Nous étions conviés le 31 août à Copenhague à « How Public Design », séminaire international consacré à l’application du design dans la transformation des services publics, organisé par le MindLab à l’occasion de la Design Week.
Ouf, ça y est. En pleine crise, quelque chose d’enfin positif mobilise au même moment des administrations du monde entier… De quoi retrouver un peu d’espoir dans un secteur public que l’on croyait marqué pour toujours par la culture de gestion née sous Thatcher et Reagan, ou qui ne semblait voir l’innovation qu’à travers une administration électronique dont certains excès commencent à taper sur les nerfs des français -cf les derniers rapports de l’ex-médiateur de la République.
Le nouveau design des services publics
De façon encore marginale mais avec l’enthousiasme des pionniers, des gouvernements (australien, danois), des collectivités locales du monde entier considèrent que d’autres modèles sont possibles, basés sur la co-conception (le co-design) des politiques publiques avec les populations. Certes, tout n’est pas nouveau, ni parfait, mais si elle aboutit, l’association entre l’expérience des vétérans de la participation et les nouvelles approches pluridisciplinaires autour du design (ethnologie, co-création, prototypage rapide…) pourrait produire des choses vraiment intéressantes.
C’était particulièrement évident lors de ce séminaire qui réunissait pendant deux jours et demi une soixantaine de designers, anthropologues, de think tanks et de chercheurs du monde entier, mais aussi des fonctionnaires de plusieurs ministères danois –finances, travail, intérieur, jusqu’à la direction des services pénitenciers.
Visualiser pour produire du changement désirable
L’un des atouts du design examiné par les participants est sa capacité à visualiser, dans un secteur public qui ne connaît généralement que l’écrit : « more pictures, less words » disent en cœur les fonctionnaires danois. Dans le groupe de travail consacré à la visualisation, Romain et moi montrons de quelle façon celle-ci intervient à tous les stades du projet : depuis la production de la carte sociale des acteurs jusqu’aux scénarios mis en image et au dispositif prototypé. Pour les fonctionnaires présents -qui pour certains travaillent depuis plusieurs années avec le Mindlab- ces techniques de visualisation sont d’abord un moyen de « faire tomber les barrières et construire une compréhension commune ».
Chacun distingue bien les esquisses bricolées sur le mode « quick and dirty » que chacun peu donc facilement s’approprier, et les dessins ou les montages léchés à l’extrême au terme du projet. Pour beaucoup, l’idéal est atteint quand c’est l’agent ou l’usager lui-même qui prend le stylo, les ciseaux ou la souris pour réaliser le dessin ou la maquette, et non plus le designer lui-même…
Mais la visualisation n’est pas réductible à un outil dans le processus de design. C’est aussi devenu le moyen incontournable de penser différemment l’avenir. C’est dans cet esprit que Manuel Toscano (Zago, USA) promeut une visualisation qui réenchante, dans un monde devenu trop pessimiste pour affronter les nouveaux enjeux. Ramus Run Nielsen (2+1 Ideas agency) parle de « créer une histoire visuelle qui donne du sens au changement et le rende désirable ». Pour lui, il s’agit dorénavant plus de « changer la narration que de promouvoir de nouveaux concepts ».
La culture mange du design à chaque petit déjeuner
Fait notable : tout en plébiscitant le potentiel du design pour repenser le secteur public, les participants en reconnaissent volontiers les limites. A l’attention des designers trop gourmands, convaincus qu’ils pourraient résoudre les grands enjeux planétaires, Philippe Collgan (Public service innovation lab, Nesta, GB) rappelle que « la culture mange de la stratégie à chaque petit déjeuner »… on ne va pas changer la nature humaine avec de vulgaires techniques ! Quant aux promoteurs du « design d’expérience » (« experience design »), Richard Buchanan (Weatherhead School of Mangement, USA) répond « qu’il est impossible pour un humain d’expérimenter un système ».
D’ailleurs les fonctionnaires présents ne s’y trompent pas : le design est surtout vu pour sa capacité à produire plus de sérendipité, à rebattre les cartes entre les parties prenantes (« stake-holders ») et c’est déjà beaucoup. Ils s’entendent pour dire qu’ils ne veulent pas du « designer expert », mais plutôt du « designer facilitateur » ; les agents veulent nourrir une conversation avec les designers, pas écouter un énième spécialiste leur expliquer la solution… Des agents qu’il ne s’agit pas de transformer en designers, selon Nina Terray (Thinkplace, Australie), mais bien d’aider à ré-interroger leur propre rôle.
Plus d’informations sur How Public Design, les bios des intervenants, le programme, les participants.
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Les « entrailles » du MindLab :