Que faire des politiques d’innovation ?

Posted on 18 octobre 2009 par Stéphane Vincent

Quelle politique pour l’Europe en matière d’innovation, face à l’ultimatum climatique et aux enjeux actuels de transformation sociaux et économiques ? Les 12 et 13 octobre, la 27e Région était conviée à un workshop créatif organisé en petit comité par la DG Entreprise au MindLab à Copenhague. On n’était pas encore au sommet décisif de l’ONU qui se tiendra dans cette même ville en décembre, mais l’état d’esprit y planait déjà…

En résumé : les services de la Commission et de l’agence Inno-Grips nous ont proposé de travailler pendant deux jours sur le potentiel des « labs », cette forme un peu imprécise de laboratoire d’expérimentation sociale et technique, généralement adossé à un organisme public ou une entreprise privée. Un workshop organisé dans le cadre d’une réflexion plus vaste : L’Europe remet à plat sa politique en faveur de l’innovation, consulte depuis quelques mois, et prépare une nouvelle copie pour le printemps 2010.

Les participants

Parmi les vingt-cinq participants, il y a avait : les services de la DG Entreprise (dont le chef d’unité à l’innovation Peter Gröll), l’Innovation Center Copenhagen, le MindLab, Taito Group, l’ANRT, la 27ème Région, Stop & Go, Next / Laboratorio per l’innovazione, Laboral, Medialab Prado, Hong Kong polytechnic, Malmö New Media Living Lab, Sustainable Everyday Project, Imperial College London, PREST – IDEAS, Public services Innovation Lab, The Innovation Unit (GB), etc. J’en profite pour dire que le MindLab est un lieu étonnant : un peu comme si le ministère des finances accueillait à Bercy un lieu de créativité, équipé de tables à dessin, d’ateliers créatifs et de salle de réunion « bulle de créativité » ! Et un grand coup de chapeau à Christian Bason, directeur du Mindlab, qui a animé les deux journées d’une main de maître. Quel talent.

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Voici les enseignements que j’en tire -ils n’engagent évidemment que moi, et donc aucunement mes camarades ni les services de la Commission.

Labs, le nouveau mot valise ?

Un mot sur ces fameux « labs », tout d’abord : difficile de les définir derrière ce mot valise, massivement marketing, tant les approches fluctuent, entre business et intérêt général, culture anglo-saxones et latines, et les disciplines mobilisées, entre technologies et sciences sociales. Dans son invitation, la DG Entreprise proposait les critères suivants : L’implication active des utilisateurs à tous les stades de développement (co-création), des partenaires multiples issus du privé et/ou du public, l’interdisciplinarité (design, science, technologie et business), un lieu dédié, virtuel ou réel pour développer de nouvelles idées et expérimenter dans des conditions réelles.

Disons que ces critères peuvent s’appliquer grosso-modo à des organisations comme la Waag Society (Hollande), le MediaLab Prado (Espagne), le Social Innovation Laboratory of Kent (GB), le MindLab (Danemark), la 27e Région et la Fing (France), Ideas (GB), MidtLab (Danemark), le Forum Virium d’Helsinki (Finlande), le Laboratorio Innovazione (Italie), l’Aalto Design Factory (Finlande), le Laboral (Espagne), le Taito Group (Finlande), le Laboratoire de l’Innovation Sociale par la Recherche Action (France), le NestaLab (GB), et bien d’autres en Europe et dans le monde. Au fond, l’expression « lab » n’a évidemment guère de sens, et des tas d’autres initiatives informelles peuvent se réclamer de cette démarche.

Retour sur la méthode

Un mot sur la méthode utilisée durant le workshop : Christian Bason a proposé l’utilisation du back-casting (il nous avait déjà expliqué le fonctionnement de cette méthode dans une interview récente).

La première journée a donc été consacrée à se présenter mutuellement et à identifier ce qui faisait la singularité de nos projets respectifs (à partir du choix de photos, comme on le voit ici). Ensuite répartis par groupes de 4 à 6 personnes, nous avons consacré l’essentiel de cette première journée à développer une vision commune du « laboratoire d’innovation ».

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La seconde à permis d’imaginer les actions à mener pour parvenir à cette vision. Dans cette seconde partie, les questions auxquelles nous devions répondre pour chacune de ces actions étaient : A quelle moment se situe t-elle dans le calendrier ? quels sont les principaux freins/défis (institutions, personnes) ? Comment ces défis sont-ils relevés ? Par qui, et avec qui ? Quelle a été la contribution de mon organisation ? Celle de la Commission européenne ? Avec quels moyens et ressources ? Quels étaient les risques à prendre en compte ?

Les propositions des participants

Même après 48 heures d’intense cogitation, on pouvait craindre que les participants s’essoufflent devant l’idée d’un nouveau label ou d’un énième appel à projets, comme les institutions savent (quoique !) les faire… Pas du tout ! leurs propositions visent d’autres cibles, plus pertinentes et pas moins audacieuses d’après moi. Voici le résumé que j’en ferais (il s’agit là aussi de mon interprétation des propositions créatives qui sont sorties au terme des journées, et cette interprétation n’engage que moi).

1. Expérimenter autrement et en réseau

Les participants plébiscitent une nouvelle approche de l’expérimentation. Leur préférence va à l’idée de « micro-innovation labs » : Des expérimentations à l’échelle micro-locale, en réseau à l’échelle européenne, dans des espaces publics, et traduites en enseignements politiques… (on jurerait un « Territoires en résidences » à l’échelle européenne, non ? A quand « Europe en Résidences » ?). Un groupe propose de parler plutôt d’Improvement Lab, de laboratoire de l’amélioration continue, se dotant d’indicateurs de succès inédits. Mais tous suggèrent un passage à l’échelle du principe expérimental, voir d’en faire un principe consubstantiel à tout projet public ou privé en le dotant d’une « zone d’expérimentation » permanente.

2. Proposer un autre récit de l’exemplarité

Fini, les éternels recueils de « bonnes pratiques ». Les participants veulent savoir dans chaque projet ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La Commission européenne elle-même doit s’y mettre et accepter d’être dotée d’un cheval de Troie ! nous étions quelques uns à penser que la Commission, pour être crédible, devrait se doter d’un « labs » -à comprendre comme un outil réflexif sur les pratiques de la bureaucratie communautaire, capable de prendre des risques et d’expérimenter des solutions… La Commission est-elle prête à prendre le risque de se laisser hacker ? Pas sûr du tout. Allez, on peut rêver un instant, non ? En tout cas, Peter Dröll, chef d’unité de la DG Entreprise, en charge des politiques d’innovation semblait y croire aussi.

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En photo : Peter Dröll, qui se demande comment il va raconter tout ça au président Barroso !

Certains suggèrent de lancer des Transcalls, pour « transformation calls » : l’idée consistait à ce que l’Europe lance des appels à projets « transformateurs » -Mon sentiment sur cette question est que l’Europe devrait surtout inclure un « 1% innovation sociale » dans ses marchés publics, pour créer un fort effet levier.

François Jégou et moi avons également travaillé sur l’idée d’un LabsFestival, dans l’esprit de Lift ou de PicNic : plusieurs régions se regroupent dans le cadre d’un programme Interreg, se lancent un défi commun (par exemple « changer le système alimentaire local ») et se donnent 1 an pour prototyper de micro-solutions avec des communautés locales, puis les exposent ensemble dans le cadre d’un événement festif et grand public.

3. Démultiplier les compétences en co-création

Les besoins de transformation sont immenses, et les compétences capables de les déclencher sont rares, ou en tout cas totalement disséminées. On manque de designers, d’architectes, de sociologues, d’anthropologues, de chercheurs, d’innovateurs sociaux en mesure de co-créer avec des communautés locales. On manque aussi de retour sur les techniques, les trucs, les astuces, les outils à mobiliser. Les participants suggèrent d’épauler et de mettre en réseau les communautés de pratiques existantes, d’encourager la mise en « peer to peer » des boîtes à outils, des pratiques et des méthodes permettant la co-création. Les participants recommandent de mettre en oeuvre tout ce qui peut l’être pour réduire les obstacles à l’innovation, de permettre à tout un chacun de transformer sa vie, de s’émanciper.

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Et la politique, dans tout ça ?

Une petite frustration, en revanche. Rien n’est ressorti du questionnement politique qui se cache selon moi derrière les « labs », en particulier derrière l’idée de l’orientation utilisateur. Par exemple, les labs visent-ils un véritable objectif de transformation économique et social, ou simplement à améliorer le système économique et social en place ? Peut-on comparer l’innovation qui « enferme » avec l’innovation qui « émancipe » ? Du même coup, s’agissant des labs, qu’y a t-il vraiment de commun entre GoogleLabs et le Lisra ? Parlons-nous vraiment d’innovation sociale dans tous ces projets ? Je m’étais déjà posé la question après une interview que j’avais accordé à 01.net sur ces sujets. J’ai l’impression qu’il faudra clarifier ce point rapidement, sous peine d’amplifier le mouvement d’apprenti sorcellerie que cache souvent l’innovation.

Plus de photos du workshop à consulter ici.

A retrouver également : le compte-rendu officiel du workshop, réalisé par Inno Grips