Que faire des diagnostics territoriaux ?

Posted on 29 janvier 2016 par Stéphane Vincent
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Le diagnostic territorial est un grand classique des politiques territoriales. Il précède ou accompagne de nombreuses formes de contractualisation entre l’Etat et les collectivités territoriales (schémas régionaux, schémas de cohérence territoriale, etc) et comporte souvent un caractère obligatoire. En partenariat avec Pacte (Université de Grenoble), le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), partenaire de la 27e Région, conduit une réflexion visant à ré-interroger ce mode opératoire. Une journée de travail réunissait le 28 janvier à Superpublic une vingtaine de praticiens et d’experts venus du CGET, de laboratoires de recherches et d’associations représentant les collectivités.

L’objectif consistait à produire une réflexion créative sur les diagnostics territoriaux. Quel(s) imaginaire(s) préside(nt) au développement des diagnostics ? Que produisent vraiment les diagnostics et quelle prise ont-il sur la réalité ? Voici notre synthèse, forcément arbitraire et  sans souci d’exhaustivité, des constats posés par les participants :

– Comme tous les dispositifs socio-techniques, le diagnostic n’a pas d’effet neutre et produit des effets collatéraux généralement sous-estimés : il est le fruit de rapports de forces, il est facilement instrumentalisé et sert des jeux d’acteurs ; il accentue les frustrations et le sentiment d’abandon s’il n’est pas suivi d’effet ;

– Le diagnostic territorial est un des nombreux sous-produits du new public management, un instrument de gestion au même titre que l’évaluation, la stratégie, la prospective ; c’est un rite de l’action publique dont on ne réinterroge pas le sens et qui, dans les faits, sert souvent davantage à rassurer ses initiateurs qu’à produire du changement ;

– C’est aussi un marché qui contribue (ou a contribué) à faire vivre de nombreux cabinets conseils, chercheurs et experts, possédant chacun leurs pratiques professionnelles et leur éthique ; un marché qui, d’ailleurs, au moins côté entreprises, tend à privilégier aujourd’hui davantage la « recherche de solutions » à la « compréhension des problèmes » ;

– la « crise » du diagnostic est plus largement celle de la fabrique des politiques publiques dans son ensemble : on utilise des concepts et des pratiques de gestion conçus il y a 30 ou 50 ans ;

Le groupe a identifié des points saillants, voire des pistes vers des formes désirables de diagnostics ou vers de possibles alternatives :

– Plusieurs exemples (la démarche Catalyse, certains dispositifs locaux) montrent que le diagnostic fonctionne bien quand il fait partie d’une démarche très intégrée, tirée par la recherche d’impact et l’objectif de mise en oeuvre plutôt que comme une démarche isolée ;

– Faire le diagnostic « statique » du territoire ou même des besoins de ses populations ne suffit pas, il faudrait que le diagnostic soit l’occasion de recueillir des données sur les usages et les pratiques qu’ont les populations de leur territoire ; il faut qu’il permette de recueillir des données sensibles, des informations qui ne se cantonnent pas à des chiffres ou des données statiques ;

– La notion de diagnostic territorial renvoie à une approche très séquencée, étape après étape, qui n’a plus réellement prise dans la complexité d’aujourd’hui ; Et si les différentes séquences s’entrecroisaient davantage, dans une logique abductive ?

– Le diagnostic produit par l’expertise classique peut-il laisser la place à des démarches conçues dans une logique d’empowerment et d’apprentissage ? Peut-on apprendre aux gens à diagnostiquer eux-mêmes, outiller leurs capacités à créer de la connaissance et à l’exploiter, susciter la curiosité et l’envie de comprendre ? Peut-on donner un rôle au diagnostiqué ? Comment faire du diagnostic une expérience apprenante, partagée par les acteurs ?

– Au-delà du diagnostic lui-même, comment s’assurer qu’il produise une meilleure conversation, plus riche, entre les acteurs, mais que celle-ci produise bien des décisions ?

– Comment penser les rapports de force pour qu’ils favorisent la mise en oeuvre plutôt que le statu quo ? (cofinancements pour éviter la concentration des pouvoirs, diagnostic participatif, convention de partenariat plutôt que prestation de service, etc)

– Pourquoi bâtir des diagnostics trop génériques alors qu’on a surtout besoin de connaissances « actionnables » et, même si tout le savoir est intéressant, est-il possible de cibler des priorités, de travailler par acupuncture ?

Le programme de recherche se poursuit. Cette première session donne envie d’aller plus loin dans l’exploration du parcours qui précède et suit le diagnostic territorial, à partir de quelques cas réels. Il peut se passer plusieurs années entre le lancement de la démarche et le moment où elle produit des changements visibles -quand elle en produit ! Il faudrait donc « refaire le film » de quelques expériences vécues, et identifier les points de tension.

Ce travail sur le diagnostic territorial ressemble beaucoup au cycle de « design fiction » que nous essayons de conduire sur une sélection de thèmes de gestion publique (voir par exemple re-penser l’évaluation). Il y a là un lien à creuser. A suivre donc….