Pourquoi est-il si difficile de changer le système, alors que les réponses nous semblent quelquefois tellement évidentes ? Pierre Calame, délégué général de la Fondation Léopold Mayer, y réfléchit depuis longtemps. Il intervenait cet après-midi sur ce sujet (entre autres) lors de la Journées des Pactes Locaux à Poitiers*. « J’ai mis au moins 20 ans à formuler un début de réponse… », dit-il. « Cela fait également des années qu’on parle d’une stratégie de co-production du bien public, rappelle t-il. Mais on n’a presque pas avancé. L’économie sociale et solidaire, par exemple, ne reste qu’une force supplétive de l’économie traditionnelle ».
Pour Pierre Calame, on évoque souvent abusivement les résistances partisanes et la force des lobbyings. En réalité, la première raison est bien évidemment que le changement systémique met en cause le système de pensée en vigueur, la façon dont on regarde le monde, les institutions. Suffit-il, par exemple, de combattre les handicaps pour sortir les gens de l’exclusion ? doit-on enfermer les gens dans des solutions pré-formatées, simplement parce que le système en « silos » n’est pas en mesure de répondre à des problèmes nécessairement plus complexes ? Ce qui effraie, c’est que le changement doit intervenir à plusieurs échelles à la fois. Pierre Calame en comptabilise 3, qu’il organise autour de « losanges ».
Le losange des acteurs
Il faut à la fois des innovateurs, des théoriciens, des généralisateurs, et des régulateurs ; Les innovateurs sont ceux qui trouvent que le monde ne va pas bien et proposent des actes et des solutions ; mais les innovateurs agissent souvent de façon isolée, et ils continuent à fonctionner dans le modèle dominant. Il nous faut donc également des théoriciens qui s’attachent à proposer un autre système de pensée. « On ne peut pas combattre un système de pensée à mains nues, il faut des théories cohérentes, capables notamment d’opposer une alternative aux supposées sciences économiques qui nous ont amenées au désastre ». Les généralisateurs sont ceux qui -tels les médias- assurent le changement d’échelle, « qui font passer le prototype à la grande série ». Les régulateurs, enfin, sont ceux qui installent et font évoluer les règles du jeu.
Le losange des échelles
Le changement doit intervenir simultanément au niveau local, national, européen, mondial.
Le losange des étapes
Prise de conscience, vision partagée, alliances et premiers pas.
Que faut-il pour qu’une société se mette en mouvement ? la prise de conscience qu’il faut changer est essentielle, mais à elle seule, elle crée de l’impuissance et le risque d’un discours catastrophiste. Il faut également une vision partagée, ce qui fait souvent défaut. Il faut ensuite des alliés, passer des alliances et construire des réseaux, si l’on souhaite vraiment porter ces enjeux au niveau du pouvoir. Il faut enfin définir des premier pas, transformer une première étape.
Changer le système, ou le hacker ?
L’analyse est convaincante. On peut toutefois se demander si le jeu des alliances suffit pour remporter la partie. Pour changer le système, il faut de plus en plus le violer, au sens où l’entend le hacker. Plus généralement, la culture introduite par l’open source et le « libre » ne traverse pas totalement cette analyse. Pour autant, on rejoint facilement l’analyse de Pierre Calame sur l’aspect multi-échelle du changement, et sur cet écosystème entre pratique et théorie, prototype et « grande série ».
*Le Collectif national des Pactes Locaux est né en 1996 de la volonté de mise en réseau et de production d’une intelligence collective, à partir d’une cinquantaine expériences locales. Elle est soutenue par La Fondation Léopold Mayer.