Labs for System Change : des labos qui veulent changer le système

Posted on 1 juin 2014 par Stéphane Vincent

La 27e Région faisait partie d’une quarantaine de projets invités en tant que « laboratoires d’innovation publique et sociale » (diminutif « lab », tag #psilabs) à « Labs for System Change » du 25 au 27 mai à Toronto au Canada. La rencontre était organisée par le MaRS Solutions Lab, dans la lignée de rencontres semblables telles que How Public Design à Copenhague, Labs2 à Amsterdam, ou Design Public Local que nous avions organisé à Tourcoing.

Premiers retours et impressions en deux parties : la première sur les « labs » en général, la seconde consacrée tout spécialement aux laboratoires d’innovation dans le secteur public.

Bienvenue au Centre for Social Innovation !
La première soirée débutait par la visite du Centre for Social Innovation, immense tiers-lieu consacré à l’entrepreneuriat social créé il y a 10 ans jour pour jour -méga fête programmée le lendemain- dans un building de 5 étages des quartiers étudiants de Toronto, fondé par la serial entrepreneur Tonya Surman. Quatre annexes ont été créées depuis dont 2 à New York, mais déjà Tonya ne tient plus : « J’ai promis à mon conseil d’administration de ne plus ouvrir de nouveau site pendant 2 ans. L’échéance arrive à terme la semaine prochaine… c’est génial, je vais pouvoir recommencer ! ». L’ensemble des sites du CSI abritent 600 entreprises sociales.

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Pour financer l’achat du CSI de Toronto, Tonya avait inventé un système original de « bons communautaires » (community bonds) qu’elle a raconté depuis dans « The Community Bond : An Innovation in Social Finance« . Les autres annexes sont des locations. Le CSI a également publié en 2012 un guide bien connu des concepteurs de « tiers-lieux » et de co-working.
Les valeurs du CSI sont claires (l’entrepreneuriat social, le travail avec les communautés, innover de façon radicale), mais comment mesure t-elle l’impact que créé réellement le CSI auprès de ses habitants ? Tonya explique qu’après avoir adressé des enquêtes composés de plus de 100 questions auprès de ses membres, le CSI évalue maintenant son action à partir de 4 questions posées chaque mois. Ca marche beaucoup mieux, dit-elle.

Le MaRS Solutions Lab
Les deux journées suivantes se déroulaient au sein du MaRS Discovery District. MaRS est une structure canadienne sans but lucratif consacrée à l’innovation. En 2005 elle a ouvert au coeur de Toronto le MaRS Discovery District, l’un des plus grands lieux au monde visant à fédérer et promouvoir l’innovation dans le champ économique, public et social. En 2013, la création du MaRS Lab a été confiée à Joeri Van den Steenhoven, l’un des fondateurs de Kennisland que nous avions rencontré à Amsterdam (Kafka Brigade, Digital Pioneers, etc). C’est à son initiative qu’étaient organisées ce « Labs for System Change« , 3 journées de rencontres consacrées aux « laboratoires d’innovation publique et sociale » du 25 au 27 mai. L’une des ces journées était ouverte à un public d’entrepreneurs et d’administrations canadiennes et américaines, tandis que les deux autres étaient réservées au 45 « labs » invités et venus du monde entier, dont nous étions.

Le « lab », nouvelle marotte de l’innovation sociale ?
Pas une journée dans le monde sans qu’une organisation publique ou privée, un secteur d’activité ou l’association du coin n’annonce le lancement de son « innovation lab ». Adam Kahane de Reos partners raconte cette blague sur ce qu’il appelle les « pop-up labs » : « Deux types se rencontrent dans un ascenseur et à la fin de leur conversation, ils se quittent sur un, ah tiens, si on lançait un lab ? ». Le lab serait la nouvelle danseuse de tous les apprentis innovateurs sociaux qui veulent « changer le système ». Mais quel système, au nom de quelle vision et de quelle façon ? Les réponses ne sont pas toujours claires, et « Labs for system change » visait d’une part à décrypter cette tendance, d’autre part à réunir la communauté des initiatives existantes.

L’impossible définition
Plutôt que d’en donner une définition précise, les intervenants ont plutôt cherché à décrire leurs motivations et le travail qu’ils menaient concrètement. Pour faire court, on pourrait dire que les créateurs de labs cherchent à soigner la frustration qu’ils ont connu (ou constaté autour d’eux) après avoir tenter d’innover au sein des structures traditionnelles : entreprises classiques, acteurs publics, sociétés de conseil, recherche académique et même think-tanks. Ils veulent que l’individu reprenne la main su le système. Ils cherchent à inventer un environnement alternatif conçu pour faire ce qu’il est difficile de faire ailleurs : créer un cadre de confiance et de véritable coopération, avoir le droit de ré-interroger radicalement la façon classique de traiter des enjeux d’intérêt général, travailler directement avec les utilisateurs, faire des simulations et des tests sur le terrain, produire des prototypes tangibles, se tromper et recommencer…le tout de façon autonome, avec suffisamment de distance vis à vis du marché et sans être paralysé par la puissance publique. Ils représentent de plus en plus une « zone d’expérimentation et de prospective » pour les institutions publiques et privées traditionnelles.

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Difficile à classer
Même si ce chiffre est très aléatoire, d’après certains intervenants une centaine d’initiatives de tous ordres existeraient dans le monde. Ranger les labos existants dans des cases n’est pas facile, mais plusieurs s’y sont essayés. Évoquant un rapport mené avec la société Bloomberg qui sera présenté officiellement à Londres le 30 juin, le directeur du Nesta Geoff Mulgan distingue les labs orientés autour d’une méthode ou d’une technologie (design, data, psychologie, et toutes les approches hybrides), d’un secteur d’activité (par exemple l’Education), en amont ou au contraire en aval du système, travaillant en direct ou de façon indirecte, en partenariat étroit avec les gouvernements ou au contraire en opposition (inspirés du « civic empowerment », par exemple), et pour finir les micro-labs (2 à 3 personnes) et les maxi-labs (une centaine)… De son côté, Jari Tuomala du cabinet Bridgespan (NYC) distingue (cf mapping plus haut) les labs selon la nature de leurs modèle (multi-clients ou au contraire centré sur un seul acteur) et la nature de leur production (des produits ou services, des processus, des changements d’ordre systémique, des catalyseurs d’innovations, ou encore des animateurs de réseaux).

Une science ou un artisanat ?
Frances Westley (Université de Waterloo) produit depuis longtemps un travail très intéressant sur les processus d’innovation à l’oeuvre dans les labs, en s’appuyant sur les théories de la complexité (« on ne peut vraiment traiter les problèmes très complexes que par l’intelligence collective ») et la recherche sur le design. Pourtant une impression s’impose : à force de vouloir les enfermer dans des équations et des processus trop figés, il est difficile de saisir la part d’artisanat -pour ne pas dire d’art- qui domine les démarches d’ethnographie et de design participatif, sans compter les schémas tactiques qu’il faut inventer pour créer le cadre disruptif dans les labs ont besoin. Une fois encore, ni les sciences de gestion ni les sciences sociales ni même les sciences politiques ne semblent suffisantes pour exprimer la nature artisanale faite de bidouillage et de performance, la dimension artistique qui président à la conduite de ces projets.

Par ailleurs comme le dit Sarah Shulman (InWithForward), toutes ces initiatives ont besoin d’être plus explicites sur les visions et les valeurs spécifiques qu’elles portent, sans quoi leurs réalisations seront faibles et toutes les méthodes et techniques sembleront se valoir, du design au Lean management jusqu’à l’expérimentation sociale.

Le lab comme écosystème
De nombreux participants s’interrogent sur le processus de création des labs, leur gouvernance, leur modèle économique. La nature politique de ces projets est clairement posée, par exemple quand s’affrontent les tenants de labs portés par l’empowerment citoyen, contre ceux qui pensent que le système changera d’abord de l’intérieur du secteur public -la solution étant probablement à mi-chemin, comme le rappelle Sarah Shulman. Retour ligne automatique
Mais il apparait rapidement que c’est la capacité des labs à construire et à participer à des écosystèmes autour d’eux qui est en jeu. C’est par le recours à des alliances « gagnants-gagnants » et diversifiées avec une grande diversité de professionnels, des écoles et des universités, des collectivités et des services gouvernementaux, des entreprises et des associations que les labs peuvent inventer leurs modèles économiques et influencer au-delà de leur cercle. Retour ligne automatique
L’enjeu des compétences illustrait bien ce point de vue : organisé durant la conférence des ateliers organisé avec 5 labs du monde entier a permis d’identifier une quarantaine de compétences avec lesquelles les labs ont besoin de travailler. Si le design social ou le design de services et la sociologie restent des « musts », les participants déclarent avoir besoin de travailler avec des animateurs de communautés virtuelles (community managers), des pédagogues, ou encore des spécialistes des modèles d’affaires. Comme aucun lab n’est en mesure de recruter toutes ces compétences, la solution la plus pérenne consiste à construire un réseau de professionnels.

Quelques photos de ces journées à Toronto. – il est possible de revoir une partie des interventions avec 4 autres labs en mai dernier. A suivre…

Partie 2 : Une nouvelle étape pour les labos d’innovation publique ?