Une rencontre avec Louise Pulford, directrice du Social Innovation Exchange

Posted on 8 décembre 2017 par Sylvine Bois-Choussy

Louise Pulford est la directrice du Social innovation exchange – SIX. Créé en 2008, SIX a pour vocation  de faciliter la rencontre des acteurs de l’innovation sociale entre eux et avec les partenaires susceptibles de soutenir leurs actions, de stimuler l’inspiration mutuelle et de développer la légitimité de ce secteur. Cette communauté compte des membres dans le monde entier, de l’Inde au Canada, de la Pologne à Singapour, en passant par le Kenya, l’Australie ou la Colombie. SIX organise différents événements: par exemple une université d’été qui se déroule chaque année dans une ville différente, en collaboration avec un partenaire local ; le Unusual Suspects festival qui  permet les croisements entre secteurs et personnes d’horizons très différents ; ou encore des rencontres thématiques, par exemple sur le Social impact bond (l’investissement à impact social), les incubateurs d’innovation sociale, ou encore co-concevoir la démocratie

Pour la 27e Région, qui puise ses inspirations autant du coté de l’innovation sociale que du design, SIX est une communauté passionnante avec laquelle nous nourrissons des échanges réguliers. En novembre dernier, nous avons donc passé une petite heure avec Louise pour qu’elle nous partage son expérience d’animer et de développer un réseau comme SIX. Elle nous a également parlé des dynamiques et controverses d’un secteur aujourd’hui foisonnant, mais aussi très diverse dans le monde.  

 

Quelles évolutions SIX, en tant qu’organisation, a-t-elle vécue au cours de ses 10 années d’existence?

Tout le monde s’accorde pour dire que les réseaux sont des organisations importantes ; cependant mesurer ce qu’ils apportent réellement est difficile. Nous avons donc engagé un travail pour mieux comprendre notre rôle, nos impacts, et pour dessiner le type d’environnement nous souhaitons créer, quel genre d’institution nous aimerions être dans les 10 prochaines années. Nous sommes devenus plus réflexifs, plus articulés et plus précis pour analyser tout cela. Afin de mieux répondre aux enjeux de notre communauté, nous avons besoin de bien comprendre quelle valeur nous apportons, et ainsi d’être plus spécifiques dans nos approches et nos actions. Nous avons appris l’importance d’avoir une vision et une stratégie claire dans le temps, pour éviter de nous disperser et être de plus en plus efficaces dans nos actions.

 

Qu’en est-il de vos membres ?

Au sein de notre réseau, il y a des personnes et des organisations qui ne partagent pas nécessairement toutes les mêmes valeurs. Les frontières sont plus ou moins poreuses. Devons-nous être plus sélectifs ? Qui sont les membres officiels ? Ceux qui souscrivent, qui paient ? Ceux qui participent à nos activités ?

La valeur d’un réseau repose sur ce qu’il apporte à ses membres et qui permet de créer le ‘bon’ environnement: fournir des ressources utiles, composer et organiser des évènements inspirants, aider les membres à développer les liens dont ils ont besoin, attirer une diversité d’organisations, etc. Le plus important me semble la qualité des relations qu’il permet ; en même temps, plus large est le réseau, plus diverses sont les organisations et les pays représentés, meilleure sa crédibilité sera.

De notre point de vue, ceux qui font partie de SIX ont une vision en commun, font le même genre de travail. Nous n’avons pas besoin d’être en contact tout le temps, mais lorsque nous interagissions, nous savons que nous pensons de la même façon, que nous partageons une manière de faire.

 

Qu’est ce que SIX ? Comment est ce que vous vous définissez ?

C’est la question la plus difficile ! Nous sommes une communauté. En termes de rôle, nous sommes des narrateurs, des facilitateurs, des catalyseurs. Notre travail, c’est d’extraire, de sélectionner de l’information et de la partager. La question que nous nous posons souvent c’est : « Comment pouvons nous jouer un rôle dans ce que d’autres personnes font ? »

Nous n’avons aujourd’hui pas l’équipe suffisante pour créer de nouveaux savoirs, produire des idées, mais nous avons les compétences pour être plus réflexifs, pour être des traducteurs. Il y a un vrai enjeu, dans le secteur de l’innovation sociale, à identifier, traduire, diffuser les contenus et les idées, de grande qualité, qui circulent de sources et des canaux très divers.  Les personnes qui ont un emploi, une activité souvent prenante, n’ont pas le temps de lire. Nous dédions donc du temps à extraire et sélectionner cette information et à la partager.

 

N’est-il pas frustrant de ne jamais travailler sur un cas en particulier, et de passer ton temps à parcourir le monde d’un projet à un autre?

Notre équipe tire son énergie de cette diversité. On peut penser qu’il n’est pas possible, en touchant à de nombreux sujets, de comprendre la spécificité de tel ou tel contexte ou d’être complètement investi et engagé sur un sujet. Pour SIX, ce n’est pas un problème, nous jouons un autre rôle. Notre équipe, en réalité, n’est pas constituée de 6 ou 7 professionnels dans un bureau, mais de bien plus de personnes, implantées dans le monde entier : notre conseil d’administration, notre communauté d’amis, nos hubs régionaux, etc. Cela nous permet d’avoir une compréhension très approfondie de réalités multiples.

Cependant, avoir quelque fois une présence plus locale est une question pour nous. Nous avons de plus en plus de membres de notre conseil d’administration en Asie de l’Est par exemple ; nous nous demandons aujourd’hui s’il ne serait pas utile de nous y installer pour 6 mois ? Peut être que c’est ce type de choses que nous devrions faire plus souvent.

 

A l’occasion d’une réunion récente organisée à Istanbul par le NESTA et les Nations Unies rassemblant des pionniers des démarches d’innovation, l’un des thèmes de discussion était : ‘Devons nous aller vers un alignement de nos organisations ?’ Penses tu que ce type de partenariat se développera à l’avenir ? Ou bien est ce une vision un peu idéaliste ?

Je participais récemment à une retraite de la Fondation Bosch consacrée aux réseaux. Il me semble vraiment important que nous puissions nous rapprocher autour de certains enjeux spécifiques. Aujourd’hui, nous avons un paysage d’organisations très nombreuses, qui apportent chacune quelque chose de légèrement différent.

Dans les projets de recherche européens développés dans le cadre du programme Horizon 2020 par exemple, on réunit souvent, tous les 4 ou 5 ans, des consortiums très divers, autours de sujets particuliers. Finalement, cela crée une sorte de compétition entre ces organisations. Il faut que nous soyons plus conscients de cela, et mieux connectés autours de nos objectifs globaux. Et cela, cela arrivera sur des focus spécifiques, autours des objectifs de développement durable par exemple.

 

Quels sont tes principaux défis aujourd’hui?

Le premier serait ‘Comment innover dans des sociétés à risque’? En Turquie par exemple, beaucoup d’organisations ont de grandes difficultés à travailler à cause de la situation politique. De telles situations de conflit, de post conflit, de crise, etc. sont nombreuses aujourd’hui.

Un autre porterait sur les relations que nous construisons avec nos partenaires: des organisations comme les Nations Unies par exemple ont bien entendu un agenda officiel, mais aussi un agenda caché. Nous avons besoin de connaitre les deux afin de construire une vision plus réflexive de toutes ces organisations. C’est difficile, bâtir une relation de confiance avec ces organisations prend du temps.

 

Voudrais tu nous raconter trois succès de SIX dont tu es particulièrement fière ?

Pour nous, il s’agit souvent plus de savoir comment nous contribuons aux succès des autres, quelle est l’influence que nous avons, que de nous attribuer des succès en propre.

Je suis cependant particulièrement fière que SIX ait contribué à faire évoluer la manière dont la Commission européenne prend en compte la question de l’innovation. Nous avons travaillé vraiment dur pour obtenir que l’initiative l’Union de l’innovation reconnaisse et inclue le travail que nous avons mené sur l’innovation sociale dans les stratégies européenne. (Retrouvez ici le rapport préparé par SIX dans ce cadre)

Sur un autre plan, Park Won-Soon, maire de Séoul depuis 2011, est un ancien avocat des droits de l’homme et directeur d’une petite association locale. Il va probablement être réélu pour la troisième fois ; l’innovation sociale et la démocratie participative sont parmi les piliers de son action. Membres de SIX depuis 2009, il a toujours dit qu’il avait tiré ses idées et son inspiration dans le réseau SIX, que beaucoup de ses politiques avaient été imaginées à partir de l’expérience de notre communauté.

Enfin un dernier exemple, la façon dont le Canada construit son approche du changement systémique, développe un écosystème, est très observée de par le monde. Tout ceci a été, au moins en partie, initié suite à des conversations avec SIX . En 2014, nous avons organisé l’université d’été de SIX à Vancouver ; les participants venaient du monde entier et cela a permis de réunir pour la première fois la communauté de l’innovation sociale au Canada, alors émergente. Cela a joué un vrai rôle de catalyseur, et cela a permis de diffuser des concepts, des idées, ainsi que le développement de partenariats transectoriels, entre activistes, entrepreneurs, organisations publiques.

 

As-tu l’impression que l’innovation sociale est mieux comprise aujourd’hui ?

J’observe qu’il y a ajourd’hui une meilleure compréhension de l’innovation sociale. Mais on voit aussi des tensions, des controverses se dessiner. Les contextes sont très différents. En Australie, par exemple, l’innovation sociale n’est pas bien comprise, pour le moment ce n’est pas un concept, une marque. Cela reste quelque chose de sympa à mettre en avant, il y a des recherches sur le sujet, mais ce n’est pas ancré, ce n’est pas central lorsque l’on parle de résoudre les grands enjeux sociétaux (vieillissement, etc.). De ce fait, les acteurs ont moins de financements, d’énergie, il n’y a pas le sentiment d’urgence que l’on peut trouver ailleurs. En Asie de l’Est, cela reste très contesté aussi. D’une façon générale, l’innovation sociale est mieux comprise en Europe qu’en Asie de l’Est. Il y a finalement des états d’esprits très divers, et ces visions différentes ne vont pas se mélanger.

Dans mon esprit le changement systémique est très connecté à l’innovation sociale. Les gens ont besoin d’avoir une vision holitstique de leur place dans le paysage global. C’est un concept attractif aujourd’hui, qui permet aux personnes de voir à quoi, où ils contribuent. C’est important également à mettre en avant lorsque l’on travaille avec les principales fondations. Mais cela peut être frustrant, aussi. Les transformations systémiques sont importantes, mais nous avons aussi besoin de micro changements. En fait, on a besoin de zoomer et dézommers, de naviguer entre les échelles, en permanence.

 

Veux tu, pour finir, nous en dire un peu plus sur toi? Qui es tu, Louise Pulford ?

J’ai consacré mes études à l’Asie de l’est et j’ai toujours pensé que passerai ma vie en Chine. Puis il y a eu la Young Foundation, puis SIX network. Une des choses qui m’importe le plus est la question de la justice sociale. Et puis la façon dont on s’adresse aux gens, dont on communique. Il y a beaucoup de personnes autour de moi qui ont des difficultés d’apprentissage. Je suis entourée de gens qui ne communiquent pas de la même façon que les autres ; le fait de batir des formes de communication équitable m’importe.

Voilà, donc une chose est sure, je suis passionnée par les gens et par la question de la justice sociale.

 


 

Pour en savoir plus sur SIX…

A l’occasion de son anniversaire, SIX a publié ici un rapport très utile qui reprend les principaux apprentissage des 10 années d’existence, et une représentation de son parcours et de ses perspectives pour les années à venir. SIX a également publié une petite vidéo qui compile différentes visions de l’innovation sociale dans les 10 prochaines années.

En Europe, SIX participe au projet européen Social innovation community , qui vise à renforcer, connecter et développer les diverses communautés  de l’innovation sociale dans les champs de l’innovation publique, digitale, économie sociales, etc.