Mexico, mégapole créative : notes de voyage

Posted on 4 mai 2017 par Stéphane Vincent

Mexico est une mégapole fascinante de plus de 22 millions d’habitants, l’une des plus peuplée au monde et l’une des plus grandes -20 fois la superficie de Paris. Elle concentre tous les défis imaginables en matière de démographie et d’urbanisme, de transport et d’emploi, de pollution et de gestion de l’eau, de risques sismiques et volcaniques. Comment fait-elle face à tous ces défis ? De quelle façon mobilise t-elle la créativité, la participation citoyenne et l’innovation sociale pour tenter de trouver des solutions ? Paris et Mexico ont mis en place un partenariat pour échanger leurs approches sur ces questions et un déplacement était organisé la semaine du 24 avril. Outre les équipes de la Ville de Paris, Numa et la 27e Région étaient conviés pour évoquer respectivement les questions d’économie numérique et d’innovation dans les politiques publiques. Petit retour sur une épatante visite guidée de quelques jours.

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L’histoire n’a pas ménagé Mexico. Dès le XVIe siècle, les conquérants espagnols privent Tenochtitian -ancêtre de Mexico- de l’accès à l’eau en asséchant le lac Texcoco qui l’entoure. Plus près de nous, chacun se souvient du séisme de magnitude de 8.1 sur l’échelle de Richter qui a coûté la vie de 50 000 personnes le 19 septembre 1985. Le centre-ville a été durement atteint, et plus de trente ans après, 60% de ses habitants l’ont quitté et chaque année plus de 80 000 personnes rejoignent sa périphérie.

Un traffic intense. Aujourd’hui visitée par près de 2 millions de touristes chaque jour du fait de ses très nombreux monuments tel la cathédrale métropolitaine de Mexico construite en 1571, les loyers du centre-ville ont vu leur prix doubler, accélérant les départs vers la banlieue. « A ma naissance, mon père mettait 30 mn pour venir travailler venir depuis la banlieue. Aujourd’hui ça lui prend entre 2 et 3 heures matin et soir », nous dit Brenda Vértiz, designer au Laboratoire Para La Ciudad. Malgré la diversité des moyens de transports publics -dont les fameux métrobus qui coupent la ville en tout sens- la circulation est intense presque 24h sur 24.

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Une population divisée. La Mexico possède l’équivalent du PIB de la Norvège, mais les écarts de richesse y sont les plus élevés du monde. Les conséquences sont nombreuses : gentrification dans un nombre croissant de quartier, « gated communities », corruption et construction illégales…. Le gouvernement prépare une augmentation du salaire minimum -actuellement de 70 Pesos/jour soit 3,5 euros et prévoit de nouveaux programmes de financements pour le logement social.

Le commerce sauvage vécu comme une nuisance. Pour la ville, le commerce ambulant produit des embouteillages et d’importants déchets, mais il est aussi vécu comme une nuisance pour le tourisme et il ne paie pas de taxes contrairement aux commerces du centre ville. Les vendeurs sont tant bien que mal encouragés à rejoindre des espaces de marché fournis par la ville, où ils peuvent stocker leurs marchandises. Mais beaucoup préfèrent soit poursuivre illégalement, soit partir en banlieue, soit même cesser leur activité -comme 12000 commerçants l’ont fait en 2016.

2016, une nouvelle étape ? L’année dernière a marqué un tournant institutionnel qui pourrait redonner une nouvelle énergie à Mexico. L’ancien District fédéral devient une ville et se dote d’une nouvelle constitution qui devrait lui donner plus de pouvoirs et de moyens. Les habitants ont la possibilité de contribuer à cette constitution via Change.org et PubPub, un outil d’édition en ligne. Un vaste chantier législatif va s’ouvrir, un nouveau plan est lancé pour les 20 prochaines années. Mais les moyens restent limitées : le nombre de 300 000 agents publics peut paraitre conséquent, mais en réalité il correspond aux besoins d’une métropole de 10 millions d’habitants et il en faudrait le double pour remplir les besoins actuels.

La renaissance du centre historique. Choisi comme centre névralgique de la reconstruction, le centre historique s’est doté d’une autorité spéciale sous l’égide du gouvernement et avec pouvoir direct sur les 16 arrondissements ou « délégations » de la ville. Tous les services de la ville se réunissent 2 fois par semaine sous l’égide de cette autorité. Cinq principes guident le plan de réhabilitation : une vision intégrale (énergie, eau potable, télécoms…) ; un espace public habitable, à l’opposé de la ville-musée, avec des transports publics propres et efficaces et une réflexion approfondie sur le mobiliser urbain ; un design harmonieux ; une approche nouvelle de la culture (par exemple changer l’image des graffitis) ; et bien sûr la valorisation de l’héritage historique.

Le pouvoir d’agir des communautés. Miravalle est une ancienne zone agricole du sud de la ville qui a vu sa population croitre à partir du séisme de 1985. La pauvreté et la marginalisation y sont élevées, et Miravalle fait partie des zones de repli pour les gangs pratiquant le kidnapping. Depuis une dizaine d’années les habitants se sont pris en main et aujourd’hui une centaine de familles se coordonnent au sein d’une communauté qui promeut le bien commun et l’innovation sociale. « Il faut penser les équipements en fonction de leurs usages, sinon on crée des éléphants blancs », nous dit l’un des animateurs du projet. Les résultats sont tangibles et s’incarnent à travers un ensemble de réalisations gérées collectivement : une bibliothèque, un espace internet, un restaurant communautaire qui fournit 150 repas par jour, des équipements sportifs, une ressourcerie, plusieurs aménagements urbains pour accueillir des événements publics et des rencontres. Le projet a été récompensé à de multiples reprises.

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Nous avons eu la formidable opportunité d’aller à la rencontre des équipes du labo d’innovation de Mexico, le « Laboratorio Para La Ciudad« , que nous croisons souvent depuis sa création il y a 4 ans. L’équipe dirigée par Gabriella Gomez-Mont compte une quinzaine de collaborateurs qui couvrent toutes les disciplines -urbanisme, architecture, sociologie, design- et une dizaine d’étudiants et stagiaires. Le labo est niché en haut d’un building et profite d’une immense terrasse qui surplombe la ville.

Aujourd’hui l’activité du labo s’organise autour de 6 axes.

« Ville créative » vise l’empowerment citoyen par la créativité. Ce programme a notamment permis d’offrir à près de 600 participants un cycle de 12 séminaires sur la créativité. A terme l’objectif est d’intégrer des modules au sein des écoles. L’équipe a cartographié toutes les ressources et pratiques existantes en matière de créativité dans la ville.

« Ville ouverte » s’inscrit dans les principes du « gouvernement ouvert », principalement dans le champ des données. Lancée en 2013, la première phase visait à sensibiliser les acteurs mais aussi à créer un portail de données ouvertes, complémentaire de celui de la ville de Mexico. Après un cycle de hackatons, les prochaines phases visent à associer davantage les équipes de la ville.

« Ville ludique » s’intéresse à l’accès des enfants au jeu. L’équipe mène des expériences locales (ex A-Pops, dans laquelle des enfants peuvent programmer eux-mêmes un jet d’eau) mais conduit aussi un travail systématique de quadrillage de la ville, avec pour objectif de rendre l’espace public moins dangereux pour les enfants, et rapprocher des terrains de jeu de leur lieu d’habitation. Une étude a permis de cartographier l’existant et de comprendre les principaux obstacles -par exemple il n’existe pas de registre des espaces verts, ni de stratégie de conception des espaces pour les jeunes, le mobilier urbain est choisi de façon indifférencié, la législation est contraignante. Aujourd’hui l’équipe a réalisé un guide à partir des enseignements des expériences éphémères réalisées dans de multiples quartiers de la ville. Celui-ci est inclus dans le nouveau plan de développement urbain,

« Ville piétonne » vise à lutter contre les accidents de la route. Aujourd’hui il y a 46 accidents par jour qui font 2 morts en moyennes. Mexico s’est inspiré du travail réalisé par le parlement suédois et fête maintenant « la journée du piéton ». Un programme a été co-conçu avec les habitants et les experts et est actuellement mis en oeuvre, malgré le manque de données cartographiées sur la sécurité routière à Mexico.

« Ville proposition » est le budget participatif de la Ville de Mexico. Un premier budget de 900 000 000 peso a été réparti entre les 16 arrondissements. Un second est consacré au projet « Améliore ton quartier », conçu pour convaincre les publics en retrait qui participent peu à ce genre de démarche. Dans ce volet les communautés locales mettent en place elles-mêmes les projets retenus.

« Projets spéciaux ». Pour l’essentiel c’est le programme qui vise à promouvoir les méthodes d’innovation par le design; avec des approches immersions qui rappellent les résidences de la 27e Région..

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La tâche est immense tant les besoins de Mexico sont grands. Mais le Laboratorio montre la voie et inscrit l’apport de la créativité et de l’expertise citoyenne dans le projet du nouveau Mexico. A noter que Mexico sera capitale du design en 2018. Une affaire à suivre !