Labos d’innovation publique : à quoi ressemble la prochaine étape ?

Posted on 19 octobre 2017 par Stéphane Vincent

Pour ceux qui, comme nous, s’intéressent et participent au phénomène émergent des « laboratoires d’innovation publique » que des collectivités et des gouvernements initient un peu partout dans le monde, Nesta vient de publier un edito stimulant. Celui-ci est signé par Millie Begovic (UNDP) avec les équipes du Nesta et nourri de plusieurs écrits récents sur les laboratoires d’innovation publique.

Cet édito arrive à point nommé, quelques semaines avant une session de travail organisée par le Nesta et l’UNDP sur l’avenir des laboratoires d’innovation publique qui se tiendra à Istanbul, et à laquelle participera la 27e Région. Nous en proposons ici un résumé. Dans un autre article nous émettons quelques commentaires et faisons des suggestions.

Labs : le risque de trop promettre ?

Que dit cet article ? D’après un sondage récent mené par le Public Impact Center, beaucoup jugent qu’il existe un risque croissant de décalage entre la promesse de changement incarnée par les laboratoires d’innovation publique et la capacité réelle de ces derniers à concrétiser cette vision. Faute de franchir de nouvelles étapes, le concept de lab pourrait se vider de sa substance, voire rejoindre le cortège des modes passagères dont l’innovation est coutumière.

« Parmi ceux qui portent ce type de projet, beaucoup témoignent en effet de leur difficulté à mobiliser des ressources suffisantes, à créer un cadre politique propice, à avoir une influence réelle sur le pouvoir politique, ou encore à dépasser les petits succès à court terme pour transformer les approches sur le long terme », explique l’édito. À terme, beaucoup craignent de ne pas être en mesure de transformer la façon dont les gouvernements fonctionnent, ni de parvenir à traiter des défis complexes et des changements systémiques – et ce, tout en conservant une prise directe avec les citoyens.

L’édito rappelle que beaucoup de labs échouent pour des raisons dont certaines sont antagonistes : certains se seraient trop vite et trop fortement institutionnalisés et ont dès lors perdu toute capacité critique et de ré-interrogation de la bureaucratie ; tandis qu’au contraire, d’autres ont fait le choix d’opérer depuis les marges et le paient en n’ayant aucun impact au sein de l’institution. L’auteure évoque également la responsabilité des élus et des médias, qui exhortent les administrations à prendre davantage de risques pour mieux s’en prendre ensuite à elles en cas d’échec. Finalement, les labs sont-ils condamnés à rester des machines à générer des idées et à produire des prototypes, en marge des grandes réformes structurelles ?

Ré-interroger le concept même de labs

De quoi avons-nous besoin pour aller plus loin ? L’édito suggère de regarder au-delà des labs tels que nous les connaissons, de ré-interroger leurs ambitions, leur fonctionnement, leurs modes d’interventions et leurs modèles de financement. A quoi doivent-ils ressembler dans l’avenir si nous voulons en faire des agents de changement plus importants, et leur donner un rayon d’action à la fois plus systémique et plus au cœur des sujets ? Pour Millie Begovic l’enjeu n’est pas de faire plus à partir de l’existant, mais de reconnaitre la nécessité de bâtir un nouveau mouvement, ce qui suppose un nouveau projet politique et un jeu d’alliances très différent y compris avec des partenaires inhabituels, tout autant que de nouvelles compétences et savoirs-faire – par exemple mieux mettre en pratique les théories de la complexité et des jeux de pouvoirs dans la fabrique des politiques publiques (1), tout comme nous devons redéfinir les indicateurs de succès de ce que nous produisons, et mieux comprendre ce qui provoque réellement le changement. Millie Begovic suggère aussi d’améliorer notre capacité à établir des liens avec les fonctionnaires traditionnels qui connaissent mieux que quiconque le fonctionnement des agences, avec les « mutants du développement » et ceux qui ont le plus d’intérêt sur un thème donné. Les labs doivent s’éloigner du modèle de « l’agence conseil interne » ou du « prestataire qui délivre des solutions », et qui risquerait d’en faire de « simples instruments technocratiques qui se contenteraient de répondre par du co-design à des initiatives qui resteraient le fait du politique ».

Des pistes pour un nouveau mouvement

L’édito propose quelques pistes pour y parvenir :

  • D’abord, sortir du modèle de la structure unique au profit d’un regroupement d’acteurs spécialement réunis pour traiter des problèmes complexes, à partir d’une nouvelle forme de gouvernance.
  • Ensuite, inventer un nouveau type d’instruments financiers et de modèles d’affaires qui soient davantage à la hauteur des enjeux visés.
  • Étudier de façon plus approfondie les mécanismes politiques inhérents aux réformes structurelles clés qui permettraient de dépasser les silos et de créer un espace politique pour des solutions radicales (l’édito cite de telles tendances dans le domaine du capital risque).
  • ou encore, aller au-delà des modèles de management classiques et de conduite du changement. Inspirés par le modèle industriel ces derniers ont du mal à répondre à la complexité croissante du monde. Ceci implique de faire de la réinvention de la bureaucratie des institutions une composante clé du changement, ce qui nécessite la création d’alliances allant au-delà des happy fews du cercle de l’innovation.

Par quoi commencer ? L’édito suggère trois directions possibles :

  • Repartir du moment où les labs sont sollicités : par qui (avec quelles expériences et quels besoins), dans quels systèmes (réseaux) et quelle type de bureaucratie (structures d’organisation et de financement).
  • Redéfinir les indicateurs : en mettant l’accent sur les « données profondes » et en s’éloignant des récits linéaires pour explorer les futurs possibles.
  • Changer la focale : sortir d’une vision réduite à la définition du problème et des interventions exogènes, pour aller vers une exploration fluide de l’existant et des dynamiques à l’œuvre.

L’idée de lancer une nouvelle étape est enthousiasmante, et l’édito pose des questions très pertinentes. D’ailleurs, il nous a inspiré quelques remarques et commentaires, à retrouver ici.

 (1) Millie Begovic renvoie à plusieurs références pour tendre vers une meilleure mise en pratique des connaissances sur l’analyse systémique, dont l’ouvrage « How change happens » du Duncan Green de la société Oxfam, un édito d’Owen Barder sur la mise en pratique des théories de la complexité, du rapport récent du RSA ‘Du design thinking au changement de système’ ou encore un autre édito de Jed Miller et Michael Jarvis sur la lutte anti-corruption.