
Toutes les enquêtes récentes le disent (CNFPT 2025) : en France, il y a un besoin général de remise à niveau et de montée en compétences en matière d’innovation publique, notamment s’il s’agit de mieux préparer les futures générations d’agents publics. Or si l’on veut que progressent les compétences en innovation publique dans les prochaines années, alors il faut entraîner dans une forme de « natation synchronisée » les acteurs les plus motivés issus d’une part de l’éducation et de la formation, d’autre part de la recherche, et enfin les praticien.ne.s de terrain.
C’est autour de cette hypothèse aquatique que nous avons lancé la Synchro, un nouveau programme expérimental mené avec le CNFPT jusqu’en 2027. La première journée se déroulait au laboratoire pédagogique du CNFPT à Paris, et rassemblait une soixantaine de participant.e.s, venus de la formation publique et privée (Sciences Po, CNFPT, INET, INSP, École de design Nantes Atlantique, EHESP, DITP, Cerema, Open Consulting …) de la recherche (Politecnico de Turin, Laboratoire ERPI de l’université de Lorraine, Sciences Po Lyon, chaire Transformations de l’Action Publique, Association Practhis ) et de la communauté despraticien.ne.s (département du Val dOise, ville de Nancy, Eurométropole de Strabsourg, Région Bourgogne Franche-Comté, Région Grand Est, Ville de Clermont– Ferrand, Région Occitanie, Département de l’Isère, ministère de l’économie, ministère des transitions, Eurométropole de Metz, Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, ville de Nanterre, Quadrant Conseil et Ateliers RTT). Nous revenons dans cet article sur la journée, sur les retours et les enseignements que nous en avons tiré, et enfin sur les suites de la Synchro.

RÉCIT D’UNE PREMIÈRE JOURNÉE DE BAIGNADE
Dans le grand bain de l’innovation publique…Cette première journée avait valeur à la fois de lancement et de test, avec pour thème une question principale : Par quoi commencer ? Ou plus précisément, quelles sont les connaissances minimales à acquérir quand on débute dans le monde de l’innovation publique ? Pour commencer à y répondre, nous nous sommes d’abord demandés si nous étions en mesure de relater l’histoire de l’innovation publique. Notre tout premier travail a donc consisté à produire collectivement, en mode « sprint », une frise chronologique de l’histoire de l’innovation publique, depuis l’après-guerre jusqu’à la présidence Macron. Un sacré défi, même si nous avons déjà utilisé ce procédé dans le passé.
Apprendre du passé. Une fois réalisée, nous avons commenté cette frise. Que nous dit-elle des évolutions successives de la réforme de l’État, des faits remarquables qui ont affecté l’innovation et la transformation du secteur public, les programmes phares, les moments où les choses ont basculé ? Les retours des participant.e.s sont plutôt positifs : « c’est une bonne remise en contexte de l’innovation publique dans l’histoire récente », « ça permet de présenter l’innovation publique non pas comme quelque chose de neuf, sorti de nul part, mais dans la continuité de l’action administrative de toujours. ». Plusieurs participant.e.s pointent les usages pédagogiques qui pourraient être faits de cette frise : identifier et approfondir des changements passés, et en tirer des enseignements pour aujourd’hui, ou encore revisiter de « vieilles » innovation et donner la parole aux historien.ne.s pour qu’ils l’éclairent sous l’angle de l’innovation publique. A nous d’imaginer un format (poster, jeu de plateau, articles ou interview en réaction à la frise, etc), qui permette de faciliter de tels usages de cette frise chronologique….
Nage synchronisée autour des connaissances. La seconde séquence visait à vérifier si nous étions d’accords sur le périmètre des connaissances à acquérir quand on débute dans l’innovation publique. Pour le savoir, les participant.e.s se sont répartis les chapitres d’un livret sur l’innovation public niveau « débutant » créé pour l’occasion par la 27e Région, à partir de sources scientifiques et pédagogiques françaises et internationales existantes. Nous avons recueilli leurs réactions pour chacun des 13 chapitres du livret, depuis « Qu’est-ce que l’innovation publique ? » jusqu’à « Quels obstacles et comment les dépasser ? »).

Parmi les pistes permettant de le faire évoluer, on retient notamment :
- Davantage expliciter la finalité transformatrice de l’innovation, pour l’organisation mais aussi pour l’agent.e lui même dans sa quête de sens, dans sa capacité à prendre des initiatives ;
- Le besoin d’y ajouter des exemples concrets (pour bien comprendre ce qu’est un problème systémique, ou pour illustrer la théorie par le terrain), et représentatifs des nuances de l’innovation publique (étatique, territoriale, hospitalière) ;
- Un intérêt pour les penseurs de l’innovation (« Sur ma to do list : relire les auteurs de l’innovation : plonger dans le grand bain ça redonne de l’énergie »), qui peut être à compléter (Bruno Latour, Jérôme Denis, Isabelle Stengers, Arturo Escobar …) ;
- Avant de se lancer dans l’exploration de ce qu’on ne sait pas encore et qui pourrait constituer des priorités de recherche, donner accès à toutes le connaissances disponibles (« énormément de recherches et de connaissances existent déjà ») et organiser la convergence des luttes entre disciplines et entre acteurs scientifiques, associatifs, publics… ;
- Mettre dans un matériel pédagogique ce à quoi on peut s’attendre quand on se lance dans ce type de démarche d’innovation, et l’intermédier (l’attente VS réalité en quelque sorte, sans quoi les mises en gardes peuvent être décourageantes) ;
- Donner les usages possibles des outils partagés (facettes de l’OCDE, cartographie des courants de l’innovation publique…), et permettre aux praticien.nes d’identifier leur place dans ces cadres ;
- Au delà des disciplines mobilisées, mettre en avant les compétences de l’innovateur.rice public.que,notamment la capacité à comprendre et mobiliser ces dernières selon les problématiques et sujets ;
- Permettre la montée en maturité des innovateur.rices : avec un travail de vulgarisation (des concepts, des méthodes, des théories) pour bien démarrer.
Éviter la noyade grâce à la bouée de l’innovation publique. La troisième séquence -un peu escamotée faute de temps- visait à tester une boussole pour aider tout débutant.e à se repérer dans les possibilités offertes par l’innovation publique. Nous sommes partis des « facettes de l’innovation publique », une matrice organisée autour de deux axes conçues en 2019 par l’Observatoire de l’innovation publique de l’OCDE. En terme d’usages, la boussole permet de donner à voir toutes les manières dont on peut traiter un problèmes, tout en prenant consciences des directions et biais vers lesquels nous poussent des méthodes et outils, mais aussi déterminer si les capacités et compétences mobilisées dans un projet répondent bien au besoin.
Les meilleurs retours viennent des praticien.ne.s débutant.e.s, les acteurs vétérans la trouvent plus limitée : « ‘outil de l’OCDE et le schéma de l’ensemble des domaines de compétences (techniques, pouvoir d’agir…) qui bien qu’ils ont pu faire débat chez les « expert.e.s » sont de très bonnes ressources pour donner quelques billes aux novices. »
Retour de baignade. Qu’ont pensé les participant.es de cette journée ? Dans l’ensemble, le contenu de la journée a convaincu (3/4 des répondants la plébiscitent), mais quelques faiblesses ont été pointées sur le lancement : en ouverture de la journée, certains auraient un tempsd’interconnaissance ainsi qu’une attention plus forte à clarifier les objectifs de la journée « en termes d’atterrissage des réflexions et de livrable ». Une confusion pouvait exister entre les objectifs de la Synchro, ceux des formations existantes, ceux des livrables, etc. Pour autant les participants semblent prêts à reconduire l’exercice.

QUELLE THÉORIE DE CHANGEMENT POUR LA SYNCHRO ?
Quels effets sont attendus de la Synchro, pour qui, comment, à partir de quels indicateurs de succès ? La théorie de changement de la Synchro reste à approfondir, mais plusieurs des paris au cœur de la Synchro ont fait l’objet de commentaires et de propositions au cours de la journée.
Publics débutants et publics experts. Plusieurs participants proposent de distinguer deux cas d’usages, avec leurs besoins spécifiques : les nouveaux arrivant.e.s d’une part (construire un « corpus » théoriques/courants/méthodes pour offrir des repères communs, une sorte de culture métier), les personnes plus aguerries d’autre part (approfondir, progresser, sujets plus complexes, etc). Dans tous les cas, plusieurs participants pensent qu’il faut continuer à penser débutants : « Garder cette capacité à recenser et structurer un domaine foisonnant, au risque sinon que « les nouveaux arrivants » se noient dans des contenus ou des propositions pléthoriques » ; « J’apprécie ce qui a été mentionné concernant la vulgarisation comme point de départ. Vulgariser le champ des possibles afin de permettre à chacun de mieux comprendre, puis l’élargir progressivement en montrant la diversité des pratiques et applications concrètes me semble pertinent. Le domaine de l’innovation et ses acteurs étant vastes, il nécessite une approche accessible pour en saisir la portée réelle. »
Un espace de dialogue entre praticiens, chercheurs et formateurs. Le premier pari que nous faisons est que pour améliorer le niveau des compétences en innovation publique, il nous faut « re-synchroniser » les praticien.ne.s, les chercheur.euse.s et les personnes en charge de l’éducation et de la formation. Les témoignages recueillis durant la journée ont permis de vérifier que chacun de ces pôles en avait besoin :
- Les praticien.ne.s ont besoin d’acquérir sans cesse de nouvelles compétences, et que celles-ci soient à jour avec l’état des connaissances : « J’ai ressenti mon « plafond » sur les aspects théoriques parfois, ça donne des idées de lecture pour les vacances de Noël. »
- De leur côté, les chercheur.euse.s ont besoin de se (re)connecter aux besoins des praticien.ne.s de terrain, et que leurs connaissances nourrissent les contenus de formation.
- Quand aux acteurs de l’éducation et de la formation, ils et elles ont besoin de proposer des contenus en phase à la fois avec les besoins de terrain, et à jour sur le plan scientifique : « Les apports de contenu et les questions soulevées sont une vraie source d’amélioration pour nos programmes. Quel choix de compétences faisant nous sur la formation à l’innovation publique ? Quels paradigmes sont présentés et faisons-nous le choix de présenter des courants particuliers et pourquoi ? » ou encore « Avons-nous les bonnes personnes pour accompagner nos étudiants ? »
Quelques bémols cependant : certain.e.s praticien.ne.s ont trouvé que leur parole était un peu en retrait de celle des chercheur.euse.s/expert.e.s, et appelait à un rééquilibrage. D’autres soulignent le risque qu’une fois la journée terminée, « chacun reparte sans son silos avec des précos hyper stimulantes mais impossibles à mettre en œuvre seuls ». Ils proposent donc d’imaginer « des terrains d’expérimentation pour aller dans le concret (par exemple, une CT où on teste un dispositif de formation porté par une école, qui aurait des prolongements dans la CT, et qui serait observé par la recherche…) »
Un espace de contribution. Un autre pari est que les participant.e.s ne soient pas de simples utilisateur.rice.s mais contribuent eux-mêmes à la Synchro. Au terme de la journée, des praticien.ne.s, des acteurs de la formation et des chercheur.euse.s ont proposé de contribuer en mettant à disposition des terrains pour tester la Synchro : la Région Occitanie propose comme terrain un programme de formations internes associant le CNFPT et le réseau d’innovateurs publics Oasis Montpellier et Occitanie ; le CGDD,propose comme terrain deux jours de formation à l’innovation publique dans le cadre des Cycles Supérieurs de la transition écologique à Clermont-Ferrand en septembre 2026 ; la DITP propose ses formations CLIP ; la Métropole de Clermont-Ferrand, propose de tester un dispositif de formation porté par une école, qui aurait des prolongements dans la collectivité, et qui serait observé par la recherche ; on encore imaginer un format type « srpint sprint» pour tester l’outil des facettes de l’innovation de l’OCDE que l’on a peu eu le temps d’aborder dans la journée…Côté recherche, la nouvelle chaire de recherche sur l’innovation publique (Chaire SIPACTE) portée dans le cadre d’un programme ANR global Sirius à l’échelle de l’Université de Lorraine propose de mettre à disposition « ses moyens pour la recherche, une équipe surmotivée, avec comme objectif de proposer un dispositif de formation auprès d’étudiants ET auprès des personnels de notre université ». Reste à préciser les modalités pratiques pour que ces contributions soient gagnants-gagnants, mais d’ores et déjà on sent une sorte motivation à contribuer.
Le partage de ressources existantes. Il s’agit d’abord de partager l’existant : Les participant.e.s suggèrent de « partager ce qui se fait déjà », « comment chacun parle déjà de l’innovation publique », « partager les modules/supports de formation que l’on doit tous avoir et partir de cette matière pour voir « le commun » dont nous disposons et se mettre d’accord sur cette base », « rendre visible les initiatives existantes, les partager et capitaliser sur ces enseignements », « permettre au collectif de s’inspirer mutuellement et de nourrir une dynamique d’apprentissages partagés », « l’impérieuse nécessité individuelle et collective de continuer à capitaliser/ diffuser/ questionner les pratiques pour participer à la constitution de cette mémoire collective et la garder vivante ».
La production de ressources nouvelles. Certains suggèrent de produire de nouvelles ressources ensemble : « un Que sais-je de l’innovation publique », « un outil d’auto-évaluation des programmes de formation pour voir comment les améliorer », « organiser notre propre festival de la bureaucratie créative », « des contenus qui mériteraient d’intégrer les formations initiales (IEP/ Ecoles de design mais également universités et IAE qui préparent des diplômes en SHS/ gestion de projets) », « un film pour changer de regard sur l’innovation publique ». Cette journée, menée en mode « sprint » a permis de voir qu’il était sûrementpossible d’envisager des modalités coopératives de production, par exemple des ateliers d’écriture ou des temps de « sprints », des lectures collectives en mode « arpentage », des apports en ressources, la traduction de textes (Anglais > français, voire l’inverse).
Des réflexions à mener sur les dimensions pédagogiques. Certain.e.s vont plus loin encore, et proposent que la Synchro soit l’occasion de réfléchir ensemble à un certain nombre de questions : quels sont, en fonction des contextes, les bons choix à faire en termes de scénarios pédagogiques (débutant, experts, futurs), format d’apprentissage (du plus classique au plus expérimental), les dispositifs de formation existantes, en fonction des publics cibles et des objectifs (ex DRH, manager qui doivent piloter l’innovation, etc) Faut-il concevoir des modules spécifiques ou bien aborder l’innovation partout, comme le fait la transition écologique ?
Une attention particulière pour l’international. Constatant la relative absence des français dans les réseaux d’échange et de connaissances internationaux, plusieurs participant.es confirment l’intérêt d’intégrer cette dimension, d’essayer de lui donner une valeur (par exemple « en conviant le niveau MESR/Bercy/min délégué à la fonction publique pour conscientiser cette richesse et lui donner les moyens de se déployer »).

ET MAINTENANT ?
Au terme de la journée, les participants sont enthousiastes, mais dans quelle mesure sont-ils assez motivés pour contribuer, notamment en dégageant du temps et des ressources pour la Synchro ? Nos propres ressources étant limitées, nos prochaines actions vont viser à tester le niveau d’implication que les participants sont prêts à consentir à la Synchro.
Les deux choses que nous allons faire dans l’immédiat
Nous allons vérifier si des participants sont prêts à consacrer un peu de temps à apporter des corrections à la frise chronologique, au livret et à la boussole, pour que tous trois puissent être publiés et mis à disposition en janvier 2026. Une séquence qui nous permettra par la même occasion d’explorer des usages possibles pour ces différentes ressources.
Nous allons en profiter pour inviter les participants à rassembler les ressources dont ils disposent déjà et qu’ils aimeraient partager avec le reste du groupe (référentiels, guides, programmes de formations, outils, kits)
Si vous vous reconnaissez dans cette proposition, faites-nous signe !
Ce que nous ferons début janvier 2026
Nous allons utiliser tous ces premiers retours pour faire évoluer et clarifier notre théorie de changement et nos critères d’évaluation. Grâce à cela, nous y verrons notamment plus clair sur ce à quoi devrait ressembler la seconde journée que nous organiserons courant 2026, et nous aurons des propositions d’activités plus précises, notamment pour tous ceux qui nous proposent des terrains d’expérimentation.
Ce travail nous aidera aussi à proposer la création de nouvelles ressources. Parmi les idées suggérées, il nous semble que celles qui permettraient de produire des outils utilisables par chacun sont à privilégier (outil de mesure, auto-diagnostic, échelle de maturité…). Thomas Delahais propose de demander à un panel de praticiens et d’experts « Quels sont les 5 choses essentielles à connaître sur l’innovation publique ? », puis d’analyser et de prioriser les réponses obtenus, de façon à dégager une série de thèmes principaux et de produire des outils de mesure.
En attendant tout ça, nous on a piscine, et vous ? 🙂


