Comment innoverons-nous demain ?

Posted on 29 novembre 2010 par Stéphane Vincent

Nous venons de prendre part à un travail de prospective sur l’avenir de l’innovation, « INnovation FUtures » (INFU), dont les partenaires sont l’Austrian Institute of Technology à Vienne, coordinateur du programme, le Fraunhofer Institute for Systems and Innovation Research à Karlsruhe et Z_punkt, The Foresight Company à Reinauhafen, en Allemagne, et Strategic Design Scenarios à Bruxelles. Le projet INFU est financé dans le cadre du 7e Programme cadre de l’Union européenne. Il vise à comprendre l’évolution des processus d’innovation, à détecter les phénomènes émergents et à dresser un panorama prospectif à même de contribuer à orienter les politiques publiques européennes. Nous revenons ici sur les premiers enseignements de ce programme qui se termine en 2013.

Après avoir identifié à l’échelle internationale un ensemble diffus de signaux faibles sur les nouvelles formes d’innovation puis avoir chercher à en « amplifier » le sens (voir cette vidéo), l’équipe INFU a ensuite cherché à approfondir certains aspects récurrents -en particulier l’innovation sociale et la co-conception, présentes dans un grand nombre de cas. Rien d’étonnant à cela, comme le souligne Ezio Manzini, designer italien, professeur au Politecnico di Milano, qui dirige l’unité de recherche de Design et d’innovation pour le développement durable : « Dans un monde limité, de plus en plus densément peuplé et connecté, la ressource humaine est la plus abondante et l’innovation sociale -l’innovation par les gens, pour les gens- est la plus à même de relever les défis du développement durable ».

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Un panel d’innovateurs sociaux

Pour explorer ces dimensions, nous nous associés, François Jégou (Strategic Design Scenarios) et la 27e Région, pour réunir un panel de professionnels engagés dans le changement social, la transformation territoriale et la rénovation de l’action publique : collectifs d’intervention urbaine, sociologues de terrain, artistes urbains, entrepreneurs sociaux, acteurs de la participation, innovateurs numériques, designers de service… l’objectif était de profiter de l’expérience de chacun de ces secteurs pour croiser ces approches, identifier ensemble des modes d’innovation sociale émergents, et produire des visions pour le futur. Participaient ainsi à ce panel : Corinne Iehl, directrice de CRé’Avenir, sociologue expérimentée dans les projets de transformation urbaine, basée à Lyon ; Maud Le Floc’h, directrice du pOlau (Pôle des Arts Urbains) à Tours, un collectif d’urbanistes et d’artistes impliqués dans l’activisme urbain ; Olivier Jouen, créateur de Port Parallèle à Paris, coopérative d’activités et d’emplois regroupant 100 entrepreneurs-salariés ; Guy Peudupin, directeur de NXA Nouveaux Armateurs, une agence conseil spécialisée dans la recherche utilisateur et impliqué dans la participation citoyenne ; Paul Richardet, chef de projet à Silicon Sentier, association opératrice du tiers-lieu créatif La Cantine ; Dilira Trupi, doctorante spécialisée dans les réseaux sociaux numériques et la coopération en ligne ; Stéphane Vincent, directeur de la 27e Région ; Michèle Dougé, consultante en créativité ; François Jégou, directeur de Strategic Design Scenarios à Bruxelles.

Nous, membres de la Citizen Agency

 Le panel s’est déroulé en deux étapes. La première étape consistait à simuler l’existence de la Citizen Agency, agence « nouvelle génération », fleuron de son secteur en 2010, mobilisant les techniques d’innovation sociale les plus pointus pour traiter les problèmes économiques et sociaux les plus complexes. Chaque participant, membre fictif de cette agence, devait alors décliner son identité professionnelle, en valorisant la spécificité de ses méthodes et de leurs atouts.

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Dans la seconde étape, le temps s’accélérait : nous étions en 2030, la Citizen Agency fêtait ses 20 ans, et l’équipe au complet devait répondre successivement à deux missions : une situation de crise (« 80 000 sinistrés affluent sur la côte de la Rochelle… Proposez un plan d’action pour créer des solutions d’accueil diffuses au sein de la population locale pour les recueillir ! »), et un grand projet interrégional (Une Eurorégion franco-belge se constitue… Proposez un plan d’action pour susciter un processus bottom-up pour sa mise en place’). Les participants devaient alors proposer des modes d’intervention innovants et les articuler entre eux pour former une réponse cohérente au problème posé.

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Premiers enseignements

Le rapport intermédiaire INFU (en anglais, bientôt en téléchargement en bas de cet article) revient en détail sur les enseignements de ce panel. En substance, il en ressort tout d’abord des thèmes pressentis comme essentiels pour l’avenir de l’innovation :

  • un travail de clarification à mener autour du concept de participation, dont la perception varie selon les intervenants ;
  • le risque de voir l’innovation sociale utilisée comme prétexte pour réduire les ambitions et les moyens de l’État et des services publics ;
  • une interdisciplinarité accrue, entre des professionnels prônant tous le recours à l’expertise-utilisateur, souvent en dissidence avec leur propre corporation ou discipline ;
  • les articulations à construire entre les grandes démarches de crowd-sourcing et les micro-démarches de co-conception à l’échelle locale ;
  • l’importance du transfert de savoir-faire, de la formation de formateurs et donc de l’acceptation pour l’expert de céder de son pouvoir ;
  • la nécessité de repenser les cycles de l’innovation, et d’imaginer de nouvelles articulations entre les séquences de l’innovation ;
  • le fait qu’un haut niveau de participation des utilisateurs génère des productions de qualité médiocre, et qu’une vision mature consisterait à mieux équilibrer l’expertise technique et celle des utilisateurs ;
  • la nécessité de soutenir l’innovation sociale à un niveau intermédiaire, pour réussir à la fois à capter les spécificités du contexte local, tout en gardant la possibilité de les remettre dans une perspective plus large ;
  • l’innovation participative n’est pas utile seulement pour produire des solutions, mais elle contient également un potentiel dans la re-définition des politiques de prévention.

L’innovation en tant qu’état permanent d’expérimentation sociale

En réponse à la complexité croissante des enjeux économiques et sociaux, ou aux situations de catastrophe naturelle, à la reconfiguration géopolitique de territoires entiers vers des modes de vie soutenables, ou encore à la transformation du système éducatif, l’hypothèse formulée est celle d’un processus d’innovation conçu comme un état d’apprentissage permanent, à partir d’un réseau diffus de micro-projets expérimentaux mobilisant la participation des communautés locales pour simuler, tester des idées et « déboguer » des problèmes. L’un des pré-supposé de ce scénario est que les micro-projets soient suffisamment interconnectés pour apprendre les uns des autres, que les leçons acquises sédimentent, et transforment en continu les processus d’interaction et de régulation entre les protagonistes.

Un tel scénario ré-interroge profondément le modèle classique hérité de la révolution industrielle et dans lequel le processus d’innovation est déconnecté à la fois de la phase de production et des logiques d’usage. On se trouve ici face à un processus plus organique, où les membres d’une communauté d’acteurs locaux sont à la fois les populations en demande de transformation sociale, les inventeurs et les développeurs de ces nouvelles solutions. En devenant aussi organique et entrelacé, le processus d’innovation devient en réalité un processus d’expérimentation transformatrice et continue, et un apprentissage collectif. En conséquence, on n’est pas dans la réplication de solutions, mais dans la réplication de processus d’innovation. Des aménagements sont à prévoir, notamment pour éviter le risque d’un « épuisement » de cet état permanent d’expérimentation, gourmand en attention et en ingénierie. Mais chacun sent bien qu’il y a là une voie nouvelle pour traiter les enjeux toujours plus complexes d’une société en profonde transformation.

Stéphane Vincent (la 27e Région) et François Jégou (Strategic Design Scenarios)

Pour découvrir tous les enseignements du panel organisé avec Strategic Design Scenarios, le rapport intermédiaire sera bientôt en téléchagement