Comment passer d’un mandat à un autre ? Quelques pistes pour l’administration

Posted on 3 juillet 2025 par Stéphane Vincent

Illustration : l’atlas de la mandature (Les Eclaireurs, cf encadré du bas)

Nous sommes à moins d’un an des prochaines élections municipales, et plus très loin des suivantes  –présidentielles, régionales, départementales. La dernière année de mandat est toujours une période de transition, où la finalisation des projets en cours cohabite avec la préfiguration de la mandature à venir.  Comment optimiser l’usage de cette drôle d’année ?

Côté 27e Région, nous nous étions déjà intéressés à cette question en 2015 dans le cadre du programme de prospective créative Les Eclaireurs, avec l’intuition que cette période pourrait être davantage mise à profit – par exemple pour mieux préparer la passation des projets, mieux anticiper l’arrivée des futurs élus ou encore repenser la façon dont les délégations sont affectées (cf toutes nos trouvailles dans l’encadré en bas de cet article).

Mais en 10 ans tout a changé. Le contexte (géo)politique s’est assombri, plongeant les collectivités dans une grande incertitude. C’est pourquoi, le 16 juin dernier, avec nos amis de Partie Prenante, nous avons eu envie de remettre ce sujet sur l’établi et de mener une petite enquête en compagnie de quelques collectivités motivées, et à partir des témoignages d’Agnès Froment et Jean-Damien Colombeau (Métropole de Clermont-Ferrand, Magali Marlin (Nantes Métropole), David Le Bras (Association des Directeurs Généraux de Collectivités de France). 

Que nous disent leurs premiers retours, ainsi que ceux de la vingtaine de participants à l’atelier ? Comment les collectivités abordent-elles cette année de bilan, et préparent-elles le mandat suivant ? Et quelles pistes concrètes pour agir ?

Gare au risque de surchauffe. Premier constat : tout le monde sort épuisé, d’une mandature menée tambour battant. Débutée en pleine pandémie, les six années ont été marquées par une succession de gestion de crise, qui ont mis les élus et agents sous pression. Cela ne les a pas empêché pour autant de porter des transformations plus structurelles, notamment en matière de transition écologique.   . Un exemple parmi d’autres, dans une grand métropole : le président a d’abord été réélu dans la douleur, puis les mesures d’économies qui ont suivi ont été réalisées sans véritable stratégie par les élus. Résultat, à l’aube de la préparation budgétaire 2026, les services sont épuisés. Dans une autre métropole,  même constat d’épuisement mais pour d’autres raisons : le mandat a été foisonnant, et il n’est plus question de lister les mesures rêvées ou les nouveaux projets possibles, mais d’abord de savoir comment mener à bien ce qui a été impulsé dans ce mandat (ex PCAET, végétalisation), et de se concentrer sur la mise en œuvre et les enjeux de maintenance.

Des obstacles en vue. Second retour : le futur mandat ne ressemblera pas au précédent. Même si on est encore dans le brouillard, chacun ressent qu’un nouveau palier risque d’être franchi dans l’affaiblissement des services publics à l’échelle locale. Plusieurs signaux sont déjà là. Ils sont d’abord d’ordre financier : après de nombreux atermoiements, les collectivités seront appelées à contribuer de façon effective au désendettement dans des proportions importantes. Les collectivités se retrouvent à compenser le désengagement de l’Etat à des niveaux inédits : sur les services publics, l’hébergement d’urgence… La hausse des charges sociales devrait aussi peser fortement au sein des collectivités et sur les arbitrages qu’elles devront faire en termes d’investissement, y compris sur les politiques de transition. Les collectivités se retrouvent coincées entre des besoins croissants, un mur de dépense incompressibles et la fin du recours à l’endettement. A cela s’ajoute le backlash sur l’intercommunalité, ou encore le nouveau régime de responsabilité des agents publics, qui les rend responsable sur leurs deniers personnels. Une clarification des responsabilités sans doute important, mais qui pourrait bien décourager de nombreuses prises de risques lors de la prochaine mandature.

Démissions d’élu.e.s. Côté politique, l’inquiétude ne vient pas tant du manque de vocations mais plutôt du fait que beaucoup démissionnent en cours de mandat. C’est ce qui vient de se passer à la Rochelle récemment, suscitant un profond malaise dans l’administration. Un phénomène confirmé par une étude du Cevipof selon laquelle 4 fois plus d’élus ont quitté leur mandat depuis 2020 qu’entre 2008 et 2014. « Beaucoup de nouveaux élu.es démissionnent car ils ne connaissent pas bien le fonctionnement de la collectivité. Ils portent des propositions sans prendre en considération les moyens réels de la collectivité, ce qui complique rapidement le dialogue avec l’administration. Il manque une formation des élu.es dans ce sens ».

Backlash écologique -ou pas. Souvent cité, le risque d’un nouveau recul des politiques écologiques à l’échelle locale reste pourtant incertain. « A Nantes, ce n’est pas tant les politiques de transition qui font débat que le climat anxiogène actuel, dans une société qui ne se porte pas très bien ». Beaucoup de gens dépriment en voyant les Etats nations se décomposer et les populismes prospérer. En 2022, les intercommunalités étaient encore 72% à voir dans l’écologie la priorité ultime. Pour David Le Bras, au-delà des mesures palliatives, la question est de savoir si le prochain mandat verra l’adoption massive de nouveaux paradigmes de développement dans les territoires.

Articuler volonté politique et réalité administrative.  A l’approche de la fin d’un mandat aussi complexe, comment se préparer ? A la Métropole de Grenoble, une note d’enjeu commun à tous est en préparation, avec une partie bilan et perspectives du point de vue des services. L’enjeu est d’abord interne, il faut emmener des équipes vers un nouveau mandat, les accompagner le mieux possible, prendre soin des personnes qui font le service public.

Même souci de repartir des réalités vécues par les agents à Clermont-Ferrand. Peu après une convention citoyenne, la métropole à lancé en 2024 une « convention administrative » tournée cette fois vers les agents, pour accélérer la transformation de l’administration vers un modèle plus sobre, plus participatif et mieux à même de répondre aux nouveaux besoins des populations. « Notre question, c’était de savoir si la transition portée et souhaitée par les élus allait être soutenable pouar les agents », explique Agnès Froment. Durant 6 mois, 92 agents et agentes de la Ville ont travaillé pour identifier, mieux comprendre et lever les freins qui ralentissent la transition de l’administration. Le groupe comprenait 60% de femmes, 60% de catégorie C, des représentants de toutes les filières. Les agent.e.s ont d’abord  choisi des sujets et les ont travaillé dans une logique d’enquête : en allant à la rencontre des collègues, des usagers et des partenaires concernés, en s’inspirant de bonnes pratiques dans d’autres collectivités, en élargissant leur vision grâce à des experts, en s’organisant collectivement pour formuler des hypothèses de solutions, puis les partager au sein de l’administration. L’ensemble va nourrir le bilan de mandat demandé à toutes les directions, à partir de récits d’agents et des pistes suggérer aux futures équipes municipales.

Evaluer la trajectoire du mandat. A Nantes, où l’exécutif se présente pour un 3e mandat, le bilan a été lancé en début d’année. Côté politique, en avril la majorité a convié la presse à un bilan de mandat, lors duquel 97% des promesses de campagnes ont été présentées comme réalisées (NB le média indépendant Médiacités s’est livré à ses propres calculs et parle d’un résultat plus proche de 72%). Au sein de l’administration, une sorte de contrat de mandat avait été passé en début de mandat entre élus et services autour de 25 documents incarnant les politiques publiques nantaises (urbanisme, social, transports, etc). Plus récemment un guide a été conçu et diffusé pour aider les services à réaliser en quatre mois une analyse de la trajectoire de chacune de politiques publiques. Ils étaient invités à porter un regard qualitatif et réflexif sur chacun d’elle : le cap visé a t-il été suivi ? les moyens étaient-ils cohérents avec les objectifs ? etc. Les contributions ont été centralisées à la direction de la stratégie qui en a tiré une synthèse, et les directions concernées ont été auditionnées. En parallèle, un document plus prospectif a été réalisé, visant à éclairer le bilan à partir de tendances à l’œuvre dans la société. Au final, il laisse apparaître des lignes directrices, de nouvelles façons de faire au sein de l’administration, voire de nouvelles politiques publiques qui pourraient trouver leur place dans un prochain mandat.

Quelles réflexions et pistes de travail peut-on tirer de cette nouvelle réalité et de la façon dont les collectivités tentent d’y répondre ? On ressort de l’échange avec trois enjeux en ligne de mire, et dix mois pour les mettre en pratique.

1/ Préparer l’arrivée des nouveaux élus. Les premières semaines du mandat sont déterminantes pour la suite. Une fois l’élection passée, tout se passe très vite, parfois trop vite. Il est donc indispensable d’anticiper la passation de pouvoir, pour que les agents puissent accompagner au mieux la mise en place de la nouvelle équipe. C’est tout l’objectif des notes d’enjeux produites à Nantes ou à Grenoble pour permettre à chaque direction de passer le témoin aux élus. Cela pose aussi la question du découpage des délégations, notamment sur des enjeux transversaux que la transition écologique. Si la composition de l’exécutif obéit à des arbitrages politiques, les services peuvent être force de proposition pour repérer les périmètres opportuns. Les premiers mois, c’est aussi le moment où se reconfigure le partage des rôles entre élus et services, d’où l’importance de prévoir des temps de coordination pour faciliter les ajustements.   A la métropole de Grenoble, des journées sont spécialement organisées pour accueillir les nouveaux élu.es, leur expliquer les fondamentaux, leur donner une vision des projets portés par l’administration, etc. Leur démarche s’est inspirée d’un épisode des Eclaireurs, un exercice de prospective consacré aux élu.es et mené par la 27e Région en 2015 (Cf encadré plus bas)

2/ Prendre soin de l’intendance. Face au risque de surchauffe, les enjeux de mise en oeuvre prennent une importance croissante. Il ne s’agit plus uniquement de bâtir une vision stratégique toujours plus ambitieuse, mais d’en garantir les conditions d’opérationnalisation dans un contexte de pression sur les ressources (humaines et financières). C’est aussi à cela que sert le travail de bilan : se doter du bon thermomètre pour aider le futur exécutif et le CODIR à avoir une bonne lecture de l’état des forces en présence, (re)trouver des marges de manoeuvre tout en évitant le risque de burn out collectif. Après un mandat marqué par la multiplication des expérimentations, cela sonne comme un rappel que la conduite de l’action publique locale repose aussi et avant tout sur la qualité de sa maintenance. C’est vrai pour l’entretien des espaces publics comme pour la gestion du périscolaire, pour l’amélioration de l’accueil des usagers comme pour la garantie de la continuité de services, même en mode dégradée.

3/ Réorienter la vocation de la transformation publique. Ce changement de séquence de l’action publique locale n’est pas sans conséquence sur les pratiques des agents et des élus, et vient reconfigurer les attentes vis à vis des innovateurs publics. Comment accompagner ce passage de l’impulsion à la pérennisation, de l’exploration à la maintenance ? L’innovation publique a longtemps été mobilisée pour accompagner les phases d’idéation et d’expérimentation. Comment la mettre au service de la consolidation des initiatives existantes et d’une gestion quotidienne plus attentive aux vécus des agents et des usagers ? Peut-elle contribuer à faire émerger une « ingénierie de la conflictualité et de la médiation » (David Le Bras) face à l’intensification des conflits d’usage ? A accompagner des services publics contraints de fonctionner en mode dégradé par manque de moyens (humains et/ou financiers), pour éviter que ça se fasse au détriment des usagers comme des agents ?

On le voit : un changement de mandat ne se réduit pas à un changement d’équipe politique (qu’il y ait ou non alternance). C’est aussi la transition vers une nouvelle séquence d’action publique, qu’il s’agit d’anticiper dès maintenant pour pouvoir en accompagner l’éclosion.


Les Eclaireurs : repenser le changement de mandature

En 2014, la 27e Région initie le programme Les Éclaireurs, un programme de prospective collaborative développé pour imaginer l’administration de demain. Une dizaine d’épisodes émergent, dont L’élu.e inoffensif, consacré très largement au changement de mandature, pour les élus comme les agents.

Ci-dessous un bref aperçu des pistes d’un scénario qui adresse le sujet des nouveaux élu.es, des élu.es « vétérans », et de leurs liens avec l’administration et les agents.

Bilan de la commission engagée 

Lors de la mission de bilan de fin de mandat, il manque des outils pour une analyse fine.

>Comment s’assurer que le bilan permettent un débat politique de qualité, à l’approche des élections ?

L’atlas de la mandature 

L’inter-mandat est une période délicate où la continuité du service public doit se combiner avec un travail de bilan dont la méthodologie peut être parfois complexe (si les services n’y sont pas bien préparés ou outillés), opaque (pas toujours rendu public, ou qui constitue un simple plébiscite de la majorité en place).

>Comment se forger une opinion précise et juste sur le mandat écoulé, autant pour les électeurs que pour les candidats, et renforcer la qualité démocratique de l’exercice ?

Ma vie d’élue local 

Une plateforme numérique avec vidéo interview des acteurs locaux côtoyant les élu.es pendant le mandat écoulé.

>Comment faciliter la compréhension des attentes vis à vis des nouveaux élues ?

Le Forum des politiques publiques

Une journée organisée pour l’accueil des nouveaux élu.es, la rencontre avec l’administration et leur directeurs de services, comprendre les projets en cours et les bilans, etc.

>Comment faciliter la prise de fonction des nouveaux élu.es, améliorer la connaissance des attendus, et bien démarrer la relation avec l’administration ?

La désignation douce

Dés le lendemain des élections, c’est l’attribution des postes et une nouvelle organisation de la collectivité.

>Comment permettre l’installation d’une nouvelle assemblée sans précipitation ?

Les modes de désignation agiles

La séparation entre administration et politique peut produire des incompréhensions et nuire à l’efficacité de l’action publique.

>Comment outiller et fluidifier la coopération entre élues et administration ?

Notes en stock

Syndrome du parapheur, attente de réponses mutuelles, trop grande sollicitation …

>Comment travailler entre administration en demande de retours et de décision, et élu.es sur-sollicité.es

Les excusions pratiques

Traiter la question de la légitimité des élu.es : parole sacralisée, poids de la représentation, présomption d’expertise du terrain …

>Comment aider les élu.es à repartir des pratiques et besoins du terrain, en sortant du cadre protocolaire ?