Quel(s) avenir(s) pour le design des politiques publiques ?

Posted on 28 avril 2020 par Laura Pandelle

A l’heure où les célébrations et les rassemblements ne sont pas à l’ordre du jour, retour sur un événement qui a animé la communauté du design des politiques publiques à l’hiver 2019 : les Assises du design, un état des lieux du design français, mettant à l’honneur le design des politiques publiques … Quelques mois plus tard, il est temps de tirer un premier bilan de cet événement et de ses promesses, et d’envisager ses suites. Dans l’intervalle, les métiers et les pratiques de la transformation publique connaissent un contexte inédit qui mêle tension économique et opportunité d’action et de plaidoyer. Il est donc plus que jamais d’actualité de prolonger la réflexion des Assises du design autour des thèmes qui tiennent à cœur aux praticien.nes et de penser ensemble les stratégies nécessaires pour les mettre en oeuvre. A toutes celles et ceux qui souhaitent y réfléchir avec nous, nous serions ravis de vous proposer prochainement un temps d’échange sur Zoom (proposition de dates ici), en attendant de pouvoir programmer les prochaines « rencontres de la communauté » autour de ce thème ?

Rappel des épisodes précédents …

A l’automne 2019, la 27e Région était associée à un groupe de travail national, piloté par le ministère de la Culture et le ministère de l’Industrie visant à inaugurer les premières Assises du design, un événement fédérateur pour relever les défis et les enjeux contemporains du design. Pendant plusieurs semaines, un tour de table composé des institutions du design (APCI, Institut Français du Design, Cité du Design), des grandes écoles et de représentants des ministères et des réseaux professionnels se sont réunis pour construire un état des lieux partagé sur les forces et les faiblesses design français. Un contexte plutôt exotique pour la 27e Région, entourée le plus souvent de designers défroqués de leur profession, avec un pied dans les sciences sociales et l’autre dans les administrations publiques. Qu’à cela ne tienne, c’est ainsi que nous avons hérité de la rédaction d’un chapitre complet sur le design des politiques publiques, copiloté avec nos complices de la Cité du design de Saint Etienne, et avec le concours de nombreux.ses contributeur.trices – designers, chercheur.es, enseignant.es … Une synthèse du rapport final est accessible ici.

Après de multiples séances de travail pour tenter une problématisation collective, et des heures d’écriture, les premières Assises du design se sont déroulées en grandes pompes à Bercy le 11 décembre dernier, dans un contexte improbable de mise en scène révolutionnaire (la scénographie était conçue pour évoquer le serment du jeu de Paume) et de tension accrue des pouvoirs publics, en plein mouvement social contre les projets de loi sur la réforme des retraites et la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche. De quoi donner de l’ambition et un certain ton solennel à ces échanges dont l’ambition n’était rien moins que de renouveler le récit du design français.

Au final, que nous aura permis cet exercice ?

Tout d’abord de réaffirmer un certain nombre de choses, qui semblent encore peu reconnues par l’écosystème du design français. Que le design des politiques publiques est un champ de pratiques à part entière, pluridisciplinaire, diversifié, et en pleine expansion. Qu’il comporte des courants allant du design stratégique au design social en passant par le design f(r)iction, le design d’interaction ou le design de services, qu’il s’incarne dans des modes opératoires divers (prestations, recherche action, résidences, appels à projets …) et qu’il touche à une grande variété de sujets de l’action publique, allant de la conception d’équipements et de services publics de terrain à des réflexions plus stratégiques auprès de décideurs et d’élus. Et surtout, que la demande des pouvoirs publics en terme d’accompagnement par le design explose, et génère aujourd’hui un marché en pleine émergence. On a aussi pu réaffirmer que des faiblesses et des risques sont inhérents à ce développement très rapide du design des politiques publiques au cours des 15 dernières années : comment tenir les promesses du design, dans un contexte où l’action publique n’a jamais été aussi sous tension ? Comment garantir une qualité et une déontologie de la pratique, si son développement est mu avant tout par un effet de marché, sans appropriation réelles par les institutions du design – telles que les écoles ou les organismes de promotion – qui garantissent habituellement l’ancrage d’une discipline dans un socle théorique et conceptuel ? Comment enfin, analyser et comprendre les effets réels du design sur les transformations structurelles du service public, qui sont au coeur de débats de société vivaces ces dernières années ? Pour que le design ne soit pas une « mode passagère » dans la lignée des précédents dogmes de transformation publique – dont on connait le puissant pouvoir de récupération – il s’agit donc de pointer des leviers pour ancrer le design durablement dans l’action publique, autant que de mener un travail de fond sur son positionnement, ses valeurs, son évaluation, et ses modalités de transmission.

Au-delà de faire reconnaître le design des politiques publiques comme un champ à part entière dans le monde du design, les Assises nous ont donné l’opportunité de mener ce chantier avec la communauté professionnelle de la transformation publique : une quarantaine de contributions sont venues nourrir cet état des lieux, partageant des retours d’expérience sur l’intégration du design dans les collectivités, des exemples de projets (réussis ou ratés, et pourquoi) ou encore des analyses plus macroscopiques venant de professionnels, d’agents, ou de chercheurs.

On retient plusieurs interpellations parmi ces contributions. Tout d’abord, celle qui revient à dire que le travail de transformation culturelle des administrations reste encore largement à faire et ne peut se limiter aux usages actuels du design par les pouvoirs publics, qui – dans leur diversité – misent encore beaucoup sur l’apport de la créativité et du prototypage dans la conduite de projet. Pour François Jégou (Stratégic Design Scenarios) le design doit dépasser une fonction de « démonstration » pour être un levier d’empowerment de tous et toutes, vers une logique d’organisation publique apprenante, expérimentale, et ancrée dans le réel. Pour Romain Beaucher (Vraiment Vraiment), il n’y aura pas de transformation stratégique de l’action publique par le design si celui-ci ne remonte pas plus haut dans la fabrique de la décision publique, auprès des élus et des hauts fonctionnaires. Pour Romain Thévenet (DéTéA), le développement du design a au contraire sa chance à une échelle territoriale, en faisant travailler ensemble des collectivités, des entreprises et des citoyens, dans un même ancrage sensible. Vers un design public vernaculaire ? C’est également ce que nous apporte la contribution de Christian Paul à travers l’expérience des Villages du Futur dans le pays Nivernais-morvan.

Une autre interpellation vise à inciter les acteurs du design à faire du design différemment, au contact des problématiques de l’action publique. Les partisan.es du design f(r)iction nous invitent à utiliser le pouvoir de formalisation du design pour aborder le coeur des controverses qui agitent aujourd’hui la transformation des politiques publiques. Quelles seraient les dérives d’une bureaucratie numérique basée sur des nano-technologies embarquées ? L’État a-t-il le droit de tout savoir sur nous ? Notre revenu d’existence sera-t-il un jour calculé sur la base de notre comportement ? Ce sont autant de débats auxquels le design permet de donner forme – et la gestion de la crise actuelle du covid19 (avec la perspective d’un traçage numérique de toute la population) montre à quel point ces questions sont d’actualité. Cette invitation à faire du design autrement repose aussi sur le constat que si l’action publique se saisit pleinement des outils et des méthodes du design, l’inverse est encore trop peu le cas. Combien de jeunes professionnels du design maitrisent pleinement les codes et l’univers administratifs, ou ont eu l’opportunité de faire un stage de terrain dans une collectivité ? De la même manière, si les écoles de design commencent aujourd’hui à s’intéresser au design des politiques publiques, trop peu intègrent dans leur curriculum les sciences sociales, l’histoire des institutions, le droit, l’économie … autant de données essentielles à tout jeune professionnel souhaitant travailler sur la chose publique. En regard de cela, la sphère publique elle, met en place des formations au design pour les fonctionnaires, des ateliers de sensibilisation … laissant présager la perspective d’un design des politiques publiques dont on a gardé les outils, quelques méthodes … mais pas les designers !! Pour que le design des politiques publiques ne se résume pas à une boîte à outils de techniques créatives, il s’agit donc d’ancrer la discipline dans un socle de connaissances plus solide, pour garantir sa pertinence.

Pour de nombreux agents de collectivités (et notamment les pilotes des laboratoires et services innovation qui ont régulièrement recours au design), la condition nécessaire pour que le design tienne sa promesse est de muscler son suivi et son évaluation. C’est également ce qui permet au design de fleurir dans des contextes particulièrement sensibles de l’action publique, comme en témoigne l’équipe du LAB-AH qui a su mettre une ambition de transformation culturelle de l’Hôpital par le design au centre du projet d’établissement. Parler d’évaluation ne vise pas à « sanctionner » le design mais bien à identifier les bonnes manières de le mettre en oeuvre.

Enfin, une dernière interpellation est celle d’une politisation nécessaire du design des politiques publiques. Dans un contexte où la puissance publique subit de fortes pressions internes (réformes, coupes budgétaires …) et externes (à travers un désaveu toujours plus fort de la part de la population), le design des politiques publiques doit affirmer plus clairement l’action publique qu’il défend, ou qu’il veut contribuer à construire. Ce plaidoyer doit se concrétiser dans sa capacité à faire évoluer la commande publique, à construire des alliances avec des agents et des élus porteurs d’une vision radicale et ambitieuse, et à sortir d’une simple position de ‘facilitation’ pour mettre ses compétences au service d’un projet global. En ce sens, le design des politiques publiques peut renouer avec ses racines disciplinaires dans le design social revendiqué par Viktor Papanek, qui incitait ses étudiant.es à défendre des valeurs explicites d’humanisme et de responsabilité dans leurs pratiques, et à s’ancrer dans un projet de société.

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Ces différentes contributions nous ont permis de formuler un certain nombre de propositions, dont il convient de partager ici celles qui nous tiennent le plus à coeur ! Ce partage est bien entendu une invitation à y travailler ensemble, et à continuer de nourrir le design comme une discipline foisonnante, et à l’aider à dépasser ses écueils et son plafond de verre. Pour donner une suite concrète à ces Assises, nous vous proposons d’organiser les prochaines « journées au vert » de la communauté 27e Région autour de ces propositions, dès que le contexte sanitaire le permettra. En attendant, nous sommes preneurs de vos retours sur ces propositions, dont l’intégralité est à consulter sur le site des Assises du design. En voici trois qui nous tiennent particulièrement à coeur.

Lancer une nouvelle génération d’appels à projets d’innovation publique par le design, construite pour et par les acteurs de terrain. Alors que les programmes d’innovation publique se multiplient, et sont un point d’ancrage fort du design dans l’action publique, ils restent bien souvent réservés aux grandes administrations, capables de déployer une ingénierie conséquente. Pour démocratiser l’accès au design, et lui permettre d’adresser des problématiques pressantes de l’action publique de terrain, il faut inventer des cadres facilitants pour les acteurs locaux – intercommunalités rurales, villes moyennes, PNR … c’est aussi une condition pour créer des écosystèmes locaux du design public, comme en Pays de la Loire ou en Bourgogne, afin qu’une offre locale puisse se constituer face à l’émergence d’une communauté professionnelle essentiellement métropolitaine.

Vers une école « distribuée » du design des politiques publiques. Alors que de plus en plus d’écoles de design cherchent à proposer des workshops, des cours ou des stages orientés vers l’action publique à leurs étudiant.es, il n’existe pas encore une école des écoles, hors cursus et pluridisciplinaire, un sas pour questionner la transmission théorique et pratique du design des politiques publiques. A la manière de Superville pour les constructeurs, ou des rencontres du réseau ERPS pour les architectes, un événement annuel et itinérant permettrait de développer la communauté professionnelle sur les territoires.

Créer une plateforme de ressources communes pour le design des politiques publiques. Si les usages du design dans l’action publique se multiplient, trop peu d’initiatives permettent encore de créer réellement du « commun » autour de cette discipline. Or les enjeux de transmission, de suivi, d’évaluation et de promotion dont nous avons parlé plus haut en dépendent. Il semblerait donc judicieux d’inventer un centre-ressource dédié à cette pratique, répertoriant des cas, des analyses, des supports de formation, et animant la communauté professionnelle autour de questions de fond.

Pour en discuter collectivement, n’hésitez pas à signaler vos disponibilités ici, ou à prendre contact avec nous directement :
Stéphane Vincent : svincent@la27eregion.fr
Laura Pandelle : pandelle_laura@yahoo.fr
Julien Defait : j.defait@gmail.com