New society, new design practices ?

Posted on 27 mai 2016 par Margaux Brinet

Ce mardi 17 Mai, nous avions la chance de recevoir à Superpublic deux pionniers du design social, à la fois inspirateurs et compagnons de la première heure de l’aventure « 27e Région » : Ezio Manzini, professeur au Politecnico de Milan et créateur du réseau international DESIS (Design for Social Innovation and Sustainability) et Jonh Thackara, théoricien et commissaire de design, coordinateur du programme anglo-saxon DOTT (Design of the Times) qui fut, en 2007, une source d’inspiration majeure pour nos « territoires en résidences ». Tous deux venaient présenter leurs récentes publications, aux côtés de Grégoire Tabeling et Yoan Ollivier (fondateurs de Plausible Possible), co-auteurs avec La 27e Région d’un nouvel ouvrage à la Documentation Française, intitulé « Les Villages du Futur ». De belles retrouvailles donc, entre théoriciens / explorateurs émérites du design social, et jeunes praticiens de la nouvelle garde.

 

 

3 livres, 3 perspectives sur le design appliqué à l’innovation sociale et publique.

« How to thrive in the next economy » (Thames & Hudson, 2015), de John Thackara, est un panorama à 360° de la transition en cours vers une économie durable. Aux termes de « décroissance », « d’alternative » et de « gestion de crise », John Thackara oppose une vision positive du développement durable, et montre que des initiatives se développent à travers le monde, dans tous les secteurs et à toutes les échelles de nos sociétés contemporaines. Passer de « faire moins de dégâts » à « améliorer les choses » est le mot d’ordre de ce nouveau plaidoyer joyeux pour un monde en transition.

Pour autant, si cette diversité d’actions est une bonne nouvelle, des conditions sont nécessaires pour obtenir un impact global, au delà d’une somme d’efforts dispersés. En effet, la crise du système actuel repose pour Thackara sur l’interdépendance des sphères économiques, politiques et sociales de nos sociétés – les problématiques énergétiques, alimentaires, sanitaires … sont donc inextricablement liées, à grande échelle. Thackara prône donc une action à l’échelle humaine, communautaire ou individuelle, soutenue, protégée et encouragée par les institutions publiques, et réplicable, dans une certaine mesure, par le biais des nouvelles infrastructures numériques. Son livre est un appel au passage à l’acte, et à l’engagement citoyen.

howto

 

« Design, when everybody designs » (MIT Press, 2015), est pour Ezio Manzini un compte-rendu de 10 années de voyages, d’observations et d’analyses sur le design appliqué à l’innovation sociale. Véritable guide de l’innovation sociale et de ses caractéristiques, à l’attention de la nouvelle génération de designers militants, ce livre donne aussi une analyse détaillée d’un nouveau processus de design, où cohabitent un « design expert » et un « design diffus ». Pour Manzini l’innovation sociale, en tant que terrain de réinvention de l’action collective, et de ré-appropriation de fonctions de base de la vie sociale (manger, habiter, vivre ensemble), contient en effet une culture diffuse du design – que le design « expert » doit comprendre, et outiller.

Pour autant l’innovation sociale arrive aujourd’hui à un « degré de maturité ». Alors, après 15 ans d’action militante, et quand les héros de la première heure sont fatigués, que se passe-t-il ? Ezio Manzini nous met en garde contre les risques de dégradations de certains projets socialement innovants, dont les valeurs et le fonctionnement peuvent être détournés, imités ou ré-appropriés à de mauvaises fins. L’innovation sociale doit être protégée et son cadre d’action doit se renouveler. Pour Manzini, le design est un élément clé de cette ré-invention permanente.

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« Les Villages du Futur » est un ouvrage co-rédigé par Yoan Ollivier, Grégoire Tabeling, Fanny Herbert et Romain Thévenet, tous quatre résidents au sein du programme « La Transfo » initié par La 27e Région en 2012. Ce programme visait à accompagner quatre Régions françaises dans la création, en interne, d’une laboratoire d’innovation publique. Ce livre est la restitution de deux années de travail en immersion au sein du Conseil Régional de la Bourgogne, autour de la thématique des politiques en faveur de la ruralité. Entre le carnet de bord et le guide méthodologique, il livre des enseignements précieux sur le processus de création collective associant agents publics, élus, citoyens et institutions locales, qui a été au cœur de La Transfo.

Loin d’une définition précise d’une nouvelle politique publique, « Les Villages du futur » dessine une vision aux contours mouvants de la ruralité de demain, ainsi que des outils pour la mettre en débat, et enclencher des projets de territoires plus audacieux, plus radicaux et plus transversaux. Pour Grégoire Tabeling, cet ouvrage est un véritable manifeste de l’action publique « en version open source ». Il vise à inspirer les collectivités autant que les nouveaux acteurs de la transformation des politiques publiques : sociologues, designers, architectes, programmistes… Loin d’une boîte à outils, il décrit le savoir-faire subtil de la co-construction d’un projet public, et la multitude d’influences professionnelles qui y dialoguent.

villagesfutur

 

 

Des questions au carrefour de ces trois ouvrages.

Un premier point touche à la nécessité de nouveaux récits pour encourager la transformation sociale. Aujourd’hui plus que jamais, il nous faut sortir d’une vision du changement basée sur la décroissance et d’une logique d’opposition radicale au système actuel. Pour John Thackara il s’agit au contraire de (re)tisser des liens entre une multitude d’initiatives déjà en place, isolées et hétéroclites, plutôt que de rechercher un nouveau dogme unique. La véritable innovation sociale est celle qui passe à l’échelle ces micro-réussites et devient un courant dominant. Cette vision soutient aussi que l’innovation sociale est l’affaire de tous, et ne concerne pas qu’une poignée de convertis. Elle doit au contraire être le terrain de nouvelles alliances, entre des acteurs que le système actuel a désunis. La coopération entre la puissance publique, le tiers secteur et la société civile en est un pilier.

Ces nouvelles approches du design sont-elles essentiellement une affaire de militantisme professionnel ? L’engagement est-il ce qui fait la spécificité du design social, parmi les autres domaines au sein de la discipline « design » ? Cette question se pose dans l’innovation sociale, où la plupart des projets démarrent avec peu de moyens et sollicitent un accompagnement bénévole, ou reposent sur des modèles économiques alternatifs. Elle se pose également dans l’innovation publique, où le design doit en permanence se confronter aux valeurs de la sphère politico-administrative. Pour autant, le militantisme ne fait pas tout. Pour Ezio Manzini, il n’y a pas de design social sans des professionnels qui parviennent à vivre de leur savoir-faire. Pour lui « le design social est tout ce que le design expert peut faire pour soutenir une démarche d’innovation sociale » : on parle donc bien d’un sous-domaine du design, qui possède des caractéristiques, des codes et des outils propres, mais qui peut se mettre au service d’une diversité de projets, et ne se limite pas à une posture militante.

Malgré cette définition large, et face à tous les écueils qui guettent les projets innovants « après le temps des héros », y a-t-il des points spécifiques sur lesquels le design peut agir ? Ezio Manzini insiste sur le fait que le design appliqué à l’innovation doit être un levier d’appropriation du sens. Il s’agit moins d’une discipline « experte » de la conduite de projet que d’une forme de médiation, visant à créer au sein d’un collectif les outils nécessaires pour soutenir une vision commune du projet. Cette idée du design créateur de connaissance partagée est un des enseignements des « Villages du Futurs ». Pour l’équipe de La Transfo Bourgogne, la documentation de la méthodologie et le partage des connaissances accumulées pendant le programme faisaient partie des objectifs clés de l’ouvrage. Face à la culture ‘en silos’ de l’administration française, il s’agissait d’inventer une vision de la ruralité qui soit à la fois disruptive, fédératrice, porteuse d’un imaginaire, et partagée par tous les acteurs.

Quel peut être le rôle de l’acteur public dans l’émergence et le soutien à l’innovation sociale ? Pour Ezio Manzini, la puissance publique doit donner un cadre et une stabilité à l’innovation

sociale, pour prévenir ses risques propres (sectarisme, détournement politique, militantisme trop radical …). Pour autant, elle ne doit pas chercher à faire rentrer ces projets dans ses propres cases : comme le montre la diversité d’exemples dans l’ouvrage de John Thackara, l’innovation sociale est un courant qui se nourrit d’une multitude d’influences, et ne peut survivre sans hétérogénéité, ni sans passerelles créatives. Il s’agit donc de soutenir, sans institutionnaliser.

Pour en savoir plus ?

Ces trois ouvrages sont désormais disponibles dans la bibliothèque de Superpublic, n’hésitez pas à passer les consulter sur place, ou à les commander en ligne auprès des différents éditeurs concernés.

« How to thrive in the next economy », John Thackara, 2015, Thames & Hudson

« Design, when everybody designs », Ezio Manzini, 2015, MIT Press

« Les Villages du Futur », La 27e Région, 2016, La documentation française