« La démocratie alimentaire désigne une volonté et une revendication des citoyen.ne.s à reprendre le pouvoir sur la façon d’accéder à leur alimentation, en lien avec le modèle agricole qui la produit » (Tim Lang, 1998)
AMAP, groupements d’achats solidaires, tiers-lieux alimentaires… des formes d’actions collectives se déploient en France sur les sujets d’alimentation, et redonnent aux citoyen.nes un pouvoir d’agir dépassant la posture traditionnelle du consommateur-bénéficiaire.
Mais qu’en est-il pour les personnes plus précaires, parfois contraintes d’avoir recours à l’aide alimentaire, pour qui il n’est plus question de choix mais de nécessité ? L’aide alimentaire, principal mécanisme pour lutter contre la précarité alimentaire aujourd’hui, n’est pas sans soulever un certain nombre de critiques dans le modèle qu’elle tend à perpétuer : un modèle de production industriel, incompatible avec les impératifs écologiques et une nécessaire transition, un système de distribution questionnant l’atteinte à la dignité des personnes (compte tenu de la qualité nutritive des produits et de leur diversité, du caractère parfois stigmatisant du recours à l’aide). Et pourtant, ce sont 4 millions de personnes qui en bénéficient, jusqu’à 7 millions si on intègre d’autres formes d’aide alimentaire. Le système est cynique, des inégalités en alimentent d’autres.
Des propositions émergent pour refonder un droit à l’alimentation : c’est par exemple le cas de la Sécurité sociale de l’alimentation, un projet ambitieux (mais complexe et pour lequel le contexte n’est pas favorable) qui appelle à la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale telle qu’elle a été pensée en 1946 (universalité de l’accès, conventionnement des professionnels, financement par cotisations, gestion démocratique).
Comment dé-techniciser les questions alimentaires et les ouvrir aux citoyen.nes et aux collectivités locales ? Quels rôles et leviers pour les collectivités, entre restauration collective et aménagement du territoire favorable à la justice alimentaire (de l’occupation des sols à la revalorisation des centres anciens, en passant par l’installation des grandes surfaces en périphérie) ? Comment favoriser la coopération entre les acteurs du territoire pour faire de la démocratie alimentaire et de la lutte contre la précarité un enjeu commun ? Comment accueillir un archipel d’alternatives alimentaires, entre accompagnement par la puissance publique et laisser-faire ?
En compagnie de Pauline Scherer, sociologue intervenante qui mène plusieurs projets liés à l’alimentation à Montpellier, Laura Pandelle et Jérôme Bar de l’association Aequitaz, et plusieurs collectivités adhérentes, nous avons parcouru quelques expérimentations ici et là qui participent à faire de la démocratie alimentaire un enjeu essentiel de la transition écologique et sociale des territoires.
L’esperluette : une initiative citoyenne pour un quartier alimentaire solidaire
Dans le quartier de Celleneuve à Montpellier, les habitant.es se sont rassemblés autour d’un projet commun : créer un lieu de rencontres, ouvert et mixte, où l’on puisse trouver des aliments de qualité. A la fois épicerie, groupement d’achat, café et cantine collective, l’Esperluette est de ces lieux qui réinventent les solidarités de proximité. Alors qu’une partie conséquente de la population du quartier (environ 36%) vit sous le seuil de pauvreté, le principe de solidarité et de réciprocité est une valeur constituante de l’épicerie. Ça commence à la fourche, en garantissant un revenu décent aux producteur.rices locaux qui fournissent l’épicerie ; jusque dans le panier, en proposant un tarif solidaire (possibilité de ne payer que 20% du prix) pour les adhérent.es en difficulté. Un.e adhérent.e sur cinq bénéficie de ces tarifs. L’épicerie a d’abord pensé trouver son équilibre grâce à des subventions, une boîte à dons et la possibilité pour les adhérent.es de payer 20% plus cher que le prix coûtant. Mais comme le tarif différencié suscite parfois de l’incompréhension, le choix a été fait de proposer un prix unique, et le coût réel est internalisé dans l’achat de la monnaie locale (acheté 20% de sa valeur par les personnes plus précaires).
Ce sont les adhérent.es qui font vivre le lieu. Ils gèrent les permanences d’ouverture du local, la vente de produits, les approvisionnements. 15 personnes composent le conseil d’administration collégial, tandis que d’autres adhérents actifs ont l’opportunité de rejoindre des commissions pour réfléchir aux différentes activités de l’association.
Un bel exemple où le droit à l’alimentation est saisi comme un commun. Vous pouvez retrouver une vidéo de présentation par ici.
Fédérer les acteurs du territoire dans un projet collectif de Caisse alimentaire commune pour créer un écosystème alimentaire plus résilient
Dans le cadre du programme Territoires à VivreS (expérimentations territoriales de coopérations pour un accès digne à une alimentation de qualité), une Caisse alimentaire commune s’expérimente à Montpellier, où chaque bénéficiaire disposera de 100 euros par mois à dépenser dans des lieux divers de distribution alimentaire. Non sans rappeler les principes de la Sécurité sociale de l’alimentation, mais appliqués à l’échelle locale, la Caisse alimentaire commune vise à fédérer les acteurs du territoire autour d’un budget dédié à l’alimentation (constitué de fonds publics, privés et citoyens), mis entre les mains d’un comité citoyen.
Le comité – qui commencera à se réunir à la rentrée – est composé de personnes bénéficiaires de l’aide alimentaire, et devra fixer les règles de fonctionnement de la caisse (critères d’accès à la caisse, montants des cotisations et contributions), à la manière d’une communauté établissant les règles d’usage d’un commun. Le comité participe aussi à l’organisation de l’écosystème alimentaire du territoire, de la production (soutien aux installations et transformations des productions existantes en filière bio ou raisonnée), à la logistique (approvisionnement, connexion à la politique agricole de la Métropole), en passant par la structuration du groupement d’achat commun.
Car expérimenter c’est savoir tirer profit de toutes les ressources existantes, le véhicule monétaire de la Caisse alimentaire commune sera la Graine, la monnaie locale départementale, qui dispose déjà d’outils permettant de capitaliser et documenter l’expérimentation (compte en banque, logiciel).
Ce projet a été développé de manière étroite avec la Ville et la Métropole de Montpellier, qui ont déposé avec le collectif un dossier pour l’AMI « Démonstrateur territorial » de la Banque des territoires.
Embarquement pour 18 mois de d’expérimentation ! Pour continuer de suivre le projet : https://tav-montpellier.xyz/?MonnaieSolidaire
Le rôle des collectivités dans ces systèmes de coopération alimentaire
L’association Aequitaz anime un groupe de travail sur la justice sociale au sein du programme TETRAA. Ce programme accompagne “neuf territoires en France pour renforcer la durabilité sociale, environnementale et économique de leurs systèmes agricoles et alimentaires”. De cet accompagnement, Aequitaz dresse quelques champs d’interventions possibles pour les collectivités territoriales dans la lutte contre les inégalités d’accès à une alimentation digne pour toutes et tous. A travers l’aménagement du territoire, les collectivités peuvent s’emparer d’enjeux tels que l’emprise foncière, la mobilité, la revitalisation des centres anciens versus l’installation des grandes surfaces en périphérie. Elles peuvent par ailleurs être des facilitatrices de la coopération en créant des écosystèmes favorables, des archipels d’alternatives alimentaires et des modes d’organisation plus mutualistes. Si on tire le fil, plusieurs questions se posent : comment une collectivité s’organise-t-elle pour faire de ce sujet une compétence ? Quel portage politique et technique aujourd’hui sur un sujet aussi transversal ?
TETRAA comme Territoires à vivreS adressent tous deux la question des modes de gouvernance de ces systèmes à réinventer, en renforçant la cohésion, la coopération et l’inclusion de tous les acteurs dans les prises de décisions afin d‘assurer un portage collectif de projets territoriaux.
Les trois intervenants mettent en avant la nécessité pour les collectivités d’expérimenter, on ne dirait pas mieux à La 27e Région … Cela demande de réfléchir à comment on expérimente avec ce que fait déjà la collectivité, mais aussi les acteurs de l’ESS ou les habitant.es.
Pour plus d’informations sur les programmes TETRAA ET Territoires à VivreS :