De la boîte à idées au programme d’intrapreneuriat, où en est-on de l’innovation participative dans les administrations ?

Posted on 21 décembre 2018 par Nadège Guiraud

Le 11 décembre, nous avons organisé notre 2e wébinaire (le 1er c’était sur l’accueil des doctorants en CIFRE au sein des administrations) autour d’un sujet qui concerne un grand nombre de partenaires dans les collectivités : l’innovation participative.

Les boîtes à idées ont fait leur temps. Avec la révolution numérique et l’appel croissant à innover dans les modes de management public, les administrations publiques sont de plus en plus nombreuses à s’être dotées de dispositifs “sur-mesure” pour mobiliser l’intelligence de leurs agents, faire remonter les idées du terrain, voire les associer au développement de nouveaux services.
Quels enseignements peut-on tirer des expériences menées ? Quel avenir pour ce type de démarche et quelle articulation avec d’autres démarches d’innovation ?

L’innovation participative, une démarche managériale d’intelligence collective

Muriel Garcia, présidente de l’association Innov’Acteurs  et manager Innovation au groupe La Poste, a rappelé en introduction sa définition de l’innovation participative (une démarche managériale d’intelligence collective qui facilite l’émission d’idées, la mise en œuvre et la diffusion de solutions innovantes par tous les collaborateurs) et présenté rapidement la référentiel élaboré par Innov’Acteurs pour qualifier une démarche d’innovation participative.

referentiel_innovation_participative_innovacteurs

A ses yeux, les principaux freins à ce type de démarche résident dans la difficulté à dégager du temps, à sortir du cadre et à prendre des risques sans être sanctionné si on échoue. Elle pointe également le manque de reconnaissance et des pratiques managériales pas toujours facilitantes, avant de rappeler qu’une étude a révélé que 70% des actifs français sont plus créatifs en dehors de leur organisation de travail … ça laisse songeur sur les potentialités non exploitées !

Innov’Acteurs note deux tendances de fond : l’entrée en force du secteur public dans ce mouvement depuis quelques années, et la vogue de l’intrapreneuriat qui permet à des salariés d’être détachés de leur poste de travail pendant plusieurs mois pour développer un projet pour leur organisation. Une tendance qu’on avait également repéré à La 27e Région, c’est pourquoi nous avons invité Marion Luu, chargée d’innovation au Département de l’Isère, et Rachel Bousquet, chargée de mission au Pôle innovation de la Mairie de Paris, à venir témoigner des évolutions des dispositifs dont elles ont la charge, vers plus d’intrapreneuriat justement …

 

L’Isère et Paris, deux illustrations du développement de l’intrapreneuriat dans les collectivités

Le dispositif isérois Construisons a été lancé en 2016. On vous laisse regarder cette petite vidéo super claire qui en présente les grandes lignes.

Construisons carte postale orange

Il a connu un succès immédiat, avec 58 idées arrivées le premier mois, de natures très variables (de l’accorderie des savoir-faire des agents à Espace compétences pour les bénéficiaires du RSA, en passant par l’appli « bureau dispo » pour prêter son bureau à un collègue nomade en son absence). Toutes ont nécessité un travail important de clarification et parfois de réorientation, avant le passage à l’expérimentation. Si beaucoup d’idées ont été déposées sans volonté de l’agent d’en porter le développement, d’autres seront développés par leur initiateur sur son temps de travail, ou parfois même sur son temps perso si c’est son choix, avec l’appui du service innovation …

A Paris, deux programmes d’intrapreneuriat ont été lancés l’année dernière. Start up de Ville s’adresse aux agents qui ont une idée de solution numérique pour répondre à une problématique de leur quotidien. Les porteurs de projets retenus sont détachés de leur poste pour cela pendant 6 mois à temps plein. Inventeur.e.s de Ville porte sur des idées d’amélioration des conditions de travail des agents par l’adaptation d’outils de travail, notamment pour prévenir les troubles musculo-squelettiques. C’est un peu le concours Lépine de l’administration parisienne ! Les idées sont accompagnées par la DRH et les ateliers municipaux, qui deviennent des sortes de fab lab internes.

Que nous apprennent ces deux expériences sur les conditions de succès et les écueils possibles des démarches d’innovation participative ?

Portage et accompagnement, clarté des règles, reconnaissance des porteurs d’idées : quelques conditions de réussite

Dans les deux cas, le portage de la démarche se révèle essentiel. Construisons a été lancé à l’initiative du Président du Conseil départemental, Start up de Ville et Inventeur.e.s de ville sont aussi nés d’une demande des élus et sont pilotés au secrétariat général de la Ville. Un travail de pédagogie auprès des managers se révèle également indispensable tant ces programmes bousculent les pratiques classiques. Les agents qui osent proposer des idées sont ainsi souvent ceux qui ont des managers « facilitants », des alliés qui permettront ensuite de faire un effet « boule de neige » auprès de leurs collègues. L’accompagnement des porteurs d’idées est également un sujet incontournable. L’accompagnement 100% interne, par le service innovation, comme en Isère, permet de garantir le sur-mesure et la qualité, mais ralentit le dispositif (car elles ne sont que 2 et gèrent de nombreux autres projets…). Une solution envisagée : que certains agents deviennent des coachs à idées. Pour Inventeu.r.e de Ville aussi l’accompagnement interne est privilégié, en s’appuyant sur la DRH et le réseau de prévention de la Ville (ergonomes, préventeurs), alors que les start up de ville sont accompagnés par le NUMA et une équipe de développeurs puisqu’il s’agit de concevoir des solutions numériques complexes.

Pour que le principe de sélection sur lequel repose nombre de ces dispositifs d’innovation participative (appels à idées ou à projets, concours, trophées …) ne vienne pas contrecarrer les valeurs de coopération chères à tout bon transformateur public, la transparence et la clarté des règles du jeu sont de mise. En Isère, Construisons a été lancé sans critères de dépôt d’idée, seulement des typologies (les idées retenues pour être expérimentées, celles nécessitant une étude de faisabilité, celles dont l’impact doit être précisé). S’il est difficile d’éviter toute déception, recevoir les agents dont les idées ne sont pas choisies et argumenter la décision (par exemple, une idée difficile à dupliquer, une solution déjà existante ou un développement impossible en interne) permet de limiter la casse … A contrario, le système des appels à projets permet de créer une émulation et le sentiment d’appartenance à un collectif, et ce d’autant plus qu’il s’inscrit dans une démarche plus globale de portage de l’innovation, comme à Paris (le Pôle innovation regroupe les programmes d’intrapreneuriat, le labo d’innovation, les programmes d’innovation ouverte et de Ville intelligente, la démarche data, et vise à animer un réseau large d’innovateurs).

La question de la reconnaissance des porteurs d’idées apparaît également importante. Elle n’est jamais pécuniaire dans le secteur public (les régimes indemnitaires sont déjà assez compliqués comme ça, soulignent nos participantes), mais passe avant tout par une reconnaissance de la capacité à faire des agents (notamment pour les métiers techniques) et de leur légitimité à agir au delà du cadre strict de leur quotidien professionnel. Le dispositif leur offre une bulle, un espace temps différent, avec un accès facilité et direct aux services RH, juridique etc. Cette considération doit s’accompagner d’une attention portée à la sortie du dispositif. L’intrapreneur ne retrouve pas forcément son poste, il doit revenir à une routine et à une chaine hiérarchique dont il s’est extrait pendant plusieurs mois. Pas si simple … Et pour éviter les atterrissages trop brutaux, il faut être clair au démarrage sur la promesse. En Isère, on promet seulement qu’ « on va tester, pour voir si ça marche » et en aucun cas que l’essai sera transformé, notamment en nouveau poste pour l’initiateur.

L’enjeu de la capitalisation et du partage : faire la preuve par l’exemple !

Enfin, la question de la communication et de la documentation de ces démarches a soulevé plusieurs questions. En effet, pour toucher tous les agents, et sortir du cercle des « suspects habituels », il faut innover aussi sur les modes et les « tuyaux » de diffusion de l’information, en privilégiant la proximité … et le contact humain (affichage, distribution de cartes postales dans toutes les réunions, relais dans les ateliers …)

Une fois les idées retenues, il faut trouver l’équilibre fragile entre la mise en visibilité et l’action « en sous-marin », qui permet parfois d’avancer plus vite … Pour Marion Luu, de l’Isère, si on « si on avait communiqué tout de suite (sur les idées) on n’aurait peut-être rien fait ». Mais maintenant que plusieurs idées sont en développement, la volonté de documenter et de capitaliser ces expériences se heurte à un manque d’agilité, et d’outils appropriés (pas de blog en interne par exemple). A Paris aussi on souhaite diffuser les idées au maximum, notamment auprès d’autres collectivités. Ainsi, dans le cadre de Start up de Ville, les nouvelles solutions doivent être impérativement développées en open source. Car c’est bien en partageant les résultats qu’on incitera le plus grand nombre à passer à l’acte, au delà de l’injonction stérile à l’innovation.

Alors, à quand la vogue des concours de duplication d’idées pour soutenir l’essaimage ? (La Banque Postale aurait déjà lancé le sien …)

Merci à Marion et Rachel pour leur témoignage, et à tous les participants au webinaire pour leur contribution aux échanges !