La Transfo : des labos d’innovation pour agir sur le réel

Posted on 12 décembre 2019 par Stéphane Vincent

La Transfo est un programme de recherche-action d’une durée totale de 4 ans (2016-2019), mené par la 27e Région avec un groupe de collectivités pilotes. Il vient d’être conduit avec la Ville de Paris, la Ville de Mulhouse, la Communauté urbaine de Dunkerque, la Région Occitane, et il est en cours avec Lille Métropole, l’Eurométropole de Strasbourg, et la métropole de Metz. Son budget s’élève à 2,6 M€ et il est co-financé par les collectivités pilotes elles-mêmes (55%) et par la fondation Bloomberg Philanthropies (45%). Il mobilise des équipes de professionnels de tout le territoire : Ateliers RTT et In Situ Lab (Strasbourg), Strategic Design Scénarios (Bruxelles), Pop (Lille), Indivisible (Paris), Vraiment Vraiment (Paris), Esopa (Paris), La Bobine, Etrange Ordinaire (Nîmes, Montpellier), des designers, sociologues et coaches en free lance (Arnaud Wink, Lilas Ozanne, Caroline Gerber, Alezane Brochard, Zoé Aegerter, Mireille Diestchy…)

L’objectif ce programme : explorer de quelle façon chacune de ces collectivités pourrait se doter d’une nouvelle fonction de type « laboratoire d’innovation par les usages ». Pendant 15 mois, une équipe pluridisciplinaire créée pour l’occasion (designers, sociologues, chercheurs) s’installe au sein de la collectivité volontaire à raison de 7 semaines d’immersion afin d’y jouer le rôle d’un laboratoire d’innovation « éphémère ». L’équipe travaille étroitement avec un groupe de vingt agents de la collectivité, tous volontaires et ayant des métiers et des profils très diversifiés dans l’organisation -du directeur général à l’agent de sécurité. Avec l’aide de l’équipe pluridisciplinaire, le groupe d’agents apprend à utiliser des méthodes de conception orientées utilisateurs (immersion, observation, tests-utilisateurs, prototypage) sur des cas pratiques, puis en tire des scénarios visant à pérenniser le laboratoire d’innovation de à court et moyen terme -en matière de fonctionnement, de ressources à mobiliser, de budget, de compétences, de gouvernance, etc. Deux fois par an, toutes les collectivités impliquées dans La Transfo partagent leurs points de vue lors d’un événement «Inter-Transfo», et participent à un voyage d’étude pour rencontrer d’autres laboratoires d’innovation, dont ceux affiliés au programme « Innovation Teams » mené par la Fondation Bloomberg Philanthropies (ex: laboratoire d’innovation de Los Angeles en juillet 2018). 

 

 

Quel est l’impact à mi-parcours ?

A quoi sert ce programme ? Il ne consiste pas seulement à créer des laboratoires et des compétences en innovation au sein d’organisations publiques, il s’agit également d’un processus d’empowerment des agents de la collectivité, et d’un programme expérimental visant à comprendre comment s’opèrent les changements systémiques au sein d’une collectivité, et comment créer de l’impact à plusieurs niveaux: impact sur les utilisateurs finaux, impact sur les fonctionnaires en tant qu’individus, impact sur les équipes et les collectifs, et impact sur la gouvernance. Dans le présent article, nous nous attachons surtout à rendre compte de la diversité des cas pratiques traités, de la façon dont équipes et groupes d’agents ont travaillé ensemble sur ces cas, et des premiers indices visibles d’impact.

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Paris: l’école oasis, une réponse intelligente au défi du changement climatique

Le nombre de canicules à Paris devrait passer de 1 à 2 en 2018 à 20 à 25 avant la fin du siècle. Comment rendre Paris plus résiliente face aux effets du changement climatique ? Dans le cadre de sa stratégie de résilience, la Ville de Paris explore les moyens de transformer les 600 000 m2 de cours d’école parisiennes en « écoles Oasis » dans lesquelles élèves, professeurs et habitants de tout le quartier pourraient trouver des espaces de fraicheur pendant les pics de canicule. Grâce à la Transfo, l’équipe de 20 fonctionnaires volontaires a appris à utiliser les techniques d’observation et de tests-utilisateurs pour concevoir des solutions associant les enfants, la communauté locale, et toutes les parties prenantes – élus, directeurs d’école, techniciens, etc. L’idée consiste à passer d’une approche principalement technique (remplacement du béton, végétalisation, etc.) à une approche centrée associant l’utilisateur. L’expérience est actuellement reproduite dans trois écoles pilotes pour tester plus avant cette approche, la comparer à d’autres et explorer les conditions nécessaires pour l’étendre à toutes les cours d’école parisiennes.

L’équipe de La Transfo Paris a travaillé sur quatre autres cas pratiques dans les domaines suivants: promotion des gestes éco-citoyens au sein de l’administration ; améliorer les démarches de végétalisation urbaine et la gestion des pieds d’arbres ; développer l’engagement citoyen ; explorer les pratiques numériques dans les bibliothèques.

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Mulhouse, lauréate en matière de lutte contre la pollution par les mégots de cigarettes

Chaque année à Mulhouse, plus de 440 000 mégots sont jetés dans la rue. La principale conséquence est la pollution potentielle de 200 milliards de litres d’eau, auquel il faut ajouter le coût de gestion pour la ville – plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année. Grâce à La Transfo, le groupe de 20 fonctionnaires volontaires a appris à appliquer les méthodes de recherche-utilisateurs afin de mieux comprendre ce phénomène. La conclusion principale est que ce comportement pourraient être modifiés de manière significative par la « gamification » de l’expérience du jet de mégots (ex : une poubelle avec différents comportements pour voter avec son mégot), combinée à l’utilisation de méthodologies issues des sciences comportementales. Ils ont également appris à construire une série de 15 prototypes de poubelles publiques et à les tester dans des conditions réelles afin de trouver la solution la plus efficace. Les premiers résultats sont très positifs à la fois en termes de changement de comportement et de débat public. La Ville de Mulhouse vient de recevoir un prix pour cette expérience lors de la conférence nationale consacrée à la propreté urbaine. Le cas de Mulhouse a inspiré d’autres villes comme Cannes et Tel Aviv en Israël.

Outre la lutte contre le jet de mégots, l’équipe de Mulhouse s’attaque à trois autres défis: améliorer l’accueil dans les 50 sites administratifs répartis dans l’agglomération métropolitaine; construire une stratégie « orientée usagers » pour les sept bibliothèques publiques de Mulhouse; et rendre la culture plus démocratique pour les jeunes.

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Lille : régénérer la ville par l’urbanisme temporaire

Plus de 5000 bâtiments et espaces sont temporairement inoccupés dans l’agglomération lilloise. Il s’agit essentiellement de friches industrielles, d’immeubles vacants, de propriétés foncières représentant environ 10% à l’échelle métropolitaine et valant 1,5 milliard d’euros. Aujourd’hui, ces espaces génèrent des coûts importants en matière de maintenance et de surveillance et, à long terme, sont susceptibles de générer des friches urbaines. Or il serait possible d’accueillir des activités temporaires susceptibles de régénérer le quartier en termes d’activité sociale, économique et culturelle, voire d’expérimenter de nouvelles formes d’accès aux services publics. Mais comment y parvenir dans un contexte où de nombreuses parties prenantes aux intérêts contradictoires sont impliquées, et sans politique claire au niveau métropolitain? Les 20 agents volontaires impliqués dans La Transfo ont d’abord appris à utiliser l’exploration de terrain comme moyen d’identifier les facteurs clés, mais aussi à déceler les controverses et les effets secondaires tels que le risque de renforcer la gentrification. Sur cette base, ils ont réussi à créer un récit de l’urbanisme temporaire plus incitatif, mais aussi à générer des scénarios concrets, puis à les tester sur le terrain afin d’en faire la « preuve de concept ». Le test choisi repose sur l’idée que la Ville pourrait déployer ses propres services dans des bâtiments inoccupés. Nommé «Services Publics Pop Up, Ouverts et Multitâches», ce concept est actuellement testé. 

Outre les bâtiments inoccupés, l’équipe de La Transfo explore également les moyens d’améliorer la performance énergétique des logements pour les populations défavorisées. Tous ces cas font partie des projets qui seront promus lors de «Lille, capitale mondiale du design 2020» pour lequel Lille Métropole vient d’être sélectionné.

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Dunkerque: lutter contre la précarité énergétique 

En France, plus de 10% des ménages n’ont pas les moyens de payer leur chauffage. Dans la ville de Dunkerque, la thermographie infrarouge a montré que 25% des toits généraient des pertes de chaleur. Compte tenu du coût croissant de l’énergie, la précarité énergétique devient un défi social, économique et écologique majeur. Il y a plus de dix ans, la ville de Dunkerque a décidé de prendre en charge les coûts de rénovation des ménages en matière d’isolation énergétique. Un numéro d’assistance téléphonique et un guichet d’information ont été créés. Ce programme pionnier, baptisé Reflex’Energie, connaît un certain succès: près de 11 000 ménages ont bénéficié de ce soutien, ce qui représente 1,2 M €, 83 entreprises de fournisseurs désormais accréditées, et 2 434 tonnes de CO2 évitées pour l’année 2016 seulement. Le programme présente toutefois certaines limites et un plafond de verre doit encore être brisé: peu de toits ont été rénovés et le processus reste long avant d’obtenir de l’aide. Afin de trouver des solutions pratiques, les 20 fonctionnaires de La Transfo ont appris à compter les motivations des utilisateurs mais également des non-utilisateurs, et à identifier les principaux obstacles rencontrés par les utilisateurs. Ils ont ensuite élaboré 20 scénarios de solution et utilisé la technique du jeu de rôle comme moyen de préparer un test sur le terrain avec les principales idées prometteuses. Le test est sur le point d’être lancé dans les prochaines semaines. 

(article la Gazette)

Outre la précarité énergétique, l’équipe de La Transfo travaille également sur l’avenir des services pour les personnes âgées, à travers une méthodologie basée sur des scénarios vidéo, et sur l’amélioration et la participation des habitants à l’entretien et à la valorisation des espaces verts. 

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Occitanie: construire une gouvernance centralisée des utilisateurs 

La fusion des Régions est un défi difficile à relever. Lorsque le gouvernement régional de Midi-Pyrénées (3 millions d’habitants, capitale Toulouse) a fusionné en 2014 avec le gouvernement régional de Languedoc-Roussillon (2,8 millions d’habitants, capitale Montpellier) pour devenir l’Occitane, l’enjeu pour le nouvel exécutif était de continuer à améliorer les politiques et services fournis aux habitants, tout en lançant une réorganisation majeure. Carole Delga, présidente de la nouvelle région, souhaite promouvoir une gouvernance et des méthodologies centrées sur l’utilisateur. Mais comment le concrétiser? Partant de l’idée que pour être plus efficaces vis-à-vis des utilisateurs finaux, les fonctionnaires devaient également être considérés comme des utilisateurs, l’équipe de la Transfo s’est concentrée sur les problèmes pratiques rencontrés par les fonctionnaires. Par exemple : si vous quittez Toulouse pour une réunion à Montpellier (environ 3 heures en train ou en voiture), êtes-vous sûr de trouver un espace de travail ou une salle de réunion disponible dans un bâtiment que vous ne connaissez pas? Comment gérer les différents systèmes de réservation? Comment apprendre les uns des autres, créer une culture commune et comment travailler ensemble plus efficacement? Par un travail d’exploration sur le terrain, des visites guidées, des entretiens et des jeux de rôles, l’équipe a élaboré divers scénarios, notamment un nouveau moteur de recherche de salles géré collectivement. Un prototype est maintenant opérationnel et sera développé dans les prochains mois. Parmi les autres solutions figurent de nouveaux espaces consacrés à la fois aux fonctionnaires et aux résidents («N-ème Lieu») et à «Carte Blanche», un nouveau défi pour renforcer la coopération entre directions. L’équipe a également repensé l’expérience-utilisateur des 11 bureaux locaux des gouvernements régionaux, et une communauté de pratiques dirigée par des assistant-e-s a été créée. Le programme a aussi permis de former 150 agents / ambassadeurs publics impliqués dans chaque équipe Transfo: tous ont acquis de nouvelles compétences -organisation de recherches-utilisateurs sur le terrain, développement d’idées créatives, planification et suivi d’expérimentations, capacité à travailler de manière transversale, etc. La Transfo a créé de la mobilisation et une capacité à travailler hors des silos, à inclure de nouveaux profils au sein de l’administration (designers, sociologues, etc.), à établir de nouvelles collaborations au sein des administrations publiques et au-delà. De plus, le programme a répandu l’idée qu’il était nécessaire de changer d’administration pour améliorer les services publics et mieux servir les citoyens… ce qui constitue un fondement essentiel pour la durabilité et l’appropriation du futur laboratoire. 

  La Transfo Paris 1

Et maintenant? 

La Transfo est une course contre la montre : le temps est limité, notamment celui alloué aux groupes d’agents volontaires par leur hiérarchie (environ 35 à 40 jours durant tout le processus, formalisé dans une lettre de mission), le temps dont disposent les équipes pluridisciplinaires (incluant les sessions sur le terrain, la coordination de la démarche, les phases de préparation et de débriefing, les sessions inter-transfo, etc.), et le temps assuré par La 27e Région en termes de coordination globale de projet. C’est pourquoi l’idée pour 2019 serait de mettre en place un nouvel ensemble d’activités visant à aider toutes les équipes à traiter les manques qui n’ont pu être traités, à préparer les prochaine étapes, une « task-force » qui s’attaquerait à tous les besoins à venir en terme de gouvernance, de modèle économique,  de preuve de concept, d’évaluation, de mise à l’échelle, en partageant des cas inspirants, en promouvant des solutions réussies entre les laboratoires, en montrant des solutions et des services concrets, mais aussi en développant des activités entre pairs et en créant un mouvement rassemblant toutes les villes. C’est ce que nous préparons maintenant. Le meilleur reste à venir !

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Pour plus d’information en temps réel : www.latransfo.la27eregion.fr