Les fondations territoriales : du développement du mécénat local au financement de communs territoriaux ?

Posted on 11 mai 2022 par Nadège Guiraud

A l’heure où les défis sociaux, environnementaux et démocratiques s’accroissent, les fondations territoriales, qui se développent en France depuis une dizaine d’années (même si la plus ancienne, la fondation de Lille, date de la fin des années 80) semblent intéresser de plus en plus les collectivités, pour leur capacité à mobiliser les acteurs des territoires et à construire des réponses adaptées et collectives, au plus proche des besoins des habitant.e.s

Au-delà de la mutualisation et de la professionnalisation de la levée de fonds (publics, d’entreprises et de particuliers) et de la promotion du mécénat local, dans quelle mesure la  fondation territoriale peut-elle être un nouvel outil de développement économique et social, dans une dynamique de relocalisation ? Voire un modèle pour appuyer de nouvelles alliances au service de l’émergence et de la préservation de communs territoriaux ?

Ces questions étaient au coeur du webinaire que nous avons organisé le 7 avril dernier pour nos adhérents et partenaires, avec les précieux témoignages d’Aurélie Reder, déléguée générale du Fonds de Dotation Territorial Metz Mécènes Solidaires et de Gilles Franchetto, chef du service mécénat et innovation à l’Eurométropole de Metz; d’Emmanuelle Leroy Cerqueira, Directrice Attractivité et Emploi et Géraldine Ducrocq, Cheffe de projet Alliances Territoriales à la Direction Attractivité et Emploi de la Communauté urbaine de Dunkerque, pour la Fondation du Dunkerquois Solidaire; et d’Ines de Agueda,  conseillère de campagnes et formatrice pour la plateforme de crowdfunding civique Goteo, pionnière du matchfunding en Europe.

Mais c’est quoi une fondation territoriale, au fait ?

Le terme « fondation territoriale » n’est pas encadré juridiquement et n’a donc pas de définition légale. Inspirée des « community foundations » nées dans les années 40 aux Etats-Unis, la fondation territoriale n’agit pas en faveur d’une cause mais au sein d’un territoire, sur tous les champs de l’intérêt général. Elle se place ainsi comme catalyseur pour en rassembler les différents acteurs (entreprises, associations, collectivités locales, citoyen.ne.s, etc.) autour d’un intérêt commun : le développement de leur territoire« , selon le Centre français des fonds et fondations (CFF) qui promeut cette approche. En France, ces fondations recouvrent une diversité de statuts juridiques, de modes de gouvernance, de natures des actions financées, de modalités de choix et d’accompagnement des projets financés, mais aussi de rôle et de niveau d’engagement de la (ou des) collectivité(s).
En France, les fondations à vocation territoriale sont encore mal connues, et donc encore peu nombreuses : de l’ordre de 70, soit moins de 2% des quelque 4.200 fonds et fondations actifs recensés en 2018.

Fondation du Dunkerquois Solidaire, Metz Mécènes Solidaires : deux histoires et deux modèles différents …

Le premier exemple présenté est celui de la Fondation du Dunkerquois Solidaire, créée en 2016 dans le cadre des Etats Généraux de l’Emploi Local, une démarche de dialogue territorial impulsée par le Président de la Communauté urbaine de Dunkerque (CUD) et visant à identifier les leviers pour dynamiser l’économie et réduire le chômage en mobilisant toute la société. . La fondation, construite avec les acteurs de l’emploi et de la solidarité et inspirée par le dispositif Territoires Zéro Chômeur de longue durée, est conçue comme un mécanisme inédit de collecte de fonds au bénéfice d’emplois nouveaux pour des chômeurs longue durée. Elle est abritée juridiquement par la Fondation reconnue d’utilité publique Agir Contre l’Exclusion (FACE).

La fondation fonctionne sur la base d’un appel à projets permanent, pour financer et accompagner, pendant trois ans, des projets d’utilité sociale créateurs d’au moins un emploi pour des personnes privées d’emploi depuis au moins deux ans. Aujourd’hui, ce sont 600 000 euros qui ont ainsi été versés aux associations partenaires, lauréates de l’appel à projets permettant de créer 12 emplois. 100% des dons sont reversés au service des projets, la CUD prenant en charge les coûts de fonctionnement (salaire, communication, etc.).

Metz Mécènes Solidaires est né en 2018 d’un tout autre besoin, à l’initiative de Metz Métropole : celui de promouvoir une culture du mécénat auprès des entrepreneurs locaux, d’insuffler une dynamique locale autour de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), d’encourager le développement de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de professionnaliser la levée de fonds au bénéfice de différents opérateurs associatifs du territoire. Ce fonds de dotation territorial (contrairement à la fondation d’utilité publique, créée par décret du Premier Ministre, celui-ci nécessite seulement un dépôt en Préfecture, mais ne peut bénéficier de financements publics) a déjà permis de soutenir une quarantaine de projets de l’ESS, dont certains n’auraient pas vu le jour sans lui. Metz Mécènes Solidaires récolte 350 000€ par an en mécénat financier d’entreprises essentiellement et en mécénat en nature et compétences.

Crédit : Une Terre et un Jardin pour 2 Mains

Un nouveau rôle d’animateur des coopérations sur le territoire 

La Fondation du Dunkerquois Solidaire est aujourd’hui reconnue pour son rôle d’organisation des solidarités et de facilitation des liens entre les associations et les acteurs du territoire qui veulent les aider, notamment les PME et PMI. Dans cet esprit, elle vient aussi de s’associer à Pro Bono Lab pour permettre aux associations de bénéficier du savoir-faire des collaborateurs d’entreprises sous la forme de bénévolat et de mécénat de compétences. L’action de la Fondation a également permis de faire émerger de nouveaux acteurs dans le champ de l’ESS, et de diversifier ainsi le tissu associatif local.

A Dunkerque comme à Metz, la fondation territoriale a conduit la collectivité à faire “un pas de côté” en nouant des liens nouveaux avec les entreprises, pour les mobiliser et/ou orienter leur mécénat localement, mais aussi pour atténuer la  concurrence entre les projets en recherche de financements sur le territoire. Metz Mécènes Solidaires propose non seulement aux entreprises partenaires des actions de mécénat de compétences et/ou bénévolat mais aussi des opérations de teambuilding solidaire au sein des associations soutenues afin que la générosité “ruisselle” jusqu’aux salarié.e.s.

A la CUD, cette évolution s’est traduite jusque dans l’intitulé de poste de l’agente en charge du projet, Géraldine Ducrocq, devenue cheffe de projet “alliances territoriales”. A Metz, Aurélie Reder, qui a porté le projet de création du fonds de dotation, a quitté son poste de responsable du mécénat à la Métropole pour devenir déléguée générale de Metz Mécènes Solidaires une fois le fonds créé.

Des questions et défis partagés

A Dunkerque comme à Metz, la principale difficulté est de repérer des “bons” porteurs et des “bons” projets, à la fois en termes d’utilité sociale et de stabilité économique. Si les structures qui accompagnent les activités dans le champ de l’ESS existent, il reste un manque en matière d’identification des besoins et opportunités d’activités, et des acteurs susceptibles d’y répondre.  A Metz, et dans le prolongement de l’activité du Fonds de Dotation, une fabrique à initiatives et un incubateur de projets, rassemblés sous la bannière ” Le Filon”, ont été créés pour tenter de combler ce vide.

Se pose également la question de la coopération entre les services de la collectivité et la fondation, et de l’articulation des projets financés avec l’action publique. Des agents de la CUD sont associés à chaque phase d’étude et d’accompagnement des projets de la fondation, pour apporter leur expertise thématique (par exemple pour des projets dans le champ des déchets ou de l’économie circulaire), dans une logique d’alliance et de mutualisation des compétences publiques-privées-associatives au service de l’emploi sur le territoire, objet principal de la Fondation du Dunkerquois Solidaire. Une même dynamique partenariale est aujourd’hui envisagée dans d’autres champs du développement social local, comme celui de la réussite scolaire. A Metz, si le fonds de dotation est autonome dans le choix des projets, la Métropole contribue à la définition des thématiques des appels à projet, dans le souci de répondre au mieux aux besoins du territoire. Les services de la Métropole sont également sollicités pour donner un avis consultatif sur les projets financés par le Fonds, et mobilisent parfois des financements complémentaires pour soutenir certains projets.

A noter toutefois que les fondations territoriales ne sont pas encore vraiment perçues comme des outils de développement économique, notamment en lien avec les enjeux de relocalisation (dans la logique production locale => réinvestissement des recettes localement via le soutien à des projets d’utilité sociale)

Et les habitant.e.s dans tout cela ? L’exemple du modèle de matchfunding développé par Goteo

Pour terminer, un tour par le laboratoire d’innovation démocratique et d’économie coopérative que constitue l’Espagne. Goteo.org est une plateforme de crowdfunding d’initiatives citoyennes, projets sociaux, culturels, technologiques, écologiques et éducatifs. Développée en open source, elle a été répliquée dans plusieurs villes européennes et constitue un outil pour la création de communautés (plus de 200 000 personnes aujourd’hui) autour de projets d’intérêt public et civique, dont le taux de réussite de financement dépasse 80%. Goteo.org est également pionnier dans la mise en oeuvre du matchfunding, un modèle de cofinancement innovant par lequel les contributions d’institutions publiques, d’entreprises et d’autres entités privées viennent compléter à part égale les montants collectés par crowdfunding auprès des citoyens, favorisant ainsi la co-responsabilité et la transparence entre les différentes parties prenantes. En 10 ans, l’organisation a développé 22 programmes de matchfunding.

L’organisation a notamment développé ce type de plateforme avec la Ville de Barcelone dans le cadre du projet MatchImpulsa qui a financé une douzaine de projets au service du développement de l’économie collaborative et du bien-être des habitant.e.s, notamment inspirés d’approches open source et féministes.

Le mécanisme permet d’impliquer la société civile dans le choix des priorités et des projets financés par la collectivité et ses partenaires ; il mobilise également des personnes qui ne participent pas habituellement aux dispositifs plus institutionnels tels que les budgets participatifs, et permet de faire émerger des communautés autour des projets, dans une logique de co-responsabilité et de transparence. Les études menées par Gotéo, grâce à un important travail de collecte et d’analyse des données de ces projets (le numérique favorisant la collecte de data), montrent également que le crowdfunding impliquant les institutions publiques augmente la crédibilité des projets proposés et les fonds collectés (en moyenne 180 % de dons de plus qu’une campagne sans soutien institutionnel).

 

Alors, les fondations territoriales, un outil au service d’une gestion plus partagée des communs territoriaux, impliquant côte à côte collectivités, entreprises et habitant.e.s ? Un moteur de transformation des approches de développement économique des collectivités, plus tournées vers la réponse aux défis territoriaux et la création de valeur locale ? Un mode innovant de dialogue et de gouvernance entre les diverses parties prenantes d’un territoire ? Un moteur de transformation de la posture des collectivités, intégrant un rôle de facilitateur, d’animateur ou de curateur par exemple ? Quoi qu’il en soit, ces modèles, plus développés dans d’autres pays européens, se déploient aujourd’hui en France. Des collectivités comme l’Eurométropole de Strasbourg se sont ainsi inspirées de l’approche de Gotéo pour lancer leur premiers dispositifs de matchfunding dans le cadre du programme européen BoostInno. Le programme a d’ailleurs exploré les nouveaux rôles et nouvelles compétences nécessaires, au sein des administrations, pour accompagner les dynamiques d’innovation sociale émergeant avec ce type de dispositifs, c’est à lire sur le site du projet (ici un focus sur le rôle de ‘broker’ ou ‘intermédiateur’).