2019, année de la formation pour la 27e Région ?

Posted on 19 décembre 2018 par Stéphane Vincent

 

On nous demande souvent s’il est possible de se former aux nouvelles formes d’innovation dans le secteur public. A chaque fois, nos réponses sont évasives tant nous avons l’impression que « l’on apprend en faisant ». A nos débuts, nous-mêmes avons du picorer dans tout ce qui paraissait inspirant autour de nous, pour bâtir nos programmes et nous former grâce à eux. Et nous continuons à apprendre quotidiennement aujourd’hui.

Mais en dix ans, les temps ont changé. Le secteur du design des politiques publiques s’est développé et suscite un intérêt croissant : développement de labos d’innovation et de marchés publics impliquant le design, foisonnement des approches, naissance de chaires universitaires, etc… Aujourd’hui la demande de formation -notamment continue- a explosé et une offre s’est plus ou moins organisée, côté public et côté privé (nous-mêmes proposons des « journées découvertes »). On sent ça et là la volonté d’aller plus loin, de monter en gamme, mais aussi de re-situer la dimension politique du design des politiques publiques, d’explorer ce qui nous rassemble ou nous dissocie d’autres courants actuels, de faire mouvement. Encore faut-il à la fois éviter de courir tous les lièvres et intervenir au bon endroit, veiller à ne pas figer les thèmes d’apprentissage et rester sans cesse ouverts, anticiper sur les prochains sujets…

Depuis quelques temps, plusieurs occasions nous sont offertes pour nous investir davantage sur ces sujets de formation : il s’agit de notre projet « d’école buissonnière de la transformation publique », de notre partenariat avec le « Collège Européen de Cluny », d’un programme européen auquel nous participons pour former les agents publics de Serbie, ou encore de l’Université de la Pluralité, dans lequel nous nous sentons tout autant contributeurs qu’apprenant tant il rassemble des disciplines diverses…Voici un aperçu de ces quatre projets.

L’Ecole Buissonnière de la transformation publique : outiller les futures générations de hackers publics

Si le secteur du design des politiques publiques se développe depuis 10 ans, il n’existe toujours pas de formation initiale dans ce domaine. Les professionnels d’aujourd’hui sont issus de pratiques et d’écoles très diverses : design, arts politiques, urbanisme, sociologie, digital, etc. Ils ont acquis peu à peu, par la pratique, une expérience et une culture de l’action publique, des administrations… et du piratage. Il manque aujourd’hui à cette communauté à géométries multiples un dispositif-école pour préparer la nouvelle génération de concepteurs qui s’attaqueront aux enjeux des administrations et des politiques publiques de demain.

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Nous travaillons actuellement, avec la complicité de la Métropole européenne de Lille et dans la perspective de World Design Capital, à la première édition d’une Ecole Buissonnière de la transformation publique: il s’agit de déplier l’apprentissage de ces pratiques hors de l’enceinte des écoles pour explorer directement, sur les territoires, de nouvelles manières de faire projet, de faire écosystème, de faire école, et de faire tout court. Expérientielle, notre Ecole Buissonnière embarquera une trentaine d’étudiants et formateurs issus d’une diversité de disciplines, ainsi que, localement, des porteurs de projets de transformation publique – agents de collectivités locales, associations ou entreprises.  Au travers d’expérimentations de terrain et de discussions de fond sur les stratégies territoriales en cours ou à venir, L’Ecole Buissonnière a vocation à développer de nouvelles compétences locales, enclencher des coopérations opérationnelles, et réfléchir à de nouvelles passerelles entre acteur public, société civile et autres acteurs privés. Il s’agit aussi de tester de nouveaux modes de formation, qui embrassent la diversité des pratiques de notre champ et qui impulse militantisme, impertinence et engagement face aux transitions à venir.

Notre école buissonnière a enfin vocation à être ensuite accueillie chaque année par une collectivité nouvelle, en proposant à chaque fois un format sur mesure – en fonction de thématiques et terrains identifiés.

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Collège Européen de Cluny : former des « agents de changement » de toute l’Europe

Imaginez-vous en train de participer à un cursus pluridisciplinaire combinant innovation sociale et territoriale, design et expérimentations de terrain, projet européen, interventions de haut niveau sur le mouvement des communs, l’économie circulaire, le management soutenable, les transformations numériques mais aussi les rudiments du droit et de la finance dans les collectivités européennes. Le tout dans le cadre enchanteur de l’Abbaye de Cluny, fondée en 910 par Guillaume 1er, Duc d’Aquitaine…

Si vous vous réveillez et que vous le voyez encore, c’est que vous êtes l’un des 20 heureux auditeurs venus de toute l’Europe, sélectionnés pour participer au Collège Européen de Cluny. Il s’agit d’un cursus professionnalisant post-master consacré à l’innovation, la gouvernance et l’ingénierie territoriale en Europe, organisé autour de 16 semaines de cours et de séminaires et 4 mois d’immersion territoriale (pas besoin de le suivre sur un an, on peut étaler sa participation sur plusieurs années).

La 27e Région est l’un des partenaires de ce nouveau cursus (1). Outre une participation à l’instance d’orientation du collège, il nous est proposé d’animer un module de conduite de l’innovation territoriale dès avril 2019. Outre des interventions pluridisciplinaires telles que la nôtre, la programmation s’appuiera sur des projets de terrain menés dans le clunisois à partir de problématiques rencontrées par les acteurs du territoire. Le Collège Européen de Cluny est l’un des aboutissements d’une aventure qui a démarré en 2001 avec des séminaires d’été pour jeunes citoyens européens (800 participants de plus de 30 nationalités!), et depuis 2016 l’université d’été de l’innovation territoriale organisée avec le CNFPT. A partir de 2021 l’objectif serait d’en faire un réseau doctoral, européen et interdisciplinaire sur les questions territoriales.

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Cycle de formation courte dans le domaine des politiques publiques à destination des agents publics Serbes: Regarder d’ailleurs, appuyer la transformation publique dans les Balkans

En fréquentant régulièrement les réseaux internationaux de l’innovation publique, on se fait quelquefois la réflexion qu’on y croise surtout des approches anglo-saxonnes, nord européennes… même si les occasions existent de découvrir les travaux du Bangladesh, de l’Indonésie, ou des Emirats arabes unis. Et si on allait confronter plus activement à d’autres contextes culturels et institutionnels nos visions de la transformation publique?

Nous sommes associés à un projet européen visant à concevoir et tester un cycle de formation court à destination des agents publics de l’administration Serbe, aux côtés de 6 universités et partenaires du pays, de l’Université de Leiden – ND, de la Queens Mary UNiversity – UK et de l’Université de Paris Créteil. La réforme de l’administration est en effet l’un des chapitres de négociation d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. La fonction publique y reste très marquée par le passé communiste (ou elle était plus un outil au service du parti unique), puis par les 10 ans du gouvernement Milosevic (au cours desquels elle a perdu beaucoup de compétences). L’un des enjeux est aujourd’hui d’outiller l’administration et les agents pour appuyer la fabrique des politiques publiques sur des éléments de compréhension des contextes, des problèmes et des territoires:  data litteracy, problem solving, esprit critique, reconnection avec la société civile. Il y a également un enjeu à rendre les métiers de l’action publique plus attirants et porteurs de sens: La région de Novi Sad fait partie des nouvelles « silicon valley » des Balkans et draine la plupart des talents locaux.

Le sujet de la transformation publique est très porté par la première ministre Ana Brnabić, pro-européenne et une force motrice dans un panorama politique aujourd’hui assez morose: plusieurs pays de la région basculent aujourd’hui vers des démocraties ‘illibérales’ ou la droite extrême, les négociations d’adhésion de la Serbie se poursuivent dans un contexte européen difficile. La société civile serbe est cependant très active et l’administration recèle un vivier de personnes de qualités à tous les niveaux ; les porteurs du projet au sein de l’Université de Novi Sad en sont de bons exemples, par leur énergie et leur franc parler.

 

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Université de la pluralité : reprendre le pouvoir sur les imaginaires du futur

Comment, face aux grandes transitions contemporaines, reprendre confiance dans le futur ? Comment décoloniser nos esprits de la fascination dépolitisée pour la performance et la technologie, comme celle que promeut l’Université de la Singularité depuis la Silicon Valley ? Dix ans après avoir mis sur orbite la 27e Région pour « hacker » les politiques publiques, la FING propulse aujourd’hui L’Université de la Pluralité, un réseau international qui se donne comme vision de « détecter, connecter, fédérer les personnes et les organisations qui mobilisent les ressources de l’imaginaire pour explorer d’autres futurs : artistes engagés, auteurs de science-fiction, designers spéculatifs, philosophes utopistes, prospectivistes créatifs venus de tous les continents… ».

Fin novembre, plus de soixante d’entre eux ont convergé vers Paris pour poser ensemble les fondations de cette nouvelle aventure initiée par une petite équipe permanente notamment formée de Daniel Kaplan et Chloé Luchs. Deux journées de rencontre et de travail durant lesquelles on pouvait par exemple faire la connaissance de l’artiste iranien Ali Eslami, auteur de l’univers en 3D « Deathtolls » qui confronte l’utilisateur à l’ampleur de la catastrophe des migrants noyés en Méditerranée. Belle rencontre également avec l’auteure indienne Mimi Mondal, récompensée pour ses ouvrages de fiction spéculative, ou encore avec l’architecte et anthropologue togolais Sénamé Koffi Agbodjinou, fondateur de WoeLab, réseau de tech-hubs grassroots togolais (2)

En quoi tout ceci intéresse la 27e Région, invitée parmi les 60 structures fondatrices ? D’abord parce que nous essayons nous-mêmes de changer les imaginaires véhiculés (y compris par les élus et fonctionnaires eux-mêmes) sur l’Etat, l’action publique, les fonctionnaires, les services publics, la bureaucratie, la chose gouvernementale. Si nous ne parvenons pas à proposer d’autres récits de l’action publique, nous laisserons les imaginaires les plus libertariens l’emporter. Ensuite parce que plusieurs des axes plébiscités durant le séminaire nous intéressent directement : par exemple la possibilité de transformer les projets les plus inspirants portés par la communauté en « communs », qui pourraient être documentés, partagés, voire soumis à une « revue de pairs » et même traduits dans une ou deux langues. Egalement, l’idée d’organiser des programmes d’échanges, ou encore la création de « Futuramas », un guide pour permettre à chacun de mieux se repérer dans les imaginaires – qui n’était pas sans rappeler Sonar. Mais avant-même de parler des projets à venir, l’Université de la Pluralité a d’ores et déjà prouvé sa capacité à rassembler une communauté réellement pluridisciplinaire, et c’est déjà un résultat remarquable ! On devrait donc continuer à entendre parler longtemps de l’Université de la Pluralité à la 27e Région…

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(1) Parmi les autres partenaires du Collège Européen de Cluny figurent des opérateurs prestigieux tel Sciences Po, les Arts et Métiers ParisTech, l’Université de Bourgogne, l’Hesam Université, la Région Bourgogne, la Centre Commun de Recherche de la Commission européenne, le CNFPT, l’Assemblée des Régions d’Europe, la Communauté de communes du Clunisois, l’association d’éducation populaire et d’action citoyenne en Clunisois…et d’autres partenaires européens qui vont bientôt les rejoindre.

(2) Les organisateurs ont réussi un double défi : attirer des profils vraiment hors des radars habituels et d’autres continents, tout en s’assurant de la présence de visages déjà familiers : l’ethnologue Nicolas Nova, Chris Julien de la Waag, la journaliste Annick Rivoire créatrice de Makery, Anab Jain de l’agence londonienne de design fiction Superflux, le designer Yoan Ollivier de Vraiment Vraiment, le designer Max Mollon, la chercheuse et écrivaine Sophie Coiffier, François de Jouvenel de Futuribles, Geoffroy Delcroix du labo d’innovation de la CNIL, Jacques-François Marchandise de la FING, Jérôme Ruskin du magazine Usbek et Rica, Mathieu Baudin de l’Institut des Futurs souhaitables, Maud Le Floch du Pôle des Arts Urbains, etc.