Social Innovation Exchange, à Lisbonne : Sortir de la crise par l’innovation sociale

Posted on 24 juillet 2009 par Stéphane Vincent

Un mois après LIFT with FING à Marseille, c’est à Lisbonne que soufflait un vent de résistance : « Recovery through social innovation » (en gros, « L’innovation sociale pour sortir de la crise »), tel était le thème de l’université d’été du Social Innovation Exchange à laquelle nous étions conviés à Lisbonne du 15 au 17 juillet. Aux commandes, la Young Foundation, dont le patron charismatique Geoff Mulgan a pris récemment les rênes pour en faire un « hub » international de l’innovation sociale, et à ses côtés, le British Council, l’association portugaise TESE, ou encore la fondation Calouste Gulbenkian qui accueillait l’événement.

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Ceux qui voient dans l’innovation sociale un concept à géométrie variable n’auraient pas été déçus… Sur les 125 invités issus de 24 nationalités, des profils très variés : beaucoup d’entrepreneurs sociaux (et d’incubateurs d’entrepreneurs sociaux), des représentants d’ONG, quelques leveurs de fonds, des structures de micro-crédit, des designers « sociaux », des think-tanks spécialisés, quelques représentants d’agences gouvernementales -mais pas de ville ou d’autre collectivité. On retrouvait la diversité d’approches que décrit bien Hubert Guillaud dans ses trois billets sur l’innovation sociale. Un belle aperçu du dynamisme et de la profusion d’idées qui règne dans ce secteur. L’essentiel de ce qui s’est dit est visible sur le wiki de l’Université d’été, et sur twitter.

Au hasard des présentations et des conversations, voici quelques portraits, quelques initiatives marquantes et quelques idées clés…

Quelques brefs portraits pour se mettre dans l’ambiance

  • Tonya Surman est la fondatrice du Social Innovation Center de Toronton, l’un des premiers du genre. Durant la conférence, ses réactions sur Twitter seront suivies et commentées par plus de 500 personnes.
  • Won Soon Park est un étonnant designer coréen ; ses « faits d’armes » vont de la lutte anti-corruption, à la création de « l’Hapiness Design Academy » ou de « l’Experience Corps ».
  • Robin Murray est un vétéran de la cause, économiste spécialisé dans le développement durable, aujourd’hui à la Young Foundation ; on retiendra notamment un utile rappel des outils et méthodes de l’innovation sociale
  • Frank Kresin est l’animateur bien connu par la Fing de la Waag Society, laboratoire des technologies appliquées à l’innovation sociale et fervent promoteur des Fab Labs
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On pouvait également croiser dans les ateliers plusieurs représentants d’Ashoka, Cassie Robinson de l’agence de design Think Public que nous avions rencontré à Londres, Christian Bason l’animateur du MindLab du ministère danois de l’emploi et de l’économie (j’en ai profité pour l’interviewer), John Thackara (Doors of Perception) venu animer un atelier sur « comment réorganiser la chaîne de production alimentaire à l’échelle d’une région ? ». Côté français, Marjorie Jouen, Notre Europe (et membre du conseil d’orientation de la 27e Région) auteur d’une lumineuse intervention sur la crise, et Morgan Poulizac, de l’Agence nouvelle des Solidarités Actives créée par Martin Hirch.

Quelques initiatives marquantes ou originales

Ted Matthews, chef de projet à la branche norvégienne du British Council, est l’un des principaux concepteurs d’un projet international, Creative City. L’objectif : associer les citoyens à l’avenir de leur ville.

Les designers hollandais de Kennisland (en anglais Knowledgeland, le pays de la connaissance) ont inventé le « Wiki loves art » (pendant une journée, le public a le droit de prendre des photos dans tous les musées de Hollande à condition de les publier sur des réseaux sociaux ; 5500 photos publiées sur Flickr dans 50 musées au terme de l’opération), la Kafka brigade pour chasser la bureaucratie (voir l’interview de Joeri Van de Steenhovenque nous avons réalisé), ou encore les Pioneer teachers (des enseignants récompensés pour leurs innovations sociales)

A l’image du SILK dans le comté du Kent en Grande-Bretagne, la Région de Midt, en Hollande, a mis en place un laboratoire de l’innovation sociale, le MidtLab.

Vincenzo Di Maria est chercheur au Design Against Crime Researche Center (University of the Arts London), qui élabore des produits et services susceptibles de limiter ou réduire la criminalité

Ça bouge également du côté des formations : La Hollande et la Norvège peuvent s’enorgueillir d’accueillir toutes deux la Kaos Pilot, école de design et d’innovation sociale. Et à Lisbonne, l’’équivalent du Polytechnico di Milano crée un Design and social innovation degree.

A l’échelle nationale, la Grande-Bretagne pilote un projet comparable à Iniciativa Joven, en région Estremadure : il s’agit du programme gouvernemental Creative Partnerships, visant à stimuler la créativité chez les jeunes anglais.

La Young Foundation fourmille de projets. Citons Healthy Incentives, Active Community Living et Supportmyparent.com, dans le domaine de la santé et du vieillissement ; un programme visant à re-responsabiliser les citoyens à leurs données, Mydex ; de nombreux projets pour stimuler la créativité des habitants, et travailler sur la ville de demain (London Collaborative, Future communities, Neighbourhoods futures, Local government Innovation, etc)

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Quelques phrases entendues

Innover de l’intérieur ou de l’extérieur ?

Alors oui, c’est plus facile de l’extérieur du système, disent les entrepreneurs sociaux (comprendre par système, le gouvernement et les administrations)…mais la réalité est qu’une grosse partie de l’innovation sociale est financée directement ou indirectement par la puissance publique (et les fondations, outre-atlantique), et à un certain stade, pour vraiment transformer le système, il faut travailler avec nous ! disent les administrations…

La crise, fossoyeur ou dopant de l’innovation sociale ?

Certains voient dans la crise le risque que les acteurs publics réduisent les marges de manoeuvre et les possibilités, rationalisent (la RGPP, en France), coupent les crédits de l’innovation sociale au profit de formes d’innovations plus spectaculaires et à fort rendement économique, même si court-termistes. Beaucoup d’autres voient dans la crise, au contraire, une formidable occasion de transformer l’innovation, de repenser le système.

Innover, pour ne rien changer ?

Derrière l’innovation se cachent de formidables prétexte pour ne rien changer. Selon des participants, l’initiative anglaise « Reboot Britain » s’est déroulé comme un contre-exemple de l’innovation : comme dans le titre, on a changé de logiciel sans changer le système d’exploitation !

« Spread rather than scale » : disséminer plutôt que passer à l’échelle

L’innovation sociale, ça n’est pas répliquer des solutions toute faites, mais plutôt disséminer, débattre autour des bonnes idées qui améliorent quotidiennement l’existant. La nouvelle pratique, pas la bonne pratique !

Le drame, c’est le « social waste »

Ce qui crève le coeur d’un innovateur social, c’est que les compétences des gens, quels qu’ils soient, ne soient pas utilisées…

« Innovation sociale = des méthodes + des valeurs »

De nombreux ateliers très participatifs étaient organisés tout au long de l’Université, dont une large part était consacrée aux méthodes de l’innovation sociale. Les organisateurs ont profité de l’événement pour lancer un manifeste pro-innovation sociale, et pro-changement, « Fixing the future« , en 10 points, résumés brièvement ici : quitter les politiques court-termistes pour travailler sur le plus long terme, encourager l’emploi dans les secteurs prioritaires -santé, environnement, éducation, tourisme, industries créatives-, promouvoir le multi-culturalisme et la créativité locale, investir dans l’innovation, encourager l’entrepreunariat, soutenir les nouvelles infrastructures -haut débit, nouvelles énergies-, garantir la sécurité par la protection sociale, récompenser l’investissement à long terme, mobiliser la créativité des publics, apprendre vite du meilleur de ce qui se fait dans le monde.

 

Ici, toutes les photos de l’événement sur Flickr.