Retour sur résidence : entre Dore et allier, une médiathèque sur la place publique

Posted on 6 septembre 2017 par Sylvine Bois-Choussy

En 2012, la 27e Région conduisait une résidence de 3 semaines à Lezoux, petite ville de la grande couronne de Clermont-Ferrand, pour accompagner la préfiguration d’une nouvelle médiathèque intercommunale. Les pistes imaginées avec les habitants par les designers Damien Roffat et Adrien Demay (Design Territoire Alternatives), Elisa Dumay (De l’aire) et Blandine Scherer (Pour ainsi dire), ont traduit en dispositifs les questionnements des habitants : comment en faire une nouvelle zone de citoyenneté ? Un lieu d’expérimentation de pratiques numériques créatives ? Un espace d’échange de savoir-faire ? Un support de scénarios innovants pour le territoire ? La résidence s’était conclue sur un livret de propositions et un plan d’usage. La médiathèque est aujourd’hui sortie de terre, elle a été inaugurée en juin 2017 ; c’est l’occasion d’échanger avec Jean-Christophe Lacas, qui anime et dirige le projet.

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La médiathèque dont vous êtes le héros…

Le projet de médiathèque et la résidence ont fait converger des talents, des idées, des initiatives déjà présentes sur le territoire : comment les habitants, associations, bibliothèques bénévoles peuvent-ils s’emparer de ce nouvel équipement culturel, y trouver une place, participer à l’enrichissement du fond ? Une bloggeuse spécialisée dans les albums de jeunesse historiques a par exemple fait don de ses collections, un fan de bande dessinée a initié un festival dont la première édition se tiendra l’année prochaine, un habitant animera le club lecture, d’anciens bénévoles font du portage d’ouvrages à domicile… Chaque mois une personne viendra également partager un savoir-faire, une compétence ; l’atelier sera enregistré et disponible à la réécoute. Une après-midi découverte de la guitare a ainsi été organisée avec une communauté de gitans espagnols présente sur le territoire. « On est au début. Pourquoi ne pas un jour intégrer dans la gouvernance du projet, au-delà des bibliothécaires et des élus, un comité d’utilisateurs » ?

« Ce qu’on a retiré du travail avec la 27e, c’est qu’à chaque fois qu’une action est entreprise, est posée la question de la place de l’usager. » 

Le livret présentant des idées de dispositifs, juste évoqués ou vraiment expérimentés durant la résidence, fait partie du projet de la médiathèque : certaines ont été déployées, d’autres attendent l’occasion d’être activées. Beaucoup dessinent des usages un peu inédits et de nouvelles pratiques culturelles : ainsi une salle consacrée aux jeux vidéo et en réseau, une petite fabrique avec plusieurs machines à commande numérique. Ils confrontent l’équipe à de nouveaux usages (« quand ils jouent à Minecraft, ils se parlent entre eux, ça on ne sait pas encore gérer »), à d’autres publics (« la brodeuse numérique a attiré un public plus âgé, qui tricote »), à de nouveaux projets (« ici, on fait de la musique avec des bananes »). Une cabine de téléchargement de contenus numériques, imaginée elle aussi durant la résidence,  a pris place dans la ville voisine dans le cadre d’un projet mené avec des adolescents pour se réapproprier les anciennes cabines téléphoniques.

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Un bâtiment ouvert à l’imprévisible ?

L’architecture et l’aménagement du bâtiment traduisent les paris de l’intergénérationnel, des usages multiples, de l’organisation autours de l’usager, en un espace ouvert, convivial, circulant. Des zones inhabituelles au sein d’une médiathèque ont également été intégrées : par exemple de petits bureaux pour des permanences de la mission locale, de la pmi, des assistantes sociales ; le hall, qui comprend une petite cuisine, peut être utilisé en dehors des heures d’ouverture et du personnel de la médiathèque, permettant des réunions d’associations ou un programme ‘anime ton hall’ une fois par mois. Ces choix viendront certainement poser de nouvelles questions à l’équipe de la médiathèque « On a un bâtiment qui n’est pas fait pour nous, qui est fait pour les gens, à nous de trouver les solutions ». Les possibles inscrits dans le bâtiment éveillent encore d’autres envies sur le territoire : des professionnels qui souhaitent venir y co-worker, une troupe de théâtre y répéter, des entreprises y organiser des séminaires, etc.

On peut tous construire des bibliothèques. Ce qui est plus difficile, c’est de faire de l’imprévisible, et cet imprévisible, c’est l’usager. 

Ces choix ont permis de toucher un public plus large : jeunes ados qui viennent jouer en réseau, publics qui arrivent pour des rendez-vous avec l’assistante sociale, etc. « Certains repartent avec des livres, on les amène pas à pas ». « Quand on a ouvert le bâtiment, il y avait 750 inscrits ; depuis juin on est à 3800 sur les 20 000 habitants, 7500 documents ont été empruntés. » Les emprunts explosent, notamment sur des collections comme le jeu de société, le jeu de plateau, validant les partis pris de construire du lien, de l’inter-générationnel.

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Médiathécaire… mais encore ?

La médiathèque Entre-Dore-et-Allier dessine également les évolutions du métier de bibliothécaire. « Comment voulez vous qu’un bibliothécaire connaisse la totalité des informations qui circulent sur la toile, des livres qui sortent à chaque rentrée littéraire ? Qu’est ce que c’est aujourd’hui une bibliothèque ? Il faut accepter de se déposséder de quelque chose. »

« Le bibliothécaire est au coeur, mais n’est plus au centre. Il n’est pas le seul dépositaire de la connaissance. »

S’organiser pour ne pas être pris par des tâches administratives est une condition indispensable pour être disponible pour le visiteur : l’équipement des livres est externalisé à un chantier d’insertion, des automates de prêt ont été installés. L’équipe a travaillé sur les cotations des ouvrages, pour les simplifier au maximum. « On aurait pu aller plus loin: ce que demandent les gens, c’est où est telle ou telle thématique… » Laisser de la place à l’usager n’est pas forcément confortable, non plus que de tester de nouveaux programmes, se confronter à de nouvelles attentes, travailler avec d’autres métiers, etc. Dans l’équipe, on a recruté des personnes motivées par l’expérimentation, des bidouilleurs. Si le projet a généré beaucoup de questions dans la profession, il a aussi soulevé de l’enthousiasme : « Pour les trois dernières embauches, on a eu 250 candidatures, des gens qui venaient de Paris, de Lyon. Pour Lezoux c’est hallucinant. »

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Un projet de territoire

« Une ville comme Lezoux, à 25min de Clermont-Ferrand, soit elle intègre la couronne et devient une cité dortoir, soit elle investit pour inventer autre chose ». Si le territoire demeure une réserve d’emploi encore importante, avec une zone artisanale dynamique, l’emploi ne suffit pas pour nourrir un bassin de vie, il faut aussi réfléchir à l’urbanisation, aux dimensions sociales de l’aménagement du territoire, etc. Dans ce contexte, le projet de la médiathèque intercommunale représente un beau pari : investir dans un équipement culturel ambitieux, mais aussi et surtout dans une approche ouverte et expérimentale. Si la menée du projet n’a pas été exempte de remous, la démarche inspire aujourd’hui d’autres équipes sur le territoire. A suivre!

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 Quelques liens et lectures:

– Visitez le site de la médiathèque Entre Dore et Allier;

– Revivez la découverte de la médiathèque par les habitants de la Communauté de commune, ici;