Community organizing : former au pouvoir d’agir

Posted on 30 mars 2012 par Stéphane Vincent

Près de 600 personnes en séminaire pendant 3 jours dans une fac de Vaulx-en-Velin, et pour une fois, (quasiment) pas d’ordinateur ni de smartphone pour twitter l’événement… voilà qui change, et même qui repose un peu ! Le collectif Pouvoir d’Agir et la Chaire Unesco « politiques urbaines et citoyenneté » organisaient du 14 au 16 juin une grande conférence internationale sur le « community organizing », phénomène anglo-saxon dont l’un des représentants les plus illustres est Barack Obama lui-même, formé à ces pratiques de « mobilisation citoyenne » à Chicago. L’occasion de mieux comprendre des méthodes de mobilisation venues d’outre-Atlantique.

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Le vrai pouvoir, c’est celui de faire agir

Le séminaire alternait pendant trois jours des conférences scientifiques données par les meilleurs spécialistes francophones et anglo-saxons, et des ateliers pratiques organisés autour de plusieurs méthodes : l’approche DPA (Développement du pouvoir d’agir individuel et collectif), animé par Anda DPA, l’intelligence collective en thérapie sociale animé par ATIC (Actions pour des territoires d’intelligence collective), le projet Cause Commune, le programme Divers-Cité par Asmae, la marche pour la dignité et contre la pauvreté, et le projet ECHO (Espace des communautés et des habitants organisés), selon la méthode « Alinsky ». Difficile de tout suivre… revenons sur deux des méthodes décrites, et pour certaines testées en atelier.

La méthode Alinsky, tout d’abord, qui tient son nom d’un sociologue américain co-fondateur de l’Ecole de Chicago, mort en 1972. A Grenoble, le collectif ECHO l’a mis en oeuvre à partir de 2011, dans le but de construire un contre-pouvoir local destiné à être progressivement étendu à l’échelle de l’agglomération. ECHO compte 8 personnes, dont plusieurs se sont d’abord formées à Londres. La structure ne s’appuie sur aucun financement public, mais mobilise des crédits octroyés par la Fondation Abbé Pierre. L’objectif est de fédérer des colères très diverses : celles des femmes de ménage épuisées par des cadences de travail infernales, celles d’habitants écrasés sous le poids de loyers devenus trop élevés, celles de parents assistant à la dégradation des études dirigées à l’école, ou encore de jeunes artistes tenus à l’écart des équipements culturels « officiels ». La méthode Alinsky a permis de former un collectif en suivant plusieurs étapes : 1/ La formation des leaders sociaux, 2/ Le développement relationnel, 3/ La mise en action, et 4 / La négociation. La phase d’identification et de formation des leaders sociaux, en particulier, est essentielle : au cours d’un test réalisé en groupe durant l’atelier, ECHO demande par exemple aux participants de prendre la parole pour exprimer quel a été, dans leur vie, l’élément déclencheur de leur engagement, l’événement qui a été décisif dans leur démarche personnelle : par exemple un sentiment de révolte lié à un événement personnel, ou une rencontre marquante (l’un des participants cite sa rencontre avec Lucie Aubrac). Ce travail collectif sur l’expérience de vie des participants permet à chacun « d’atteindre son moteur personnel », et de reconnaitre collectivement les leaders dans le groupe. Quant à la phase de développement relationnel, elle vise à systématiser la recherche de relation par le face à face, à aller au devant des autres pour créer la confiance. La mise en action, c’est agir et donc vaincre les 4 peurs qui inhibent et empêchent d’agir : l’isolement (« tout seul je n’y arriverai pas »), le manque d’expérience (« je n’ai jamais essayé »), l’inutilité (« ça ne servira à rien ») et l’impuissance.

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Autre méthode : la thérapie sociale. Elle part du postulat d’un corps social désagrégé à force d’être « saucissonné », d’un sentiment général d’impuissance, et se décrit comme une thérapie du lien. « Seul, on ne peut pas penser ce qui nous arrive. Il y a quelque chose qui soigne dans le groupe », précise Elsa Bonal (Actions pour les Territoires d’Intelligence Collective). Le problème est souvent que pour traiter de la précarité, on n’e cherchera pas l’avis des précaires…l’objectif est donc de réunir, comme l’entend Jacques Rancière, les compétents et les incompétents, le savoir érudit et le savoir profane. On parle aussi de « composer un groupe ». Plusieurs participants décrivent des cas d’utilisation de cette méthode, par exemple pour traiter des conflits dans des quartiers dits « sensibles », et tenter de faire changer les regards entre tous les protagonistes : policiers, parents, adolescents, commerçants… le rapport de force fait partie de la méthode, et les divergences sont nécessaires pour la réussite de l’approche. « L’objectif est de rétablir la confiance que chacun a de ce qu’il sait, et du fait qu’il est nécessaire au sein du groupe. ». L’animatrice agit comme une experte du processus, pas du thème traité. Elsa explique : « Il y a une étapes où tous les stéréotypes tombent, chacun est nu. C’est une phase d’errance, où le groupe tatonne, est en quête de sa propre énigme ». Un participant témoigne de l’impact qu’a eut cette méthode sur lui : elle lui a redonné confiance dans sa capacité d’agir, « d’ouvrir sa gueule », et lui a prouvé que les gens étaient capables de changer de regard.

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Il aurait fallu suivre également toutes les interventions scientifiques pour aller plus loin. Voici néanmoins quelques impressions que pouvaient inspirer ce passionnant séminaire.

Le design pour passer à l’action ?

Le « raffinement » des méthodes présentées répond bien à la volonté croissante de mieux outiller la participation citoyenne, en allant bien au-delà des simulacres participatifs souvent provoqués par l’institution. Mais si elles semblent très efficaces pour créer du collectif, elles semblent peu diserts sur le passage à l’action : que disent-elles de nouveau sur la transformation du diagnostic partagé, à la solution ? Les promoteurs de la thérapie sociale, par exemple, insistent beaucoup sur le moment quasi « extatique » où les regards se transforment dans le groupe, mais ne décrivent pas de méthode qui permettrait de s’assurer qu’une solution tangible suivra, qu’il n’y aura pas statut quo. Peut-être l’alliance entre thérapie et design pourrait-elle palier ce manque ?

Quel projet politique pour le community organizing ?

Au-delà des méthodes, il y a le projet politique : or il y a une très grande marge entre l’utilisation du « community organizing » pour construire des contre-pouvoirs comme le conçoit Saul Alinsky, et celle contribuant à l’auto-organisation de la société civile pour pallier au désengagement de l’Etat comme le conçoit Cameron dans sa « Big Society »… Le « community organizing » doit-il contribuer à améliorer les services publics, ou au contraire précipiter leur déclin, déjà largement entamé ? Le « community organizing » sert-il une culture libértarienne ? Jusqu’où les services publics doivent-ils servir de cible ? Faut-il alimenter le rapport de force ou la confiance ? On notera à cet égard que même l’ex-président Clinton, dans un ouvrage récent, invite ses concitoyens à « cesser de taper sur les pouvoirs publics », principal chance selon lui de préserver le bien commun qui nous unit…

Du community organizing à la coproduction ?

Il n’y a pas que dans la société civile qu’existe le besoin de récréer du collectif et du sens : le besoin est tout aussi fort au sein de la puissance publique et des entreprises. Refonder le contrat social passe par une remobilisation collective à tous les étages…

Citons pour terminer provisoirement cette participante, au terme du séminaire : « Mon rêve ? c’est un territoire, une équipe, et hop, elle se démerde ! »