sont un format classique dans les universités. Mais d’habitude, on les utilise pour rejouer des situations qui ont déjà eu le lieu. » Ce qui est innovant, c’est de vouloir créer une nouvelle forme de négociation en cherchant à s’éloigner du cadre qui existe aujourd’hui : « les règles des COP telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui font partie du problème et pas de la solution. Donc tout ce qui permet de les faire évoluer, sans faire n’importe quoi mais en envisageant un déplacement, était permis grâce au théâtre… nous avons eu cette liberté là. »

« Le projet s’inscrit aussi dans l’idée que le théâtre est un lieu de démocratie. » L’assemblée des citoyens, la dramaturgie de l’agora… « L’antiquité pose un cadre de référence qui a un vrai sens. Si on veut interroger, on peut faire une expo photos ou composer une symphonie… mais on s’éloigne de la notion de débat et de politique. Les COP sont une forme de théâtre, il y a de la dramaturgie – particulière et extrêmement codée, mais une forme de dramaturgie ».

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Un projet en partenariat avec l’Institut des Sciences Politiques de Paris

SPEAP (Sciences Po Ecole des Arts Politiques) est un programme créé par le philosophe Bruno Latour. Des chercheurs en sciences sociale et des artistes travaillent ensemble sur des problèmes issus « du monde réel » (collectivités, entreprises, …). Leur but est d’essayer de répondre à ces problèmes en sortant des moyens classiques, « en se représentant différemment les problématiques, grâce à l’expertise des personnes que nous réunissons ». Leur travail repose sur des enquêtes puis une réflexion sur le modèle du pragmatisme qui s’attache à étudier les effets pratiques de nos idées.

SPEAP prépare sa 6ème rentrée en janvier. Les élèves, une vingtaine chaque année, ne sont pas des étudiants de Sciences Po mais sont tous des professionnels. L’année 2014-2015 a été exceptionnelle, car tous les étudiants ont travaillés ensemble sur la préparation de la COP21, à l’initiative, notamment, de Laurence Tubiana, professeure à Sciences Po et négociatrice principale représentant la France à la COP 21.  SPEAP et les étudiants de Sciences Po travaillant sur le projet Make It Work ont conjointement organisé le Théâtre des Négociations grâce au partenariat avec le Théâtre des Amandiers qui a bien voulu ouvrir ses portes pour 6 jours au projet.

Lors de la semaine, des conférences ouvertes au public abordaient des questions environnementales, dont vous pouvez retrouver les sujets en cliquant ici.

 

Un bilan du Théâtre des négociations ?

« Une expérience exceptionnelle à vivre ». Les étudiants ont vraiment travaillé leurs rôles, et se sont véritablement incarnés en délégués. « Même lors des pauses cafés, ils n’arrêtaient jamais ! ». Au-delà de l’intensité du format, il y a eu des crises durant la simulation : des négociateurs se sont rebellés contre le cadre. « Pour eux, c’était encore trop contraignant. » Ils ont toutefois réussi à trouver un terrain d’entente et trouvé ensemble des solutions qui laissaient de la place aux solutions des « dissidents ». Ces solutions sont des textes rédigés dans un langage rompant avec le langage diplomatique. Cela a permis de faire émerger les contradictions, sans interrompre le processus. Pour les étudiants, c’était l’occasion de faire l’expérience de la politique : « mes intérêts ne sont pas les tiens, mais il faut trouver un espace commun à partir de là ». De plus, le théâtre était entièrement ouvert ouvert au public, ce qui a ajouté une dimension à l’exercice : des étudiants-médiateurs performaient la relation, expliquaient ce qu’il se passait. Cet exercice a produit de nombreuses idées en termes de procédures, de manières de se comporter et aussi d’incarner un débat qui pourront être exploités sur d’autres sujets.

Retrouvez le compte-rendu du Théâtre des négociations en cliquant ici.

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Et maintenant ?

Pour SPEAP, c’est terminé depuis le 31 mai. La suite, ce sont les objets et autres opérations sous le label Make It Work.

Sous l’impulsion de Laurence Tubiana, l’initiative circule. Surtout dans les petits pays, les asso etc. … Les étudiants venus de l’étranger sont rattachés à des Universités. Sans surévaluer le projet, on peut imaginer que les ondes circulent et touchent d’autres acteurs de la COP.

« Ce qu’on a fait là, on ne le refera jamais ». Toutefois, certains outils vont pouvoir nous resservir. Le théâtre, notamment, est une ressource forte. « Ce qui est innovant c’est l’assemblage. »  Le lieu de théâtre est une ressource qui va continuer de servir. « Mais SPEAP c’est quand même de répondre au « comment » et ne pas arriver avec des outils pré-déterminés, donc on ne peut pas encore savoir. Mais ça répondait à notre besoin à ce moment là. »

Côté ressources documentaires, un film a été créé et diffusé en avant-première au ministère des affaires étrangères. Il est également disponible en ligne et en VOD. Une expo photo est également prévue.

Sortir du cadre pour reposer les questions, réécrire les règles et construire collectivement les solutions en mobilisant des pratiques artistiques et en s’appuyant sur les techniques du jeu et de la simulation; produire de nouveaux récits et de nouvelles modalités de débat public, les documenter et les diffuser librement, forcément, tout ça, à la 27e Région ça nous parle. Et ça nous donne envie d’explorer le potentiel de ces dispositifs de reenactement et de preenactment, au service de la transformation de l’action publique…

 

Retrouvez ici l’émission de France Culture, qui a retransmis en direct les discours d’ouverture et de fermeture du Théâtre des Négociations