Retour sur CityLab 2015

Posted on 25 octobre 2015 par Stéphane Vincent

Après Los Angeles l’année dernière, c’est à Londres que Bloomberg Philantropies, l’Institut Aspen et The Atlantic réunissaient du 18 au 20 octobre près de 400 acteurs des villes du monde entier pour CityLab, un rendez-vous consacré à l’innovation dans les villes. Nous y étions tout comme des représentants de la Ville de Paris. Une trentaine de maires avaient personnellement répondu présents, dont (en vrac) ceux de Londres, Athènes, Nairobi, Lisbonne, Varsovie, Florence, Jerusalem ou Washington ainsi qu’une dizaine d’autres villes américaines soutenues par l’un ou l’autres des programmes de la fondation de l’ancien maire de New York, tel What Works, Mayors Challenge ou iTeams -avec lequel nous essayons de construire un partenariat. Des stars de l’urbanisme comme Jan Gehl (Copenhague) étaient là aussi.

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Boris Johnson, maire de Londres, toujours en grande forme…

Que le spectacle commence !

Ambiance de talk show, DJ pour marquer les pauses, prestige du lieu… le côté spectaculaire de CityLab, construit autour de la personnalité de Michael Bloomberg, ex-maire de New York, peut en faire sourire certains. Mais au-delà du show, le congrès propose un contenu d’excellent niveau, qui constitue un panorama unique de l’état des villes à l’échelle planétaire, et couvre l’innovation dans tous les champs imaginables. Cette année, en vrac, on parlait crise du logement, data, transformation des rues, corruption, empowerment des agents publics, culture, gentrification, migrants, travail de la police, économie collaborative…L’occasion de glaner ça et là des informations intéressantes et de prendre de bonnes vibrations au passage !

La gentrification, un processus irréversible ?

Petit déjeuner débat avec DW Gibson, journaliste et réalisateur de documentaires. Il publie « The Edge Becomes the Center : An Oral History of Gentrification in the 21st Century », un ouvrage sur la gentrification de New York City, basé sur plusieurs dizaines de rencontres et d’entretiens. L’originalité de son ouvrage est de se concentrer sur l’histoire personnelle des habitants, artistes, squatteurs, propriétaires, spéculateurs immobiliers, élus qu’il rencontre au fil de l’eau. Que tire t-il de cette expérience ? Qu’aucune ville, et même qu’aucune quartier d’une même ville n’obéit tout à fait au même processus de gentrification, et que le terme peine à saisir des réalités souvent très différentes. Mais aussi qu’il existe des facteurs communs, le plus marquant étant bien entendu le caractère mondialisé des investissements. Le nouveau propriétaire n’habite plus le quartier, il investi depuis Londres, Dubai ou Shanghai. D’ailleurs ce n’est même plus une personne mais une entité désincarnée, un hedge funds ou un groupe d’investisseurs. DW Gibson ne croit pas qu’on puisse empêcher la gentrification puisque le processus enclenché semble irréversible. Il ne croit pas non plus que développer le logement social suffira à l’endiguer ; il s’agit plutôt de la canaliser. Pour lui, seul l’augmentation des salaires des classes populaires permettra de limiter les dégâts, ainsi que le développement de solidarités inter-personnels, et de partages de nouveaux espaces entre habitants et à l’échelle du quartier.

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Jan Guel, à l’origine du succès de la ville de Copenhague sur le plan urbain.

Comment transformer la commande publique ?

Sascha Haselmayer a lancé en 2014 Citymart.com, une place de marché numérique entre les solutions les plus innovantes du marché et les acheteurs des collectivités. L’objectif de Citymart est de renverser le cadre logique des marchés publics habituels, dans lesquels l’acheteur détermine lui-même quelle est la meilleure solution puis utiliser l’appel d’offres pour trouver le meilleur offreur. D’après son créateur, à cause de cette approche des millards de dollars sont gaspillés chaque année parce que les acheteurs n’ont pas accès aux réponses vraiment innovantes, souvent portées par des petites structures qui restent sous le radar, au contraire des grandes corporations. La thèse de Haselmayer est simple : « Pourrions-nous remplacer les centaines de pages de spécifications des appels d’offres, par la formulation d’une problématique précise, décrivant le résultat désiré ? ». A retrouver sur www.citymart.com.

Ma meilleure agence conseil, ce sont mes fonctionnaires.

C’est une phrase de Michael Hancock, maire de Denver (US) dans son propos introductif. Dans un atelier consacré à l’empowerment des fonctionnaires, il explique qu’au sein de son administration, 6 permanents sont chargés de former leurs collègues à l’innovation. Même s’il ne le cite pas explicitement, on devine qu’il s’agit d’experts du Lean (dites « méthodes agiles », à l’origine utilisées sur les chaînes de production de Toyota). Les 6 experts ont formé 500 personnes à l’innovation (devenus ainsi « black belt »), qui a leur tour doivent répandre la bonne parole auprès des 11 000 agents de la mairie. Le maire cite des doublons administratifs qui ont pu être évités, avec de multiples économies obtenues ça et là, et qui en s’additionnant semblent accréditer la démarche. La démarche de formation systématique et à grande échelle est vraiment intéressante. Mais quid de l’usage des méthodes Lean ? Dans d’autres grandes administrations (France compris), en se focalisant sur des gains de productivité, cette approche a souvent négligé le caractère humain dans les organisations et causé des dégâts collatéraux. En est-il de même au sein de la ville de Denver ? A creuser…

Produire en une heure l’équivalent d’une journée d’intelligence collective.

C’est l’impression qu’on pouvait tirer de « 50 conversations », un speed dating d’une heure consacré à l’innovation publique, organisé par les équipes de Bloomberg d’après une idée originale de Chelsea Mauldin, designer et directrice du Public Policy Lab à New York. L’air de rien, la session a permis la rencontre entre 10 représentants de gouvernements ou de villes et 10 experts et praticiens de laboratoires d’innovation -dont moi pour la 27e Région- en présence d’une vingtaine d’observateurs. A raison de 5 sessions successives de 7 minutes chacune -avec changement d’interlocuteur à chaque session- le speed dating a permis de produire des réponses concises à des questions comme : « quels méthodes utilisez-vous et comment évaluez-vous leur impact ? » jusqu’à  « quel est votre plus gros échec et comment l’avez-vous dépassé ? ». Le temps d’une session, je me suis retrouvé dans le rôle du directeur qui a 7 minutes pour convaincre son maire de créer une équipe d’innovation -ce dernier joué par Myung Lee, directrice de l’association américaine City of Service. C’était drôle et terriblement efficace ! A refaire.

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La session 50 conversations, juste avant la tempête.

Comment dépasser l’illusion des bonnes pratiques ?

Innover, c’est aussi regarder différemment les « bonnes pratiques » qui nous sont proposées en exemple. En tribune, le maire d’Accra (Ghana), Alfred Vanderpuije, vante les mérites de l’innovation du quotidien en expliquant comment quatre mois plus tôt, il a demandé à ses agents de peintre séance tenante une ligne rouge sur le bord de la route pour délimiter l’accès des vendeurs de rue, facteurs d’innombrables accidents. Pendant que l’audience salue les résultats obtenus suite à cette mesure toute simple, une urbaniste ghanéenne, Victoria Okoye, affirme sur twitter que l’expérience ne fonctionne pas. Qui croire ? Peu importe, gageons que la réalité se situe un peu entre les deux… Plus généralement, l’anecdote montre à quel point il demeure difficile de rester dans la nuance lorsque l’on médiatise une initiative. Comment rendre compte d’un projet en revendiquant tout autant sa part de succès que sa part d’insuccès ?

L’innovation publique c’est bien, l’innovation politique c’est mieux.

Suite à sa participation à CityLab, Andrew Rasiej a publié un billet remarqué. Andrew est le créateur du Personal Democracy Forum mais aussi du Civic Hall, nouveau tiers-lieu new-yorkais consacré aux civic tech. Dans ce billet intitulé « Innovation in government : what we’re missing », il exprime clairement ce que nous nous disons peut-être confusément à la 27e Région : d’après lui, si l’innovation publique fait l’objet d’une activité très intense ces derniers temps -à coup de buzzwords comme l’open data ou la smart city-, en revanche l’innovation dans les systèmes politiques ne fait pas l’objet d’un investissement si élevé. Quels sont les nouveaux projets politiques possibles ? Comment remettre de la démocratie dans un système usé jusqu’à l’os ? « On voit surtout une communauté qui pense que la technologie va « disrupter » les politiques publiques comme elles l’ont fait avec des secteurs entiers, et des investisseurs qui cherchent des start-up prometteuses pour vendre de l’innovation aux gouvernement », écrit-il. « En revanche ce qu’on ne voit pas assez, ce sont des investissements ou des expérimentations visant à développer une démocratie plus efficace, plus transparent et plus équitable ». Paradoxalement, il parvient tout de même à citer une longue liste d’innovateurs politiques américains qu’il serait intéressant d’explorer : Common Cause, Rock the Vote, Demos, Taxpayers for Common Sense, et des plus récents : Sunlight Foundation, The Democracy Fund, PopVox, Democracy Works, Maplight, MayDayPAC, TakeBack.org, WhyTuesday.org, Citizen University, Indivisible, the Pluribus Project, VoteRunLead, Citizen Engagement Lab, Color of Change, 18 Million Rising, BetaNYC, Councilmatic. Andrew pense que ces projets travaillent trop en silos et gagneraient à converger. Quid du côté français ? Il serait intéressant de constituer une liste équivalente, dans laquelle on retrouverait sans doute Regards Citoyens, Nos Députés, Anticor, Nouvelle Donne, Démocratie ouverte, etc.

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Brèves de comptoir de CityLab

– A la question de la salle, « A quoi doivent servir les labos d’innovation publique ? », quelqu’un (non identifié) répond « A recréer l’intelligence que le secteur public a perdu avec les automatismes du new public management. »

– Dominic Campbell, le fondateur de FutureGov que nous avions accueilli à Superpublic : « Le numérique est juste un cheval de troie pour le design, c’est le design qui est vraiment important pour changer les villes ». Puisque Dominic le dit !

– « Créer des gouvernements pour des populations qui se gouvernent entres elles », c’est à peu près la traduction du projet que proposait Charles Leadbeater dans son intervention de clôture. Et de proposer aux villes, après avoir construit les réseaux d’énergie, de transports et de communication, de construire les « systèmes de socialisation » dont nous avons besoin pour nos villes.

Des liens utiles si vous avez raté CityLab : 25 bonnes idées à retenir de CityLab et les vidéos des séquences plénières.