Audrey Tang, qui es-tu ? (1/2)

Posted on 16 mars 2016 par Margaux Brinet

Mercredi 2 mars, nous avions l’immense plaisir de recevoir à Superpublic l’hacktiviste taïwanaise Audrey Tang. Cette jeune retraitée de 34 ans s’engage depuis dix ans à détourner (ou « fork », selon son expression) le gouvernement Taïwanais pour remettre le pouvoir entre les mains de la société et inventer de nouvelles formes de démocratie à partir des outils numériques. Elle a accepté de passer un peu de temps avec nous pour répondre à nos questions, à écouter dans cet article. Vous pouvez aussi retrouver l’intégralité de l’interview retranscrite automatiquement par Audrey ici, et des morceaux choisis de sa conférence .

 

Qui est Audrey Tang ?

Audrey commence à coder à l’âge de 12 ans, au moment où elle décide – en accord avec ses parents – de quitter l’école. Elle créé rapidement sa première start-up, un moteur de recherche de textes en mandarin encore largement utilisé aujourd’hui, qu’elle revend à l’âge de 15 ans. Ayant fait le choix de prendre sa retraite il y a deux ans et demi, Audrey consacre aujourd’hui une grande partie de son temps à mettre ses talents de hackeuse au service de l’intérêt général, notamment à travers le projet g0v.

Capture d’écran 2016-03-03 à 10.28.44

Qu’est-ce que g0v ? 

Le système mis en place par Audrey et ses acolytes permet de rendre les données contenues sur les sites gouvernementaux plus lisibles et accessibles. La grande force de ce « détournement » est qu’il s’applique à tous les domaines d’action du gouvernement plutôt qu’à une cause spécifique. En facilitant l’accès à un grand nombre de données, g0v permet à toute personne de se saisir simplement d’un sujet qui l’intéresse, au moment où il le souhaite. C’est, selon Audrey, une des principales raisons de son immense succès.

 

Comment intéresser autant de personnes à des sujets politiques ?

En commençant par remettre de l’humain et du collectif dans le système, au lieu de laisser les individus seuls face au « système ». Plutôt que de s’en remettre systématiquement à lui et à nos responsables politiques, g0v promeut et outille le pouvoir citoyen. Pour Audrey, tout commence par permettre à chacun de prendre la mesure du nombre de personnes qui sont dans la même situation, qui veulent aussi se saisir du même problème… on se sent moins seul !

 

Concrètement, comment g0v est-il organisé ? 

Audrey définit g0v comme un espace à la fois virtuel et réél. L’espace réél se matérialise à travers les hackathons organisés chaque mois. À ces occasions, jusqu’à 600 personnes se retrouvent pour proposer des idées, ou proposer des compétences – toute compétence peut servir – et des groupes se forment autour de projets concrets. Raconté par Audrey, cela semble désarmant de simplicité !

 

Quel rôle peuvent jouer les agents publics dans cette « révolution » ? 

Les agents publics, d’abord spectateurs passifs (voire opposants…) ont petit à petit pris un rôle central dans le mouvement au fur et à mesure que ce dernier gagnait en légitimité. Aujourd’hui, les projets de g0v sont reconnus, promus et utilisés par le gouvernement. Audrey souligne le profond changement qu’a permis d’opérer les actions de .g0v.tw dans les institutions taïwanaises : le gouvernement a peu à peu compris qu’il pouvait et devait se saisir d’une telle source d’information. Au point que les sites internets des ministères ont réutilisé les pages des sites g0v.tw. Au point que des projets de politiques publiques sont maintenant conçus grâce au travail de g0v.tw. Ainsi, les agents publics, qui sont au plus proche des données brutes, deviennent les référents de certains projets initiés par g0v.

 

Les agents publics, professionnels de la médiation inter-sectorielle ?

Pour Audrey, les agents publics sont des facilitateurs de l’ouverture des données publiques, mais ils sont également les garants de la neutralité et du respect des règles lors de discussions entre les différentes parties, notamment dans les plateformes de consultations en ligne développées par g0v. La présence des agents publics, neutres, permet aux citoyens de mieux accepter les décisions : elles ne semblent plus être le fruit de lobbys privés ou gouvernementaux, mais issues d’un consensus ouvert qui s’est construit entre l’ensemble des parties prenantes.

 

 Ces méthodes sont-elles reproductibles en dehors de Taïwan ? 

Démocratie directe, démocratie participative, démocratie délibérative… ne sont que de nouveaux plats ajoutés au menu pour la toute jeune démocratie Taïwanaise, qui n’a pas peur d’expérimenter de nouvelles choses en matière d’institutions et de délibération publique. Ce qui créé certainement un contexte favorable au développement de ce genre d’initiatives.

 

Quel rôle joue le contexte culturel ?

Culture du conflit vs culture du consensus, développement mondial des réseaux sociaux… Le contexte culturel joue un rôle crucial dans l’émergence et la pérennisation d’initiatives citoyennes comme g0v.

 

L’avenir de la démocratie passe t-il nécessairement par le numérique et l’open source ?

Là encore, la réponse d’Audrey laisse béat de simplicité. Par définition, l’open source signifie justement que chacun peut inventer une nouvelle solution si le système actuel ne lui convient pas. Cela signifie aussi qu’il n’y a pas une bonne solution, et qu’il faut donc accepter un monde pluraliste, où plusieurs systèmes, plusieurs solutions peuvent cohabiter… y compris en matière de fonctionnement des institutions démocratiques. Un monde où les choix peuvent à chaque moment être remis en cause, et où l’on créé des mécanismes de régulation adaptés. Accepter ce changement constitue, pour Audrey, une chance pour la démocratie de surmonter ses défis actuels.

 

Mais alors, à quoi pourrait ressembler le système politique idéal du 21e siècle ?

Après plusieurs siècles passés à promouvoir l’émancipation et l’autonomie des individus comme projet de modernisation des sociétés démocratiques, il est certainement temps de s’intéresser à nouveau au collectif pour continuer à vivre en harmonie. Maintenant que nous avons réussi à libérer et protéger les individus, Audrey suggère que nous consacrions nos efforts à venir pour créer les conditions d’un dialogue équilibré entre le gouvernement, la société civile et le secteur privé – car chaque aspect de nos vies est constamment en relation avec ces trois secteurs. La clé réside dans l’équilibre que nous saurons trouver entre eux et les systèmes qui permettront de faire émerger ce qu’Audrey appelle du « consensus social »sur chaque question qui nécessite une décision collective.