De nouvelles alliances pour revigorer l’innovation publique, la recherche et les sciences sociales ?

Posted on 16 janvier 2025 par Stéphane Vincent

Cette tribune est parue dans la rubrique « Idées larges » de la toute nouvelle revue Interlignes, éditée en janvier 2025 par la coopérative de R&D sociale Ellyx.

La recherche -en particulier en sciences sociales- ne se porte pas très bien, alors même que nous n’en avons jamais eu autant besoin. Les chercheurs en SHS ont raison de dénoncer l’absence de vision et de politique publique à la hauteur des défis du moment. La période de nouvelle disette budgétaire qui s’ouvre n’étant pas de bonne augure, peut-être faut-il pendant ce temps creuser d’autres pistes -par exemple du coté d’un décentrage de la recherche.

Et si l’on envisageait la recherche plus seulement comme une institution, mais aussi comme une culture à partager, un ensemble de pratiques d’enquêtes et d’expérimentation, de façons diverses de produire des connaissances, d’usages multiples et en constante évolution ? Un tel décentrage nous laisserait peut-être entrevoir la possibilité de nouvelles alliances.

Constatons d’abord que l’activité et les usages de la recherche en sciences humaines et sociales se sont considérablement élargis aux non-chercheurs. Comme nous le savons au moins depuis la théorie de l’enquête, l’activité de recherche n’est pas réservée aux chercheurs. Dans son ouvrage paru en 1938, le philosophe John Dewey nous invite à considérer le caractère émancipateur de l’activité d’enquête et d’expérimentation pour tout un chacun -autant pour les individus, que pour les collectifs et les institutions. C’est un ensemble d’activités qui contribuent à libérer et à ré-outiller celui qui la pratique, tout particulièrement s’il est directement concerné par le problème étudié.

Un concernement qui pousse aujourd’hui beaucoup de citoyens et d’acteurs de l’intérêt général vers des formes hybrides de recherche, dans lesquelles des chercheurs et des non-chercheurs travaillent main dans la main pour essayer de résoudre des problèmes sociaux : groupes d’habitants, entrepreneurs sociaux, coopératives, associations sans but lucratif, collectifs pluridisciplinaires, living labs, tiers-lieux, ONGs, artistes, designers…

En écho à cet appétit croissant pour des formes citoyennes de recherche, collectivités et administrations ne sont pas restées inactives. Quelques dizaines de collectivités et d’administrations ont déjà montré la voie, en accueillant des chercheurs et des doctorants, en passant des accords avec des laboratoires de recherche, en leur servant de terrains d’enquête. Mais cette approche connait des limites de nature systémique.

Peut-être est-il temps d’être plus intentionnel et plus précis dans les obstacles qu’il faudrait lever. Et si les collectivités s’organisaient pour s’impliquer davantage dans ce type d’activité ? Pourquoi les élus et les directeurs généraux, lorsqu’ils lancent des plans d’administration ou des exercices de planification, n’en profiteraient-ils par pour programmer des activités de recherche-action ou de R&D sociale ? Pourquoi les compétences d’enquête ne feraient pas partie de la feuille de poste des agents publics ?

Pourquoi ne pas faire évoluer les centaines de laboratoires d’innovation publique créés ces dernières années par l’Etat et les collectivités locales vers d’ambitieux espaces de recherche-action ou de R&D publique et sociale ? N’y a t-il pas là un beau sujet de coopération entre collectivités, administrations, collectifs citoyens, acteurs économiques ? Ne serait-ce pas un moyen de sortir des sempiternels appels à projets, pour coaliser les acteurs autour de « missions » ambitieuses à l’échelle de territoires ou de secteurs d’activités ?

Quand on envisage la recherche comme un ensemble de pratiques, il s’agit moins d’attendre des changements du haut que d’identifier de façon fine les « points de pression » sur lesquels agir pour faire évoluer le système, et créer de nouvelles alliances. Continuons à faire la liste des réglages à opérer et des obstacles à lever, et parions que l’action conjuguée des acteurs de la société civile, des universités, des collectivités et des administrations pionnières contribuera à créer la dynamique tant attendue !

Stéphane Vincent